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 Le bassin d'or

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Le bassin d'or   Le bassin d'or EmptyMar 2 Jan - 10:19

(récit du faucheur)


Un vieux faucheur, assis auprès de nous sur le gazon de la prairie, nous disait un soir, tout en battant le fer de sa faux :
- O vous qui hochez la tête, ou qui avez l'air de rire quand un ancien raconte devant vous les merveilles du temps passé, allez, donc, en revenant de dire vos prières à Rumengol, allez, par un beau clair de lune, dans la forêt du Kranou ; allez plus loin que les ruines de l'Ermitage ; approchez-vous sans bruit des pierres et des dolmens qui sont là couchés sous les ronces ; écoutez au milieu du silence du soir... Vous ne verrez venir ni le ramier bleu, ni le dragon à trois têtes, ni le nain noir qui gardait le bassin d'or ; mais vous verrez passer les ombres des aventuriers morts dans ces lieux, les ombres des soldats francs tombés sous les coups de Lez-Breiz et de son page ; vous entendrez leurs gémissements et leurs soupirs.
Je me hâtai, en voyant le sourire de l'incrédulité monter aux lèvres de mes jeunes amis :
- Qui oserait douter de vos discours et rire des choses terribles que vous savez et que vous allez nous conter, n'est-ce pas ?
Réssuré par mon air sérieux, le vieux faucheur prit la parole :
Il est bon de vous dire qu'autrefois, il y a mille ans et plus, tous les jeunes paotred qui avaient du foin dans leurs galoches (expression qui désigne les paysans aisés) s'arrêtaient, en revenant de Rumengol, au village de Quimerch. Ils ne manquaient pas d'entrer chez Yvon ar pindivik (le riche) et, connaissant très bien son avarice, ils lui offraient poliment du butun mad (bon tabac) pour avoir le temps de voir sa fille, la bonne et charmante Bellah, en lui faisant les yeux doux. Yvon fumait tranquillement une pipée, puis il prenait le joli garçon par la main et lui disait :
- Kénavo (au revoir), l'ami ; garde des yeux bleus et les soupirs de ton coeur : Bellah est la fiancée du Billig Aour (du Bassin d'Or), elle est promise à celui qui lui apportera en dot le beau bassin qui change en or le cuivre et le fer ; il se trouve au château de Kerivaro (Ker-ivaro, village de la mort), dans la forêt du Kranou. Tiens, voilà le chemin...

A ces mots Yvon plantait là le camarade et refermait promptement sa porte. Souvent le pauvre innocent allait errer dans la forêt, s'y égarer et mourir ; d'autres plus finauds partaient pour consulter les sorciers, chercher un louzou ou autre chose, mais aucun ne revenait. Bellah soupirait tristement et commençait à avoir peur de rester fille.
Un soir cependant un jeune paysan, orphelin, sans bien ni rente, mais d'une figure d'ange et d'une piété de saint, passa devant la maison de Bellah, se rendant à Rumengol en pélerinage. la pennérèz (héritière) pensive, à la petite fenêtre, regardait les nuages passer et les oiseaux voler dans le ciel. Le petit voyageur accablé de fatigue s'assit sur la pierre devant la porte, souhaita le bonsoir à la paysanne et lui demanda des nouvelles de toute la maisonnée. Yvon était absent. Les jeunes gens causèrent sans témoins... Que se dirent-ils ? Nous n'en savons rien ; toujours est-il que Lanik (c'était le nom du petit pélerin) s'éloigna joyeux de la maison, en regardant une bague qu'il n'avait pas avant d'avoir causé avec Bellah. Il se rendit à Rumengol, fit bien dévotement ses prières, trempa son anneau dans le bénitier et s'en revint à la nuit close. Il se dirigea vers la forêt du Kranu, s'étendit sur la fougère et attendit le petit jour. A son réveil, quel fut son étonnement de voir, perché sur une branche, à deux pas de lui, un beau ramier bleu qui roucoulait en le regardant. Lanik admira le bel oiseau pendant quelques minutes, puis il se leva et prit le premier sentier qui s'offrit à ses regards ; mais le ramier alla se placer encore sur un buisson voisin, en battant des ailes avec tant de force que le paysan s'arrêta tout surpris. Changeant alors de direction, le ramier voltigea doucement devant lui et Lanik le suivit instinstivement. Il s'amusait à tailler avec son couteau une branche de houx et en faisait une petite croix blanche. Bientôt il aperçut à travers les arbres les hautes tourelles et le colombier d'un manoir.
- C'est sans doute Kerivaro, se dit tout bas Lanik, et il fit le signe de la croix en pensant à Bellah qui devait prier pour lui.
Alors, il ne put voir sans trembler que les murs avaient cent pieds de haut, et que les portes, brillant au soleil, paraissaient doublées d'argent et de fer ; de plus, il vit au-dessus du grand portail un korrigan dû (nain noir) qui avait un oeil sur le milieu du front et un oeil derrière la tête, si bien que quand un oeil dormait l'autre veillait ; et ce vilain moricaud, tout tortik (tordu, bossu), tenait une longue lance à la main. Mais comme Lanik était à deux cents pas du château, il continua de marcher sans crainte. Tout à coup, la lance de nain s'abaissa de son côté et s'allongea tellement que c'en était fait de notre imprudent, s'il n'eût tendu en avant son bras armé de la petite croix blanche. Frappé de surprise et d'effroi, le pauvre enfant regarda le ramier bleu, qui, perché sur un buisson, l'observait et semblait dire par les battements de ses ailes : voilà un pauvre génaouek (nigaud).

Pour lors (alors, pour lors, neuzé, en amzér-zé. Il faut pardonner la répétition de ces mots dans nos récits. Le conteur breton s'en sert à chaque phrase.) il se rappela que le recteur, en chaire, avait dit que la patience et la vertu triomphent de tous les obstacles et des pièges du démon ; il se mit à genoux pour dire un Pater, et ensuite il s'assit sur ses sabots pour réfléchir. Le pigeon bleu commença sous le feuillage ses tendres roucoulements. Lanik ne trouva rien de mieux que d'imiter son compagnon emplumé et chanta plusieurs cantiques bretons ; le ramier roucoulait plus fort ; le petit paysan, en souvenir de Bellah, entonna l'air de Cornouailles :
Ann hini gouz e va dous,
Ann hini iaouank a zo koant.

(La vieille est ma douce,
La jeune est jolie...)
Alors, le korrigan, qui sans doute aimait la gavotte, se mit à danser et à se trémousser sur le rempart. Le chanteur riait tout bas dans son coeur de la danse de ce vilain être - car c'est fort drôle, un nain bossu qui danse sur un mur - mais, à la troisième gavotte, la lance du monstre lui échappa des mains et roula sur la terre ; de peur qu'il s'en aperçût, Lanik continua le bal par un jabadao, si bien qu'épuisé de fatigue, le korrigan tomba sur le mur tout de son long en soufflant comme un pémoc'h (porc). Lanik chanta encore quelques airs plus doux, puis une complainte bien triste, dont les accents endormirent le bossu qui poussa bientôt des ronflements effroyables. Le chanteur s'avança alors, vers le manoir ; mais comment ouvrir une porte aussi solide ?
Le sommeil du nain était tellement agité qu'il avait l'air de vouloir danser encore ; à force de se tourner et retourner, il roula sur le mur et tomba au pied du rempart. Le petit paysan vit avec frayeur s'ouvrir un de ses yeux. Il se dit que le salut de tant de chrétiens, que ce monstre avait tués, lui commandait d'agir sans peur, et saisissant la lance du korrigan, il le cloua contre la terre. Ce ne fut pas sans regret, pour le sûr, car notre garçon était humain et n'aimait ni à dénicher les nids, ni à martyriser les bêtes, comme tant de méchants enfants.

Quand le nain fut bien mort, Lanik saisit le trousseau de clefs qui pendait à sa ceinture, choisit la plus grosse, et ouvrit le portail : il vit une cour immense, et au milieu un dragon attaché par une chaîne dont les anneaux s'allongeaient de manière à lui permettre d'atteindre aux coins les plus reculés de la cour. Au surplus, le dragon lançait du feu par ses trois têtes. La place était couverte des ossements d'une foule d'hommes venus là pour le bassin d'or et dévorés par le dragon et par le korrigan. Le jeune garçon avait bien pour se défendre la lance du nain mort, mais, outre qu'elle ne s'allongeait plus dans ses mains, il n'aurait jamais eu ni la force ni le courage de soutenir un pareil combat. Il fit une prière mentale, et se repentit d'avoir commis un meurtre inutile. Il se prit même à pleurer et fouilla sa poche pour y prendre son mouchoir : au lieu de ce pillot, il y trouva une galette de blé noir qu'il avait oublié de manger la veille à son souper, tant les affaires l'occupaient déjà. Comme il n'avait pas encore faim, il cassa en deux sa galette et en jeta la moitié au dragon qui la dévora subitement avec des grognements de satisfaction. Pour un pauvre innocent de Cornouaillais, ne sachant guère que manger des mûres ou des guignes, et hâner ses prières, vous allez voir que Lanik n'était pas trop bête : il se dit que puisque le dragon avait gloutonné la première moitié de sa galette avec tant de plaisir, il avalerait la seconde sans y regarder davantage. Là-dessus il sortit de la cour, arracha du bout de la lance un fer pointu et tranchant des deux côtés, enveloppa ce fer dans le morceau de galette, après avoir tracé par-dessus un signe de croix avec sa bague, et rentra dans la cour ; puis, montrant au dragon alléché le morceau friand qu'il avait préparé, il se rapprocha un peu, et lui dit : Dragounik-kez (Cher petit dragon).
Le monstre à trois têtes ouvrit sa gueule du milieu, de peur de manquer une aussi belle proie, que Lanik y lança vivement et qui fut engloutié d'un seul trait ; mais au bout de trois secondes, les yeux de ce lontek (glouton) s'allumèrent ; des flots d'écume, de feu et de sang sortirent avec des sifflements affreux de ses trois têtes ; le paysan effrayé s'enfuit et referma le portail pour ne pas être témoin de cette hideuse agonie. Le vacarme dura longtemps dans la cour de Kerivaro, car le monstre avait la vie dure ; le ciel était couvert d'oiseaux de proie attirés par l'odeur de ce carnage inusité ; à la fin, les hurlements diminuèrent, s'affaiblirent et tout rentra dans le silence. ce ne fut qu'après trois quarts d'heure au moins que notre faézer (vainqueur) osa s'aventurer dans la cour ; il fit un long circuit dans l'enceinte remplie d'une fumée épaisse afin d'éviter le dragon qui brûlait encore, pareil aux ruines d'un incendie mal éteint. Il arriva enfin à la porte du manoir, où, après avoir soulevé un loquet d'or garni de clous du même métal il entra dans un vestibule spacieux et magnifique ; au milieu, sur un meuble charmant, d'un bois dont le nom est inconnu, se trouvait le billig aour (le bassin d'or) !... Lanik se saisit à la hâte de ce talisman précieux, et jetant les yeux dans la pièce voisine, il vit des choses si belles, des richesses si merveilleuses, qu'il allait y porter ses pas ; lorsque du dehors, les roucoulements plaintifs du ramier parvinrent à ses oreilles ; il s'arrêta sur le seuil, détourna ses regards éblouis, hésita peut-être uneminute, le pauvre enfant, et s'élança hors du château sans regarder derrière lui. Revenu dans la forêt, il se jeta à genoux en pleurant de joir, puis ayant fait une courte prière il releva la tête, et regarda de tous côtés : ô merveille ! les hautes murailles de Kerivaro avaient disparu, il n'y avait plus qu'un tas de cendres fumantes à la place où le dragon avait brûlé.

Pour en finir, car il est temps d'aller se coucher, mes amis, Lanik retrouva son pigeon bleu, qui vint l'aider à sortir de la forêt. Alors le ramier se changea, dit-on, en une belle dame, en une sainte. Elle lui apprit qu'elle était venue du paradis pour le protéger, parce qu'il était pieux, et pour chasser le démon qui régnait à Kerivaro, depuis le crime d'un ancien seigneur ; finalement la dame disparut dans un nuage bleu. L'heureux paysan rapporta le bassin d'or au vieil Yvon et ne tarda pas à épouser sa fille. Il y eut même de fort belles noces qui durèrent trois jours, et auxquelles assista celui qui a composé cette histoire. Il y eut des sonneurs, du lard, du cidre et de tout... Mais, hélas ! Yvon eut beau jeter chaque jour despièces de toutes sortes dans le bassin, jamais elles ne changèrent de nature, tellement que, trompé dans ses calculs d'avarice, il mourut de dépit et de chagrin.
Cependant, le bassin d'or n'en fut pas moins leprix de la piété de Lanik, et le bonheur qu'il lui procuta, en lui faisant épouser Bellah, valait à ses yeux mille fois plus que des métaux précieux.
- Sans doute, ajouta quelqu'un, mais je crois que quelques pièces d'or n'auraient pas fait de mal au ménage de Bellah.
- Pardonnez--moi, reprit le faucheur ; il resta au bon Lanik un bassin toujours plein d'or ; c'était son coeur, rempli de vertu de d'amour du travail ; exemple précieux que, mieux que la fortune, les pères doivent léguer à leurs enfants.

E. Du Laurens de la Barre, Contes, récits et légendes des pays de France
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