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 Un exorcisme

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Un exorcisme   Un exorcisme EmptyDim 25 Mai - 11:26

Paralysé jusqu'à en être muet sur son haut lit craquant, Sylvain, le meunier des Breteuils, sur la Touques, "partait" sans faire le moindre mouvement, attiré par une impitoyable et mauvaise mort dont on soupçonnait l'haleine invisible.
Pas plus tard que la veille, Sylvain, qui, en haut, dans le grenier à grains, vidait sans répit les sacs à l'appétit des crocs du broyeur goulu, s'était brusquement senti un formidable coup de mal au creux du ventre ; une subite douleur comme si un poing de plomb venait de le traverser de part en part. Ses jambes, ne pouvant plus le tenir debout, se plièrent et le jetèrent dans sa longueur, juste entre deux sacs.

Sylvain hurla si fort à l’aide que ses deux fils l’entendirent par-delà les mastications du broyeur, les claquements de transmissions et les grincements de la roue à aubes. C’est dire !
Ils grimpèrent hâtivement aux échelles et manquèrent plusieurs fois se péter une jambe en passant trop vite les pieds d’un barreau à l’autre, vraiment inquiets de ce qui arrivait au père ; parce que, le père, ils y tenaient par nécessité.
En le voyant comme ça allongé, les mains pressées sur le ventre, le visage labouré de souffrance, avec les sons de la douleur à la place des injures, ils s’affolèrent à ne savoir que faire pour l’aider.
Les plaintes du vieux se rentrèrent enfin et ne lui grouillèrent plus que dans la gorge, pour s’y faire. Mais ses yeux presque hors de la tête exprimaient les pires hurlées muettes.
Alors, du moment que le père ne braillait plus, les gars décidèrent de le descendre comme on descend un sac plein : ils lui passèrent une corde sous le bras, autour de la poitrine et le coulèrent doucement jusqu’en bas, par la poulie.
C’est la mère qui en fit une tête en apercevant son Sylvain dans le vide, jambes jointes et bras écartés comme u Christ sans sa croix, cloué sur rien !
D’émotion vive, elle tortilla son tablier à en dénouer la ceinture et n’eut plus qu’une boule d’étoffe entre les mains ; c’est tout juste si le même coup de poing de plomb ne l’assomma pas à son tour pour faire la paire de malheurs.
Mais elle reprit le dessus, et reins solides, jambes arquées de meunière habituée aux sérieux coups de main, elle empoigna son homme dès qu’elle le put, le retenant de tomber soûl comme s’il rentrait du conseil municipal après avoir fait le tour des « bouchons » du village, histoire d’y entretenir sa notoriété locale.
Ses fils l’ayant rejointe, ils le portèrent à eux trois jusqu’au lit où le malheureux, comme muselé, continua à subir son martyre tout neuf dans un silence de plomb.
Le médecin, aussitôt prévenu, ne vint que le soir, à croire qu’il voulait se faire désirer. Il tâta, palpa, écouta mais hocha la tête à faire des « non » sur tout… Il ne voyait vraiment pas ce qu’était ce ma étrange : pas le cœur, pas les boyaux, ni les muscles. Alors quoi ? Et il partit en laissant une ordonnance avec pas grand-chose dessus, mais suffisamment pour bien montrer qu’il n’était pas venu pour rien. Il rassura tout de même en disant qu’il reviendrait si ça allait plus mal.

Et là, maintenant, avec une nuit par-dessus, ça va mal comme jamais. Pas question de faire revenir cet ignorant de médecin cher comme tout qui, évidemment, devant encore plus, en saurait encore moins. Alors, l'aîné eut l'idée que ce mal-là relevait plus du mauvais sort que d'une maladie à docteur et, tous les trois d'accord là-dessus décidèrent de s'en remettre à l'opinion de Tranchebois, le tâte-sorcellerie de la Motte, le village voisin, pas loin.
Tranchebois, ne se fit pas attendre ; il arriva dans l'heure au moulin, vainqueur par avance d'une réputation solide et redoutée comme un coup de trique cloutée. Lui, il n'ausculta pas Sylvain qui, statue d'homme, ne vivait plus que par ses yeux implorants, faute de pouvoir gueuler entre ses mâchoires crispées qu'on le sauve, nom de Dieu, de cette mauvaise passe... Nenni ! Tranchebois fit comme on flaire après quelque chose de mystérieux : gestes, mines et tout.
Lorsqu'il eut reniflé un peu partout sur Sylvain, puis sur l'entour dans la chambre, il demanda à visiter la maison. Lorsqu'il eut visité toutes les pièces, des combles au cellier, il demanda à regarder dans le moulin. Lorsqu'il eut lorgné le grenier à grains, sans omettre le moindre sac ; le seuil d'en bas, à glisser la main sous la marche décollée de terre à un endroit, et après avoir tripoté câbles, rouages et heurtoir, il demanda à jeter un regard dans les bâtiments pauvres : grange, remise et poulailler... et, même, dans la cahute d'aisance, au fond du jardin, entourée de hauts joncs vigoureux d'une terre si bien fumée, dont il fit l'inspection comme si elle était à vendre.
Mais, il revint dans la cour, bredouille de ce qu'il cherchait et montra un tel agacement que personne ne se risqua à l'aggraver par une question de trop. Cependant, la grange, à mi-chemin entre le moulin et la maison, semblait peu à peu l'accaparer, si bien qu'il y retourna une fois encore comme ettiré de force et y rfesta un long moment.
Enfin, les Sylvain l'entendirent jurer de sacrés coups et se précipitèrent à leur tour, curieux à en oublier l'inquiétude que le manège du bonhomme leur avait déversée dans la tête.

Tranchebois se tenait dans le fond, face au mur, ça et là piqué de longues chevilles auxquelles pendaient des fers d'outils usés et rouillés, gardés autant par respect du travail donné qu'en vue d'une utilité future.
Il s'écarta pour leur montrer, plaquée contre le crépi, une sorte de poupée grossièrement ficelée ; corps de paille avec des jambes et des bars tressés raides, portant une tête : pomme de terre ricanant par sa large bouche endue d'une épluchure, mais inquiétante d'une paire de graviers blancs enfoncés en guise d'yeux ; le tout fixé au mur par un énorme tire-fond qui traversait le ventre de paille à pain.
- Voilà comment les méchants voient en ce moment vot'Sylvain, grogna victorieusement Tranchbois devant cette cocasserie.
Alors, à les juger vraiment ignorants de c es choses le magie noire, il continua sans pitié pour la mère Sylvain et ses gars qui n'osèrent se signer devant lui comme ils en avaient soudain envie, afin de se mettre de force le bon Dieu de leur côté.
- Quelqu'un veut du mal à vot'meunier... il vient de l'ensorciller à mort, mais allez voir qui c'est ? Ca sera pas facile, le diable est dans l'coup... Mais j'crois que j'peux vous le sauver, votre homme... Donnez-moi dix louis et j'en fais mon affaire.
A voir l'ahurissement des Sylvain, il crut trop demander, aussi ramena-t-il ses exigences à huit louis payables moitié tout de suite, le reste à guérison. Là-dessus, il leur signifia de partir, disant que pour faire ce qu'il fallait faire, il falmlait qu'il soit seul.
Lorsque Tranchebois ressortit à son tour, ils purent voir qu'il n'était pas mécontent.
- C va être l'temps d'un jour ou deux, dit-il, avec le ton madré d'un qui vient de jouer un sacré vilain tour à un autre.
Et il prit à part les deux gars pendant que la mère, laissée à l'écart, comprenait que le moment était venu d'aller chercher l'argent dû.
- A partir d'à présent... leur expliqua Tranchebois... il faut que vous restiez cachés derrière les portes de la grange, à ouvrir les yeux et les oreilles comme jamais... vu que celui qui veut la mort de vot'père ne va pas tarder à revenir par force, pour enlever l'mauvais sort que j'viens de retourner contre un des siens... Croyez-moi, il sera ici p't'être cet après-midi, p't'être ce soir ou demain, mais pas plus tard... A vous d'lui faire durement passer l'envie d'recommencer... Plus dur vous frapperez, plus vite l'père sera guéri...
Revenue avec quatre louis, la mère Sylvain les versa généreusement au creux de la main du retireur d'envoûtement comme si elle débarrassait déjà son homme de quatre-vingt francs de douleurs.

Une fois Tranchebois parti, les fils se précipitèrent, l'un sur une cognée à long manche, l'autre sur un fusil à deux coups, et se postèrent derrière les battants de la grange qu'ils laissèrent grands ouverts, s'y tenant à l'affût sans se trahir au point que, venant s'offrir à eux dans la cour, les plus belles filles du monde ne les auraient pas fait sortir de là... Et Dieu sait si !
Dès lors, un pesant silence mit les Breteuils en torpeur. L'oeil aux aguets, l'oreille aux moindres bruits, les deux gars attendirent, à tour de patience, bien décidés à prendre racine sur place si besoin se faisait.
De son côté, la mère avait fermé fenêtres et porte, tant du moulin que de la maison, afin que l'ennemi inconnu entre juste là où il fallait qu'il entre et pas ailleurs.
L'après-midi se passa sans rien ; la soirée et la nuit de même. Le lendemain, rien non plus - ce n'était pas l'époque des clients et heureusement pour eux ! La nuit suivante, pas de visite... Ca alors ! Mais les justiciers avaient prévu une avance de manger et de boire pour plusieurs jours au cas où il les faudrait. Ils voulaient coûte que coûte la peau de celui qui torturait de loin le père avec cette maudite poupée à paralyser.
Enfin, au troisième crépuscule, des pas traînants sortirent les gars Sylvain de la torpeur d'attente. Ils serrèrent vivement leurs doigts sur crosse et manche.
Celui qui se décidait à venir faisait des "Hé ? Hé ?" interrogateurs et, faute d'une autre porte ouverte, alla vers celle de la grange, béante sur son appétit de meurtre.
On peut le dire, il n'y vit que du feu ! une double décharge de chevrotines lui cribla la poitrine et le ventre, mais, avant d'avoir le crâne fendu en deux jusqu'au milieu du visage par le fer de hache qui l'acheva, l'imprudent exorciseur, revenu trop tôt, eut le temps de hurler d'un trait ce qui l'avait amené là :
- Et mes quat'derniers louis !...

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France.
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