Il y avait une fois un jeune homme qui voulait se marier. Il recherchait des jeunes filles, mais aucune ne voulait de lui, car il était un peu sot et aussi fort goulu. Enfin, il en trouva une à qui il convenait assez. Et ils se mirent d'accord pour passer fiançailles, régler la question de la dot de la jeune fille et parler du bien du galant. Le garçon alla trouver un de ces amis :
- Ecoute, lui dit-il, il va falloir que tu me serves aujourd'hui de marieur. Je vais passer fiançailles chez une fille, mais j'ai peur que son père ne veuille pas de moi, car je ne suis pas assez riche. Alors, quand je viendrai à parler de mon bien, tu m'en donneras toujours le double. Si je dis une paire de vaches, tu diras : "Deux paires de vaches, vous avez !" Et toujours ainsi.
- Bien, je le ferai, lui répondit l'autre.
- J'ai aussi une autre chose à te demander : tu sais que je suis gros mangeur et que, quand je commence, je ne sais plus m'arrêter. Je ne voudrais pas passer pour gourmand dans cette maison. Aussi, à table, quand tu verras que j'ai assez mangé, tu me pousseras du pied. Ainsi, je m'arrêterai.
- Je le ferai aussi, dit l'autre.
Chez la jeune fille, on invita à souper le jeune homme et le marieur. Mais, on n'avait pas encore fini de manger la soupe qu'un chien vint à passer sous la table et frôla de sa queue la jambe du garçon ... Aussitôt, le nigaud posa sa cuiller et cessa de manger.
- Mais, qu'avez-vous, garçon ? Pourquoi ne mangez-vous plus ? lui demandèrent ses hôtes, tout surpris.
- Oh ! j'ai assez mangé, dit-il. J'ai pris ce qu'il me fallait.
Et il ne voulut plus avaler une bouchée de plus. Il mourait de faim, mais il laissa passer tous les plats sans y toucher. Après le repas, le père de la jeune fille se mit à parler du bien du prétendant.
- J'ai un champ ... disait le garçon.
Le marieur lui coupa alors la parole :
- Un champ ! Vous voulez dire deux champs, mon ami ! Et deux grands champs, encore !
Ensuite, ils vinrent à parler du bétail :
- J'ai une centaine de brebis ...
- Deux cents brebis ! fit le marieur. Vous voulez dire deux cents. Et le plus beau troupeau de la lande ... Du bétail gras et bien sain ...
- Oh ! deux cents têtes de brebis, c'est quelque chose ! faisait le vieux.
Le galant était tout heureux. Mais, voilà qu'en voulant étendre les jambes sous la table, il donna un coup de pied au chat qui y rongeait des os. Ce chat, furieux, donna un grand coup de griffe au garçon.
- Aïe ! fit celui-ci en se frottant la jambe. Ce diable de chat m'a fait bien mal ! Il m'a égratigné le mollet où j'ai justement une petite plaie ...
- Une petite plaie ! s'écria le marieur. Vous voulez dire que vous avez les deux jambes pourries !
Cela ne convint pas au vieux, qui ne voulut plus de ce garçon pour gendre. Et les deux sots durent rentrer chez eux.
Le conte du galant sot
Et de son marieur
S'acheva ici.
Félix ARNAUDIN, Contes populaires de la Grande-Lande, 1966-1967
Conté en 1903 par une veuve d'Escourse, Marianne de MARIOULAN, âgée de 81 ans
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