Dans les dernières années du XIXe siècle, Aristide Bruant fit l’acquisition, sur la butte Montmartre, d’une auberge entourée d’un jardinet. L’endroit, passablement mal famé, portait le nom sans équivoque de Cabaret des Assassins. Bruant demanda au peintre André Gil de décorer la façade. Celui-ci- dessin a un lapin s’échappant de la marmite où on voulait le cuire et Bruant décida que le cabaret porterait le nom de Lapin agile (« Lapin à Gil ».) Très rapidement Le Lapin agile devint un endroit apprécié des artistes. Dans la première décennie du Xxe siècle, on y rencontrait Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Guillaume Apollinaire, Picasso, Utrillo et bien d’autres. Mais il connut sa plus grande heure de gloire durant l’année 1910. Cette année-là, Roland Dorgelès et quelques amis se livrèrent à une des plus célèbres mystifications de l’histoire du canular. Ils firent d’abord paraître dans la presse un manifeste signé Joaquim-Raphaël Boronali, proclamant, au nom de l’école « excessiviste », que l’excès était la valeur suprême en peinture. Après quoi, ils attachèrent un pinceau à la queue d’Aliboron, l’âne du Lapin agile, et, devant huissier, lui firent réaliser une peinture qu’ils intitulèrent Coucher de soleil sur l’Adriatique. La toile, exposée au Salon des Indépendants, non seulement ne choqua personne, mais s’attira les commentaires flatteurs de la critique. La révélation de la supercherie provoqua un immense éclat de rire, mais l’histoire ne s’arrêta pas là. L’œuvre, désormais célèbre, se vendit fort cher et elle suscita même des contrefaçons. Il fallut des expertises pour les distinguer de la « vraie ».
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