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 Le dormeur

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Joa
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Joa


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Le dormeur Empty
MessageSujet: Le dormeur   Le dormeur EmptyDim 4 Mai - 22:15

Le père Glaude, jardinier au château de Coulondelles, avait les rondeurs et la douceur d'aspect d'un saint pour demoiselle en besoin de mari, un de ceux à qui on commande en toute confiance une vie d'amour conjugal sans nuage.

C'est reconnaître qu'avec la générosité peinte sur son large visage plein, et ses cinquantes bedonnntes années, Glaude était la bonté même, offerte à qui en voulait. Et, avancer ce compliment n'est pas vouloir le flatter, car il accomplissait réellement des prodiges.
Le Glaude était une sorte de magicien campagnard, d'une classe à part, et point un de ces communs ramoneurs de mauvaise santé, guérisseurs à procédés faciles comme il s'en trouve un peu partout, dans chaque recoin de village : marmonneurs de secrets, dénoueurs de méchants coups, rebouteurs, serre-cul et autres toucheurs. Non, il possédait de naissance et par héritage - puisque longtemps avant lui un de ses ancêtres sur trois l'avait eu depuis belle lurette - un don qui ne se ramassat ps aux carrefours : il était doué du pouvoir de "dormir les maux".
Ainsi, votre poitrine en sueur ayant pompé comme une éponge le froid coulis d'entre chin et loup, là-bas, dans le vallon de la rivière, un "chaud-froid" vous appuyait ses gros pouces dans les poumons au point de les sentir à chaque respirée. A ça, que faire ? Deux remèdes : ou se coucher sous triple toit de couvertures et boie un litre de citre chaud et vaillamment sucré afin de suer le mal, sans être sûr de guérir tout de suite, donc de perdre du temps au lit ; ou ne point se coucher du tout, aller trouver le père Glaude penché sur ses fleurs et lui demander guérison comme un inestimable service.
Tortillant posément les poils de son étroite moustache déjà blanchette qui lui faisait un oeillet sus les narines, il écoutait gravement le bruit de votre souffle, humait la suée de vos tempes et, enfin, palpait sous la chemise, là où la congestion triturait.
- T'as très mal ? s'enquérait-il alors, un rien circonspect.
Là, c'était le grand moment du mensonge : il fallait taire la souffrance, même si elle vous coulait des yeux, car le Glaude, en vieillissant, refusait de "dormir" les douleurs.
Autrefois, il avait dormi des coliques de plomb parce qu'alors ses boyaux étaient semblables aux tubulures de cuivre d'un alambic et capables de changer en eau le feu des coliques ; mais, avec le temps, à force de résister aux chocs des maux reçus, ses rouages d'homme s'étaient affaiblis : plus de bare de fer en guise d'os, de cuir aux articulations, ni d'alcool à la place du sang.
Aussi y allait-il maintenant d'un suspicieux : "T'as très mal, très mal ?" qui vous forçait à jouer l'hypocrite afin de le rassurer et de le décider.

- C'est pas qu'j'ai mal, mais ça m'gêne pour lever les bras.
Et le Glaude de marcher encore un coup, pas tout à fait dupe, mais avec l'espoir d'un mensonge pas trop gros. Puis, une "peumonie" de plus ou de moins ne risquait nullement de lui détruire les poumons, vu que ceux-ci se rebellaient toujours comme deux ruches sauvages.
Il vous demandait trois louis qu'il fallait lui donner sans marchader. cela faisait partie du traitement !
- Un miracle d'église s'paie bien... Alors ! disait-il en guise de consolation.
Cependant, si, à l'église, on pouvait facilement tricher avec une apparence de générosité, en promettant or mais ne glissant que trois sous de bronze dans l'anonymat d'un tronc, ici, impossible de faire prendre à Glaude trois liards pour soixante francs : le tronc de sa main ne se laissait jamais abuser.
Une fois l'argent donné, c'était déjà la guérison parce que vous reportiez le gros de vos tourments sur cette dépense faite de confiance... jusqu'à preuve du cntraire.
Mais le père Glaude accomplissait à souhait son travail et ne tardait jamais. Il prévenait la mère Glaude d'avoir à la laisser seul au lit. Elle, contrariée, secouait d'abord les peaux de son cou de dindonne à faire des "Non, non et non !" Alors, il lui rappelait ses verrues et, montrant le dos de ses doigts, qui en étaient pleins, il faisait vers elle le geste pas méchant de les lui redonner toutes.
La menace marchait à tout coup : la mère ne tenait pas à les reprendre et, reconnaissante, se souvenait de l'empressement du Glaude à les "lui dormir" lorsque, à cause d'elles, elle avait failli perdre sa place de cuisinière au château. mme la duchesse se sentant mal à l'aise rien qu'à voir du noir sous les ongles des gens ! Glaude les avait fait changer de domicile en un raide sommeil de trente-six heures d'une seule coulée.
La mère Glaude soupirait donc de résignation devant le temps à rester seule car son homme allait encore ronfler des jours. Qui sait ? des semaines comme lorsqu'il avait "dormi" jusqu'à complète guérison la fièvre maligne de la plus jeune de demoiselles de M. le duc. Mais, après cette fois-là, le Glaude s'était juré de ne plus inviter ce genre de mal à venir se goberger en lui, parce qu'il y avait laissé ix kilos de bonne graisse.
Si les misères qui tourmentaient les autres continuaient toujours à se greffer sur lui qui les épanouissait et les digérait avec son organisme conçu pour, il ne faisait plus de doute qu'avec le vieillissement, elles lui restaient de plus en plus. Ainsi des verrues de la mère et de ce rhumatisme dans l'épaule, pris à Gravier, l'entrepreneur, et toujours là à lui mordiller l'os, si bien que ce malreconnaissant le moquait en demandant parfois, avec ironie, des nouvelles de "sa" crispure. Et le Glaude de faire pâlir le taquin en faisant semblant de lui redonner, incontinent.

Aussi était-il bien décidé à laisser à chacun ce qui appartenait à chacun, afin de prendre une convalescence méritée.
Hélas ! le destin lui fut contraire et sournois.

Voilà qu'un soir, un gars de Chicrolles, le village voisin, vint trouver mon Glaude au café où, bien réveillé, il se donnait à une alerte partie e domino. L'arivant réussit à le tirer dehors et lui raconta son mal avec tant de désordre dans les mots que Glaude dut l'obliger à recommencer plusieurs fois ses explications. Enfin, il crut comprendre que son solliciteur avait un certain dérangement dans l'esprit.
"Dormir" les tours de reins ou les aigreurs d'estomac, oui ; la folie, jamais - pas plus qu'il n'aurait accepté de "dormir" une agonie définitive : dites voir un peu, comment s'en débarrasser ensuite ?
Et puis, l'inconnu, un maigriot agité, tout en yeux fiévreux, avait une sale tête, mal aimable et gênante à regarder. Ces drôles d'airs craintifs qu'l prenait ajoutaient au malaise de sa personne et forcèrent le Glaude à renifler comme aprè une fouine sortant d'un poulailler.
Mais, enfin rendu confiant par le calme que l'autre réussit à remettre dans ses propos, il comprit que ce dernier avait simplement peur qu'on cherche à expliquer certaines de ses absences loin de chez lui. Et Glaude jugea qu'il n'était pas fou mais seulement affolé. Sans doute avait-il les nerfs embrouillés par une femme à reproches compliquée d'enfants à soucis.
Se sachant un solide équilibre de ce côté-là, et voyant l'autre retourné jusqu'au fond de yeux, Glaude, compatissant, fit entente avec lui. Toute cette instabilité, banale et courante, allait être soigneusement "dormie" pendant quelques jours : après, elle ne serait plus qu'un mauvais souvenir.
Et, si l'inconnu partit sans lui livrer une seule syllabe de son nom, par contre il se montra généreux puisqu'il mit une grappe de louis plein le creux de la main du dormeur. Tellement, que ce dernier dut lui en rendre afin de garder juste les trois nécessaires, l'en-plus ne servant à rien pour cette guérison qui, d'ailleurs, n'en valait pas tant.

Et mon Glaude dormit pour prendre le tourment de cet étranger.
Mais, cette fois-là, il fut "manoeuvré" dans son sommeil comme jamais encore. D'habitude, qu'il fit "ronflette" sur un rhumatisme et il sentait que ses articulations lui tiraient ; sur une fièvre à quarante et il grelottat de chaud ; sur une pneumonie et l'incendie lui couvait dans les bronches. Là, il ne ressentait aucune douleur mais pire : des envies à faire rougir Satan lui-même. Il rêva toute la mauvaiseté de l'autre...
... Il guettait les fillettes sortant de l'école et se sentait envahi de démangeaisons dans le bas-ventre comme de l'envie d'une femelle... il suivat la plus mignonne en se cachant d'elle avec toutes les ruses du désir et lui courait dessus au moment où elle longeait un bois épais, l'y entraînant de force en la tirant par son corsage qui se déchirait, lui montrant un dos qui le faisait presque chavirer de plaisir, comme ça, rien qu'avec son tout blanc de peau, dénudée jusqu'aux reins... Il cherchait à l'embrasser... la fillette se débattait, criait et se roulait dans les fougères, où sa jupe, se relevant, montrait ses cuisses jusqu'en hut... Au lieu d'avoir peur d'être surpris et de fuir, il sentait son envie prendre exigence et il arrachait la culotte de la petite, se jetant ensuite sur ce corps agile, mais qui ne pouvait rien contre sa force désireuse... Il l'écrasait de son poids... Elle le giflait sans parvenir à lui faire mal, et, même, cela ajoutait à son plaisir... Puis, elle hurlait de plus belle... si fort, cette fois, que, pou l'obliger au silence, il la saisissait à la gorge et lui tordait le cou comme à un vulgaire poulet... Ce qui n'apaisait pas son violent besoin...
Il rêvait ça, sans répit, allit jusqu'au bout du viol et recommençait avec une autre et d'autres encore, soubresautant dans son lit, si désireux, si geignant qu'à frce la mère Glaude, inquiète des grossièretés qu'il criait, prit sur elle d'entrer dans la chambre et de le réveiller en pleine crise.
Si la femme ne s'était pas reculée à temps, il l'aurait attrapés et ramenée avec lui dans le lit.
Revenu à la réalité, le Glaude comprit qu'il avait accepté un marché d'enfer et fut assez sage pour décider de le briser, malgré le plaisir animal qu'il venait de goûter.
Une fois déjà entraîné dans une maladie de haine qu'il croyait d'une autre sorte, ce fut tout juste si, somnambulant, il n'avait pas chargé son fusil pour aller lui-même tirer sur M. le maire, qui en réalité était visé par son malade. Sans le froid qui le saisit en chemise de nuit dans la cour et qui le réveilla, il devenait criminel !

Heureusement, il put rompre la convention en rapportant sans tarder les trois louis du marché. Le haineux en question ne se trouvait pas chez lui, mais le Glaude les laissa bien en vue, couchés sur un papier blanc, au milieu de la table de la cuisine. En rentrant, l'autre, étonné comme si le plafond venait de les pondre, les pinça du bout des doigts : ce fut suffisant pour qu'il reprît sa méchanceté.
Là, pour rompre le pacte avec ce drôle de bonhomme à vices, il fallait agir pareillement et sans perdre de temps.

Les jambes encore béquillées par le sommeil, les sens un rien barbouillés, le Glaude se rendit à Chicrolles afin de retrouver ce malsain et de dépactiser.
Il le chercha sans rien oser demander à personne, lorgnant dans toutes les boutiques avec un toupet qui l'étonna lui-même, car il ne se risquait jamais à déranger le monde et à regarder sous le nez des gens. Toutes les rues et ruelles le virent passer deux, trois fois ; les champs aussi : l'homme n'était pas facile à rencontrer.
Et, chaque fois qu'il longeait l'école communale - y revenant même tout exprès -, Glaude ralentissait le pas, s'arrêtait et écoutait. Il aurait aimé entendre les écolières chanter, lui qui, pourtant, était toujours agacé par celles de Coulondelles.
Mais un studieux silence l'inquiétait, lui faisant craindre qu'elles ne soient déjà parties... Jusqu'au moment où le maître lâcha enfin son troupeau pour la récréation.
Et il les vît, fraîches et gaies !
Elles criaient ets e coursaient entre elles ; taquinaient les garçons, ou parlaient sagement par couples. Ce fut une bouffée de désir pour le Glaude qu'il chancela de plaisir et dut s'agripper des deux mains à la grille, avec l'air d'un qui pèse d'une barriquée de piquette dans la vessie.
Puis, tant il se savait coupable et prenait crainte qu'une des gamines ne le reconnaisse, il alla vite se cacher derrière un des tilleuls de la place d'où il continua à guetter celle qui lui plairait le mieux... et il reconnut qu'on avait mauvaise langue de prétendre qu'à Chicrolles les gens étaient de maigre santé. Là, les filles pétaient de vie et devaient être sacrément chaudes. Mais qu'importaient celles-ci puisqu'à Coulondelles il en aurait d'autres, autant qu'l voudrait maintenant que ces choses étaient faciles pour lui. Et le père Glaude de se sentir ujn violent appétit des sens.

Grâce à Dieu, il se retrouva face à face avec sa conscience et fut saisi par une telle honte de penser ça que, brûlé à vif par ces malsainités qui ne venaient pas de lui, mais qui prenaient le pas sur lui, il n'alla plus par quatre chemins et entra à la mairie se renseigner auprès de l'employé du secrétariat.
Celui-ci, d'abord aimable, se posa sur le visage une bien vilaine grimace lorsque Glaude lui décrivit l'Inconnu.
- Ce ne serait pas l'Léon que vous cherchez, des fois ? dit-il enfin, d'une voix de dégoûté.
- J'vous le répète, recommença le Glaude, j'sais rien de son nom, sans ça j'serais pas là à vous demander après lui... Tout ce que j'peux vous aider, c'est qu'il a un gilet d'velours crème avec destaches dessus.
L'employé n'eaut plus de doutes, mais il regarda le Glaude avec suspicion.
- C'est bien l'Léon ! Et qu'est-ce que vous lui voulez ?
- Lui rendre des sous qu'il m'a prêtés.
- Dans ce cas, rétorqua l'autre en voulant ébaucher un sourire qui ne se fit point, vous voilà riche d'autant...
- Ah donc ! et pourquoi ? demanda le Glaude, pas du tout à l'aise devant ce méfiant.
- Parce que, trancha l'homme en se saisissant à la gorge avec ses deux mains... parce que ce salopard s'est pendu hier après avoir violenté la Lucette Richard, et que c'est sans doute lui qu'a étranglé la gamine des Landiers, le mois passé... Sûr qu'il en auranit sali d'aut' si le remords ne lui avait pas mis la corde au cou...
Alors, comprenant que le besoin de ce misérable était à jamais croché dans son ventre, et, tout à la fois, qu'il n'avait plus de rival dans cette course au vice, lepère Glaude, au regard soudain chaud de perversité, se laissa tomber sur une chaise, et devant l'employé sidéré, se mit à sangloter-rire de sa nouvelle puissance.

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France.
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