Quand la nouvelle tombe en cette radieuse matinée de juillet 2003, elle fait l'effet d'une bombe. Des milliers de touristes, alanguis sur les plages britanniques, retiennent leur souffle. Imprimé en gros caractères sur la première page d'un tabloïd, un titre annonce en effet qu'une escadre vogue vers le Grande-Bretagne et s'approche dangereusement de ses côtes. Aussitôt de vieilles peurs se réveillent, des images de désastre envahissent le cerveau surchauffé des vacanciers. Après Philippe II et son invincible armada, Napoléon et Hitler, de quel nouvel ennemi s'agit-il ? Quelle force du mal s'attaque à la Couronne ? Bien vite, à la lecture de l'article, l'angoisse se dissipe. Le débarquement qui se prépare est sans danger. Il s'agit d'une gigantesque vague de canards en plastique. Vingt-neuf mille palmipèdes synthétiques dérivent sans cancaner dans les flots de l'Atlantique. Cette armée de naufragés, jouets survivants d'un cargo, a été inopinément jetée par-dessus bord à la défaveur d'une tempête, survenue un an plus tôt au large du Japon.
Ainsi détournés d'un destin casanier, qui les vouait à barboter dans une baignoire à côté d'un bambin, les faux canards, qu'un instinct grégaire a maintenu groupés, achèvent un prodigieux périple. Ils ont contourné les Etats-Unis, traversé l'océan Arctique et le Groenland et s'acheminent, portés par le Gulf Stream, vers les côtes anglaises.
C'est The First Years, la firme américaine qui les commercialise et les suit à la trace, qui donne l'alerte. Trop heureux de cette publicité, gratuite et inespérée, Clive Wooster, son porte-parole, vante la qualité de ses produits. "Nos canards ont résisté aux déferlantes et aux icebergs. Ils sont indestructibles. Même les enfants les plus cruels envers leurs jouets n'en viendront pas à bout", déclare-t-il à la presse, avant de lancer un concours offrant 100 dollars de récompense, sous forme de bons d'achats, à toute personne qui recueillera un spécimen.
Générosité bien ordonnée ... l'offre n'est valable que pour la prise de palmipèdes échoués sur les côtes du Massachusetts, aux Etats-Unis. Les vacanciers britanniques n'auront droit, eux, qu'à un certificat signé de l'entreprise. Et encore, seuls les deux cent cinquante premiers chasseurs de primes bénéficieront-ils de cette faveur. Dindons de la farce, nos amis anglais se seraient-ils fait ... royalement plumer ?
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