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 Conversation recueillie dans un cabaret

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Conversation recueillie dans un cabaret   Conversation recueillie dans un cabaret EmptyMer 3 Jan - 23:11

- Ainsi, vous, douanier, vous n'avez peur de rien pendant les nuits que vous restez dehors à vous promener dans les falaises ?
- Oh si ! J'ai peur des fraudeurs, qui pourraient bien me donner un coup si je les gênais.
- Sans doute, mais les visions, les goublins, les milloraines, vous n'en avez pas peur ?
- J'en aurais peut-être peur comme un autre, si je me trouvais bec à barbe avec tous ces êtres-là, mais je n'ai jamais eu le plaisir d'en rencontrer.
- Vous n'avez pas vu les fées sortir la nuit de la roche du Câtet, des falaises de Jobourg et autres ? Vous ne les avez pas vues laver leur linge dans la vallée du Hubilan ? Vous ne les avez pas entendues s'entr'appeler ?
- Jamais.
- Vous n'avez jamais marché sur male herbe, jamais rencontré la Demoiselle sur la lande de Tonneville, ni aperçu le sabbat sur la lande de Flottemanville ?
- Pourquoi ne me demandez-vous pas si je n'ai point vu Gargantua enjamber du cap Lévy à la roche du Câtet, ou si je n'ai jamais rencontré dans le bois de Varengrou l'homme sans tête, qui tient une bouteille à la bouche, et s'en va, criant : "Hélas ! Hélas !"
- Ca, c'est bon à dire aux petits enfants. Mais le carrefour entre Gréville et Nacqueville, est-ce que vous y passeriez bien à minuit, un jour de Noël ?
- Pourquoi pas ? J'ai veillé autrefois à peu de distance des trois menhirs de Cosqueville et de Saint-Pierre-Eglise, qu'on appelle le "Mariage des trois princesses". Je ne les ai jamais vus tourner comme on prétend qu'ils tournent. Je me suis trouvé pendant la messe de minuit auprès d'étables, et je n'ai jamais vu les animaux interrompre leur sommeil et s'agenouiller, comme on prétend qu'ils le font.

- Mais si vous rencontriez le varou, est-ce qu'il ne vous ferait pas peur ?
- Je ne rencontrerai jamais le varou. Mais si je rencontrais à sa place quelque mauvais plaisant qui entreprît de me faire peur, je le corrigerais d'importance.
- Mais à la Fosse-Yvon, au croisement de la route de Beaumont à Cherbourg, et de celle qui va à gréville, est-ce que vous aimeriez à passer là le soir ? Vous savez qu'il y est arrivé quelque chose de bien étrange !
- On m'en a parlé. Mais je l'ai oublié.
- Comment peut-on oublier ça ? On y avait trouvé un homme tué, un inconnu. Le curé de Branville et celui de Beaumont, qui passaient par là un soir, voulurent voir l'endroit.
- C'est là, sur cette paille, que l'homme assassiné était couché, dit le curé de Branville.
- Tu viendras t'y coucher toi-même, dit une voix qui partait on ne sait d'où.
Le curé de Beaumont était venu reconduire le curé de Branville jusque-là. Il marcha encore un moment avec lui, puis retourna sur ses pas et rentra à son presbytère. Le curé de Branville continua sa route quelque temps, mais il sentit comme une force inconnue qui le poussait à rebrousser chemin et aller se coucher sur la paille où l'on avait trouvé l'homme assassiné. On l'attendit vainement chez lui toute la soirée. Comme on savait qu'il était allé la veille chez le curé de Beaumont, on alla demander à celui-ci s'il ne savait pas ce qu'était devenu son confrère. Il se souvint de la voix. On alla à la Fosse-Yvon. Le curé de Branville y était, couché sur la paille et comme endormi. On le releva, on le fit monter à cheval, mais pendant qu'on le relevait, on entendit une voix qui disait : Bien t'en prend de t'être signé avec la patène, sans cela tu ne te serais jamais relevé.
- Comment expliquez-vous cela ?
- Je ne l'explique pas du tout. Je l'aurais peut-être expliqué si je m'étais trouvé là, mais je n'y étais pas. Et s'il y avait quelque chance d'être assassiné, franchement, j'aime autant ne m'y être pas trouvé.
- Vous ne croyez donc pas que le diable puisse être pour quelque chose là-dedans ? Vous ne croyez pas aux enfants vendus au diable dès leur naissance et qui deviennent malgré eux mauvais sujets ? Comment expliquez-vous, par exemple, que Chouni Bavalon ait accouché d'un petit monstre tout noir qui, à peine né, se mit à courir par la chambre et disparut sous le lit sans qu'on l'ait jamais revu ?

- Le cidre est bon ; Jean-Pierre. A votre santé !
- A la vôtre, douanier. Mais voyons, pendant les nuits d'été, il n'est pas que vous n'ayez entendu quelquefois la chasse Hêle-tchien !
- Qu'appelez-vous la chasse Hêle-tchien ?
- Une chasse qui se fait dans l'air. On entend les chiens aboyer, les chevaux hennir, les hommes crier. C'est une chasse comme il y en avait autrefois avant l'invention de la poudre.
- Où la voit-on cette chasse ?
- Dans l'air, je vous ai dit. Quelques-uns prétendent qu'ils ont vu des chiens, des chevaux, des hommes passer comme une foudre. Les autres disent qu'ils ont seulement entendu le bruit sans rien voir.
- J'ai parfois entendu des bruits bizarres et comme des cris étranges pendant les belles nuits ; mais je n'ai jamais vu ni entendu la chasse Hêle-tchien. Je crois que ce que j'ai entendu, c'étaient tout simplement des cris d'oiseaux, d'oiseaux de passage qui voyageaient en se rendant à leur destination, à moins que ce fussent des oiseaux officiers donnant des ordres à la colonie émigrante.
- Vous avez dû voir les oies de Pirou ? Elles passent ordinairement par ici.
- Pirou ? je connais un château de ce nom sur la côte, en face de Jersey. Je n'y ai pas plus vu d'oies que partout ailleurs.
- C'est que vous n'y êtes pas allé dans la saison, du mois de mars au mois de mai ?
- C'est vrai. Mais qu'est-ce que les oies de Pirou ont de particulier ?
- Ce sont des gens bien malheureux.
- Des gens ?
- Oui des gens. Vous avez entendu parler de personnes qui en savent assez pour se changer en bêtes, mais qui n'en savent pas assez pour redevenir des hommes !
- J'ai connu des gens que j'aime bien, qui se changent parfois en bêtes ; mais il leur suffit pour cela d'aller au cabaret.
- Vous dites ça pour moi parce que vous buvez sec, vous, tandis que je perds bien vite la boussole. Mais je vous parle de gens qui sont devenus des lièvres, des chats, des lapins et qui n'ont jamais pu reprendre la forme humaine.

- Je n'ai jamais connu pour ma part.
- Eh bien ! les oies de Pirou en sont là.
Du temps que les hommes du Nord venaient tout piller et ravager chez nous, ils voulurent prendre le château de Pirou. Ceux qui étaient dedans se défendirent d'abord, mais quand ils virent qu'il n'y avait plus d'espoir, ils n'hésitèrent plus. Il y avait parmi eux une magicienne qui leur offrit de les changer en oies ; ils acceptèrent, il leur poussa des ailes et les voilà partis, si bien que les Normands, quand ils entrèrent, trouvérent les oiseaux dénichés. Par malheur, la magicienne qui savait la formule pour les changer en oies ne savait pas celle qui pourrait en refaire des hommes. Oies elle les a faits, et ils sont restés oies, mais ils n'ont pas oublié leur patrie et chaque année on les voit revenir. On les reçoit avec l'hospitalité qui est due à leur malheureuse situation. Elles pondent, elles couvent, elles s'envolent sans que personne les dérange. Ce que je vous dis là n'e'st pas nouveau, c'est imprimé et imprimé dans un vieux livre.
- Vous faites bien de me le dire, j'aurais été capable de leur envoyer un coup de fusil au passage.
- Comme aux corbeaux qui depuis des centaines d'années faisaient leurs nids sous la roche du Câtet ?
- Vous ne respectez rien. Vous mourrez dans la peau d'un fier incrédule si le bon Dieu ne vous amende.
- A votre santé, Jean-Pierre !
- A votre santé douanier !

Jean FLEURY, Contes récits et légendes des pays de France.
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