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 Les illusions

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Joa
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Joa


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Date d'inscription : 19/02/2006

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MessageSujet: Les illusions   Les illusions EmptyMer 3 Jan - 23:06

- Vous voilà bien pressé, Jeannin. Buvez encore un coup. Un verre de cidre n'a jamais fait de mal à un honnête homme. Etes-vous un honnête homme, oui-t-ou non ?
Jeannin se rassit à côté des deux autres buveurs.
- Voyons, racontez-nous ce que vous avez vu de beau à Cherbourg.
- Quelque chose de bien drôle. Il y avait une tente où l'on payait deux sous pour entrer. J'ai donné mes deux sous comme les autres et j'ai vu un homme qui s'enfonçait un sabre dans la gorge.
- Sans se faire mal ?
- Sans se faite de mal. Puis il y avait là une femme qui mangeait des volailles toutes crues, plumes et tout.
- Et tu crois ça, toi ? demanda un des buveurs.
- Certainement, je le crois, puisque je l'ai vu. J'en frémis encore.
- Tu l'as vu, soit, mais cela n'en est pas plus vrai.
- Comment ne pas croire une chose que j'ai vue ?
- Qu'est-ce que tu avais dans tes poches ?
- Dans mes poches ? Il y avait de l'argent, un couteau, des clés, de la ficelle, un petit pain.

- Tout cela n'est rien. C'est du poison qu'il faut avoir.
- Comment du poison ?
- Eh oui ! si tu avais eu du poison sur toi, un crapaud, un môron (salamandre terrestre), un môron plutôt, tu n'aurais pas vu ça.
- Eh non ! Tu aurais vu ce qui était et on t'a fait voir ce qui n'était pas. Ce sont des illusions que tout cela. Ces gens-là ont une poudre, ils la jettent dans l'air, ça vous éluge, ça vous fait voir ce qui n'est pas.
- Je n'ai pas vu de poudre dans l'air.
- Il y en avait tout de même. Est-ce que tu n'as jamais vu de foire danser ?
- Des foires qui dansent ?
- Eh ! sans doute. D'où ce que tu viens donc, que tu sais pas ça ?
- Toutes les bêtes prennent l'effoche, dit un des buveurs. Elles échappent à ceux qui les tiennent, courent et bouleversent tout. Les étaux sont renversés ; ceux qui comptent de l'argent le laissent tomber. Les voleurs ramassent ce qui leur convient et en font leur profit. Ce sont les magiciens qui font affoler les bêtes comme ça en jetant des poudres dans l'air.
- J'aime mieux le croire que d'y aller voir ; mais je ne saisis pas trop le rapport qu'il y a entre une foire qui danse et une femme qui mange des volailles crues.
- C'est que tu ne crois pas aux poudres qu'on lance en l'air. Moi, je te dis qu'il y a des poudres qui affolent, des poudres qui élugent, comme il y a de l'herbe qui égare. On jette cette poudre en l'air, puis, après cela, vous voyez tout ce qu'on veut. Mais ce que vous voyez n'existe pas. Tu ne veux pas me croire ? Ecoute. Tu connais bien Marie Toulorge ?
- La bonne femme qui demeure dans la petite maison au bas du hameau ?
- Oui. Crois-tu que ce soit une menteuse ? Non. Eh bien ! demande-lui si ce que je vais te dire est vrai.
Un jour, c'était dans la grande rue du bourg de Beaumont, il y avait sur la place des faiseurs de tours, un homme, une femme, un petit garçon. Ils faisaient toutes sortes de singeries, ils portaient des épées sur le bout du nez, chargeaient d'une main sur leurs épaules des poutres que deux hommes avaient bien de la peine à soulever et faisaient d'autres exercices. Mais ce qu'ils montraient de plus drôle, c'était un coq qui traînait une poutre. On lui avait attaché la poutre à la patte et il se promenait gravement avec. Tout Beaumont était là, et chacun se récriait. Marie Toulorge s'approcha comme les autres. Elle venait de ramasser, le long du chemin, de l'herbe pour donner à sa vache, car vous savez qu'elle n'est pas riche, et pour nourrir sa vache elle ramasse de l'herbe partout où elle en trouve ; elle en avait plein son devantet. Elle voit tout le monde rassemblé et qui se récrie : "Une belle affaire ! Voilà des gens bien étonnés de rien. Un coq qui traîne un fétu !"

Le faiseur de tours comprit à qui il avait affaire ; il comprit que le charme n'agissait pas sur elle et pourquoi. Il s'élança vers Marie et la pria de lui montrer ce qu'elle avait dans son tablier.
- Eh bien ! il y avait de l'herbe.
- Vère, mais il y avait aussi un môron, qu'elle avait ramassé sans s'en apercevoir, et c'est ce qui avait détruit l'illusion. Le faiseur de tours prit le môron et le jeta dans la rue, et Marie Toulorge vit le coq traîner une poutre comme tout le monde. Si tu avais eu du poison sur toi quand tu es entré dans la tente, tu aurais probablement vu que ce qui vous paraissait une poule vivante, c'était peut-être un petit pain.
- Mais j'ai entendu dire que le môron n'est pas poisonneux.
- Je te conseille de t'y fier ! Tu sais bien la maison qui est tout au bas du hameau et où il ne demeure plus personne ? Sais-tu pourquoi on n'y demeure plus ? C'est que tout ceux qui s'y établissent y meurent. Et sais-tu pourquoi ils meurent ? C'est qu'il y a un nid de môrons, une môronnière par-dessous, dans la terre.
- Il y en a qui prétendent que le crapaud est plus poisonneux que le môron.
- Ils ne savent ce qu'ils disent. Tu connais le dicton :
Si taupe voyait,
Si môron entendait,
Homme sur terre ne vivrait.
Une fois il y avait un homme qui était condamné à mort. On voulut faire une expérience. On le mit sous un van et on lâcha auprès de lui un crapaux et un môron. Le crapaud tourna autour du van, essaya de le soulever pour atteindre l'homme, et, n'y réussissant pas, il s'en alla. Le môron tourna aussi autour du van en tâchant de découvrir un trou pour passer. N'en trouvant pas, il alla se planter sur le van, là où était le coeur de l'homme, tout droit sur la tête, comme quelqu'un qui plante la fève, puis il s'éloigna. On retira la van : l'homme était mort.
- On m'a raconté une drôle de chose à propos du môron. On dit que s'il vous saute à la joue et vous mord, il reste attaché là, et que, si on l'arrache de force, on en meurt. J'ai entendu parler d'une fille qui portait comme ça un môron à la joue dans un petit fourreau qu'elle lui avait fait faire.

- Ce n'est pas moi qui l'aurais embrassée sur l'autre joue pendant qu'elle portait cette bête-là. Mais est-ce qu'elle est morte avec ?
- Non. On fit chauffer des fers tout rouges et on les approcha de la joue. Le môron se mit à suer, mais il ne lâcha pas prise, pourtant cela finit par l'ennuyer, il sauta à terre et on le tua.
- Ah ! çà, toi qui sais tout, explique-nous donc ce que c'est que ces crapauds, que les petits garçons vont battre à l'église le mercredi, le jeudi et le vendredi saint ?
- Tu sais bien qu'il n'y a pas là de crapauds, mais de vieux bancs que les uns tapent à grand coups de maillets, tandis que les autres font un tapage infernal en faisant tourner leurs bries, leurs grues, comme tu voudras les nommer.
- A la ville on appelle ça des crécelles.
- A la bonne heure ; mais ça ne nous dit pas pourquoi on va faire tout ce tapage-là dans l'église, après l'office des Ténèbres.
- On m'a dit que c'était pour signifier les éclairs, les tonnerres, le désordre qu'il y eut dans la nature à la mort de Notre Seigneur ; je n'en sais pas plus long.
- Mais pourquoi nomme-t-on cela capuchiéi les crapauds ?
- Je l'ai demandé à de plus savants que moi, qui n'en savaient rien.
- C'est égal, je ne sais pas pourquoi le bon Dieu a fait toutes ces bêtes-là. On devrait bien les détruire toutes.
- Et les élugeurs de gens, comment les reconnaîtront-on sans elles ? Bah ! ce que DFieu a fait est bien fait.

Jean Fleury, Contes, récits et légendes des pays de France.
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