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 L'oubliette

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Joa
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Joa


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MessageSujet: L'oubliette   L'oubliette EmptyMer 23 Avr - 9:09

Les propos des gens de campagnes mettent plein de mystère aux innombrables souterrains que les seigneurs firent autrefois creuser entre leurs châteaux et d'autres, si ce n'est, à en croire les médisances, vers des couvents accueillants de nonnes aux cuisses alertes. Le peuple, qui a gardé des aigreurs de serfs à l'endroit des maîtres de jadis, n'aime pas plus les régnants que les religieux : les uns les ayant trop tondus, les autres continuant à les raser.
Ces souterrains auraient des longueurs extraordinaires et seraient d'une solidité à l'épreuve des millénaires. On en indique des douzaines, longs de plusieurs lieues, secrètes veines creuses courant dans la peau de la terre.
A écouter les gens qui les savent, rien ne les a jamais arrêtés : Ils passent sous les collines, les rivières ou les lacs. leur construction a demandé des années de gabelle physique à des générations de manants corvéables qui s'usèrent à cette tâche tout autant que le métal de leurs outils. Bagnards, innocents dont la plupart, dit-on, furent pendus, travail accompli, afin de les empêcher de trahir ces lieux invisibles entre fiefs amis ou ennemis.
Mais aujourd'hui, ces terriers n'ont plus de maîtres et, qui veut, qu ose, peut y découvrir les richesses d'antan, païennes ou templières, que leurs murs, creux par endroits, cachent plus ou moins bien selon la persévérance des chercheurs : précieux veaux ou chèvres d'or, coffre de pierreries et, parfois, pour la malchance du cupide, quelque vulgaire squelette d'énigmatique emmuré vivant.

Si vous croyez les dires populaires et que l'occasion d'un château abandonné se présente à vous, ne négligez pas d'y aller voir. Ces endroits ne manquent point dans notre pays. Ruines qui verrouillent les vallées ou font chicots sur les crêtes de notre médiévale province, restes d'une prestigieuse dentition féodale.
Alors, trébuchant sur les marches disjointes d'escaliers brisés, vous tordant les chevilles dans les pièges minéraux, vous retournant les ongles aux murailles d'où bave une mousse d'aspect hostile et vénéneux, descendez jusqu'aux racines de ces pans de murs.
Cherchez au ras du sol avec un luminaire et vous trouverez ce soupirail, cette châtière ou cette brêche dans laquelle votre esprit se précipitera bien avant votre corps.
Trou inquiétant d'u noir silence, épais, qui le remplit jusqu'au goulot et que vous tâterez d'un bras hardi, l'exaltation de votre curiosité vous servant de courage.
Pénétrant alors, vous ramperez, étreint à vous croire comme en votre propre gorge nouée, ignorant si vous descendez dans un souterrain sans fin, un cul-de-sac décevant ou un puits mortel.
Là, c'est le néant palpable mais incommode et pervers. Le sol est traître de pierres tombées, humides et glissantes ; la senteur du temps stagne, moisie, et l'air avare vous donne un peu tout en cherchant à tordre le cou à la flamme de votre chandelle pour vous livrer sans défense aux ténèbres.
Mais voilà que dans cette galerie qui ploie corps et esprit, vous vous ragaillardissez en découvrant des vestiges d'occupations récentes : foyers éteints de vagabonds ou dépouilles de charognes laissées par quelque blaireau ou renard et qui vous rassurent tout comme, sur cette paroi, ces graffitis magiques de coeurs percés d'une flêche et ornés de prénoms en incantation à l'amour.
Aguerri par ces précédents, vous avancez plus vite, enfin prêt à toutes les vaillances, et c'est, hélas, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, cet énorme éboulis qui entrave l'expédition et opercule le mystère !
Vouloir le dégager pierre à pierre serait une gageure ; d'autres l'ont tenté avant vous, c'est visible, déplaçant ces matériaux sans pouvoir allez au-delà de quelques mètres. Et c'est généralement la décevante réalité : ça s'arrête là.
Repliant alors en huit l'aventure impossible, vous la rangerez soigneusement dans votre imagination où, l'éloignement aidant, elle ne tardera pas à se faire chimérique.

Et, peu à peu, vous ne douterez plus que ce souterrain avorté ne soit fabuleux. Vous le façonnerez, l'embellirez et le compliquerez à plaisir. Dès lors, devenu le vôtre, il vous hantear et harcèlera l'esprit tel un ténia coriace à qui vous tenterez vainement d'arracher d'autres morceaux aux voyages suivants.
Cependant, méfiez-vous, ce intestins de pierres, boyaux creusés vers on ne sait où, longs d'on ne peut dire combien, remplis d'on ne peut deviner quoi, mais où tout peut se trouver, sont des plus sournois et aident parfois la malchance ou la fatalité à faire de vous un nouveau mystère.

C'était dans ce bourg de l'Orne que je ne nommerai pas, aux maisons grisâtres tassées contre le château, comme peureuses, soumises à cet énorme montre trapu d'épaisses murailles rousses, toujours roi de son passé terrifiant, mais vide de guerriers et grignoté par des vents rongeurs, qui, après seigneurs et batailles, a continué à ruiner les finances municipales.
On le tint en vente pendant des années, mentant aux acheteurs ses inconvénients et vantant ses qualités perdues. Mais qui eût acheté cinquante immenses pièces, toutes à refaire ? C'eût été plus coûteux que de construire à neuf ! Personne, ni richissime excentrique, ni milliardaire américain, n'en voulait malgré les avantages que promettait désespérément le maire, accablé de ce legs de pierres reçu de la vieille et dernière demoiselle châtelaine.
Il fallut la chance du député qui, devenant ministre, put imposer qu'on y installât un hospice de vieillards, poussant si adroitement l'affaire que les travaux de réfection commencèrent aussitôt l'achat conclu.
Arrivèrent des équipes d'ouvrier de tous étages : maçons, charpentiers, couvreurs, qui mirent dans la bâtisse agonisante un revigorant chantier et, dans le bourg, une reflorissante animation commerciale.
Et ce fut de voir dresser ces hautes palissades devant les deux entrées du château - ce qui indiquait qu'il n'appartenait plus à la curiosité publique - qui décida Cyprien, le jeune instituteur, d'aller au plus vite explorer un certain souterrain dont il connaissait l'entrée discrète, mais remettait toujours au lendemain d'y pénétrer.
Un soir, tard, il sauta la palissade et, muni d'une forte torche électrique, s'offrit au mystère, l'esprit excité par l'interdiction d'entrer qui doublait le plaisir et les risques de l'expédition. Ainsi, illustra-t-il l'adage que ce qui est défendu a bien meilleur goût.

Le souterrain en question, qui devait être oublié ou inconnu, se trahissait par une brèche dans la dernière cave, au plus profond de la tour d'angle sud. Orifice d'aspect difficile, ouvert accidentellement, sans doute par un effondrement intérieur, sorte de chatière au ras du sol et toute dentée de pierres hirsutes, faisant une bouche vorace au bas du mur qu'elle avait dévoré à cet endroit. Et franchir cette gueule de pierres demandait de ne pas craindre de sacrifier ses vêtements mais, surtout, l'adresse de s'y couler sur un bon mètre de profondeur en glissant le corps dans tous les sens, tel un reptile. Cyprien, au demeurant, savait déjà, par le langage des cailloux qu'il avait jetés loin dans le vide pour sonder la galerie, que celle-ci était large et haute. Mais sa longueur restait hors de portée d'écho.
Décidé, il entra jambes les premières et parvint à passer l'orifice plus aisément qu'il ne l'avait supposé, se retrouvant à quatre pattes dans un couloir en pente, au sol hérissé de pierres de toutes grosseurs, déchaussées, minces par une pénétrante humidité et tombées de la paroi intérieure en partie écroulée, ce qui confirmait ses premières déductions.
Au bout de quelques mètres d'une douloureuse reptation sur les débris visqueux qui lui meurtrirent les genoux et lres mains, il put enfin se relever et se tenir debout, la voûte étant bien au-dessus de sa tête.
Là, il fut saisi par l'haleine pourrie qui stagnait, épaisse, à hauteur d'homme. Aussi se pencha-t-il pour retrouver l'air respirable qui venait pas la châtière. Et il poursuivit, plié en deux pour ne pas heurter son odorat à ce plafond empoisonné.
Le jet de sa lampe lui dévoila une galerie large de deux bras tendus, au sol de terre molle, glissante et vierge de vestiges humains. il pensa alors que l'humidité avait dû ronger et dissoudre toutes traces du passé.
Seules, ça et là, quelques récentes déjections animales disaient les rats, compères habituels de ce genre de repaires. Ils n'étaient pas loin ; deux s'enfuirent, zigzaguant au sol comme des boules ivres.
Partout, le salpêtre cristallisait sa singulière et intraduisible écriture que l'éclairage faisait saillir, soulignant d'une brève et mourante frange d'ombre les secrets du sel de la pierre.
Il avança commodément, attentif aux découvertes, mais à l'aise et sans crainte. Rien ici, à part cette explicable puanteur de temps enfermé, ne pouvait donner prise à l'anxiété coutumière qui sourd en ces lieux inconnus et depuis longtemps au silence de l'oubli : pas le moindre bruit capable de faire naître l'inquiétude ; nulle présence cachée mais sensibilisante et pouvant serrer le garot de l'angoisse.

L'endroit, vide de toute âme, diluait une impression fade et sans épices pour l'imagination.
Et, tout en continuant à avancer d'un pas plus hâtif, Cyprien se prit à relire en sa mémoire le conte d'Edgar Poe, La Barrique d'amontillado, cette histoire d'emmuré vivant qui lui avait toujours laissé une tenace crainte des souterrains complices et pourvoyeurs de la mort. Aussi se mit-il à sourire en pensant que c'était cette lecture qui, pour une grande part, telle une mise en garde, l'avait longtemps fait hésiter à venir jusqu'ici.
Frappant alors d'un jet de lampe, il vit que la galerie cessait devant lui, à une dizaine de mètres, sur un mur effrité qui, à son tour, fit le beau de tout son salpêtre vierge et brillant. Encore un souterrain sans queue ni tête, donc, vraisemblablement, une oubliette, ainsi qu'il l'avait pressenti.
Où se trouvait-il à présent ? certainement sous les maisons du quartier neuf. neuf ? Non qu'il le fût, mais il l'avait été voici deux siècles, les lieux-dits faisant longteps jouvence à ceux qui les portent. Son école ne devait pas être loin. Peut-être même était-il sous la cour ? Et il n'eût pas été surprenant qu'une issue montrât un bout de soupirail non loin, dans les ruines de muraille que l'on disait vestiges extérieurs du château, celles où les historiens plaçaient une barbacane depuis longtemps disparue.
Mais, promenant la lumière sur la voûte, Cyprien eut beau chercher cette issue, il ne put que constater combien l'endroit était hermétique. Sans l'ouverture fortuite qui lui avait permis d'entrer là et qui apportait cet air respirable, ce ne pouvait être qu'un véritable piège à étouffer.
Un frisson le traversa à la pensée de l'utilisation qu'on avait pu faire de ce cachot, et, doublement oppressé, mais avançant encore de quelques pas, lampe toujours dirigée vers le haut de la galerie, torfant le cou pour regarder, il ne prêta plus attention au sol juste au moment où il fallait s'en méfier.
Soudain, il eut l'impression de choir dans un gouffre. Son corps et sa tête portèrent violemment contre les parois d'un large trou qui le happa aussitôt. La fosse maçonnée qui se trouvait à cet endroit n'était pas profonde, deux mètres peut-être, mais le choc fut si brutal que Cyprien perdit connaissance, serrant toujours dans sa main crispée la lampe qui s'était brisée.

Il fut ramené à lui par cette souffrance qui sourdait en un cauchemar de ses sens tourmentés, comme posés sur une balançoire aux élancées vertigineuses et douloureuses.
Et, reprenant enfin conscience de la réalité, il hurla autant de souffrance que d'effroi.
Aux premiers mouvements qu'il tenta pour sortir, il sentit en pleine moelle la torture fulgurante de son fémur brisé. Mais sa peur de rester à jamais dans cette tombe de ténèbres lui donna la force de la fuir.
S'accrochant aux aspérités à s'y arracher la chair des doigts ; mordant aux saillies à s'y briser les dents, il parvint à remonter, moite de sueur, ébloui par de cuisantes cisaillées d'os tranchants. Et, geignant comme d'une crucifixion, l'esprit décomposé par le désespoir, il parvint à ramper dans le noir absolu vers l'espoir : cette chatière là-bas, loin. Mais la souffrance se liguant avec les lieux redevenus hostiles tels qu'ils ne pouvaient qu'être en vérité, le malheureux s'évanouit de nouveau.
Combien de temps resta-t-il ainsi ?
Le souffle d'air frais qui coulait vif au ras du sol le ramena à la réalité. Souffrant moins, ou plutôt ne sentant plus de sa douleur que les élancées graves qui étouffaient les aigües, Cyprien réussit à avancer vers cette source de liberté et de vie.
Il aperçut enfin la chatière, lumineuse à la croire atteinte d'un miracle !
Elle était proche, éclairée par une forte lumière qui, comme un divin secours, se déplaçait dans la salle où elle donnait.
Quelqu'un s'y trouvait !
La poitrine de Cyprien se gonfla violemment de mots qui, passant trop vite par sa gorge un nstant dénouée, éclatèrent en cris sur ses lèvres. Appels si désespérés, explosion de ses toutes dernières forces mises en un tel bouquet de hurlements qu'ils devaient bondir, surgir par la chatière et frapper ceux qui se trouvaient dans la cave, là-bas, cette berge enfin atteinte.
La lumière s'immobilisa devant l'orifice.
On l'avait entendu. On allait venir le sortir de là. Il était sauvé.
Et Cyprien remercia Dieu comme jamais, à gros hoquets de larmes si reconnaissantes qu'elles durent paraître sucrées à Notre-Seigneur.
Et, une fois encore, épuisé, abandonné par ses sens, son corps partit à la renverse comme de très haut, dans une chute vertigineuse mais douce.

Lorsque les deux maçons, désignés pour reboucher cette chatière par où l'architecte craignait que ne jaillissent des invasions de ratsn eurent éclaité le trou, ils le remplirent bien vite dans toute sa profondeur avec de grosses pierres copieusement cimentées.
Ensuite, sur le devant, ils en scellèrent de plus belles, taillées avec soin, de forme et de couleur semblables aux anciennes, losanges roussâtres, rétablissant ainsi l'harmonie du mur au point qu'il ne parut plus rien de sa mutilation. Ils étaient si habiles qu'en peu de temps ils firent en sorte que non seulement les rats, mais les siècles, pourraient vainement essayer de les ronger. Et, satisfaits de leur travail, ils échangèrent entre eux, avec autant d'adresse, cet étonnant langage des doigts qui les fait alertement pointer, se mettre en rond, se tordre ou se croiser. ils exprimaient un alphabet physique si souple qu'on ne se serait nullement étonné de voir l'index et le majeur se nouer ou se fondre, unis en un seul doigt pour montrer le mot amour. Et, après les mimiques de compliments sur leur réciproque habileté, les deux hommes eurent un franc sourire qui éclaira leur regard setrein et lointain de sourds-muets.

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France
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