Véritable légende vivante, Joyce Hatto fut considérée durant les vingt dernières années de sa vie comme la plus talentueuse pianiste de Grande-Bretagne. Mais alors qu'une centaine de disques, sortis sous le label de son mari, lui assuraient gloire et fortune, aucun de ses fans n'eut la chance de l'applaudir en concert. Car, atteinte d'un cancer en 1980, la virtuose estimait "inconvenant de se montrer en public et d'exhiber sa maladie". Après son décès, en 2006, à l'âge de soixante-dix-sept ans, les critiques musicaux lui ont rendu unanimement hommage. Avant de s'interroger sur son étrange carrière : comment, en effet, une modeste instrumentaliste des années 1950-1960 avait-elle pu se transformer en interprète de génie, tout en étant clouée au lit par la maladie ? Plus perspicace que ses confrères, Andrew Rose, chroniqueur au magazine Gramophone, glissa un jour un CD de Joyce Hatto dans son ordinateur et l'écouta attentivement. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le logiciel iTunes qu'il utilisait identifiait comme interprète un autre pianiste. Répétant l'expérience avec d'autres enregistrements et obtenant les mêmes résultats, Rose demanda son avis à un spécialiste en analyse acoustique. Rendu public, le verdict de l'expert fit l'effet d'une bombe : les CD de Joyce Hatto n'étaient que d'habiles mixages d'enregistrements anciens. Une fois le scandale révélé, le critique musical du Daily Telegraph a enfoncé le clou : "Comment se fait-il que personne ne se soit étonné que Joyce Hatto ait pu enregistrer une centaine de disques dans le minuscule studio de son mari, une pièce à peine capable d'accueillir un quatuor, alors que la musique qui était censée y être enregistrée était celle d'un orchestre symphonique !"