A l'heure où les employés de bureau préfèrent s'inonder de courriels plutôt que de pousser une porte pour se parler de vive voix, il peut être opportun de se remémorer les prémices des transmissions modernes. Alphonse Allais, l'homme qui a inventé le coton noir pour les oreilles des personnes en deuil et l'aquarium en verre dépoli pour poisson timide, relate à ce propos une anecdote prémonitoire.
Vers la fin du XIXe siècle, à Londres, deux bureaux télégraphiques se font face dans la même rue. Le premier dessert le câble Londres-Paris, via Douvres et Calais ; le second assure la liaison Londres-Bruxelles, via Ostende. Un jour, constatant qu'il a oublié sa pipe en face, Alfred Stewart adresse un message à son collègue de Douvres, le priant de le faire suivre à Paris, puis à Londres, via Bruxelles. Après avoir parcouru plus de mille kilomètres, le câble parvient finalement de l'autre côté de la rue . Dis-moi, Fred, j'ai oublié ma pipe chez toi. peux-tu demander à ton assistant de me la rapporter ? Quelques minutes plus tard, Alfred Stewart tire avec délectation sur sa précieuce bouffarde.
Autre histoire édifiante à méditer par les intoxiqués du téléphone portable. Dans les années 1845, le philosophe Henry David Thoreau s'étonne de voir des ouvriers planter des poteaux télégraphiques à proximité de la cabane qu'il occupe près de l'étang de Walden, dans le Massachusetts : "Nous relions par câble Boston à la Nouvelle-Orléans pour que les gens puissent se parler", lui explique un ouvrier. Thoreau réfléchit longuement puis demande : "Êtes-vous sûrs au moins que les gens de Boston ont quelque chose à dire à ceux de la Nouvelle-Orléans ?"