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 Le filleul de la mort

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Le filleul de la mort   Le filleul de la mort EmptyLun 22 Jan - 15:28

Les monts de Bretagne, que l’on nomme montagnes Noires et d’Arhez, sont peu remarquables comme hauteur ; mais leurs pentes, sans être très rapides, sont accidentées, désertes, semées de rochers énormes, coupées par des ravins profonds, de sombres cavernes et des gouffres mystérieux où les torrents tombent en grondant après les tempêtes de l’automne et les neiges de l’hiver…
Au sud de la chaîne d’Arhez, sur ses vastes anneaux qui s’inclinent vers Carhaix et entourent de leurs orbes gigantesques le grand marais du Mont Saint-Michel, l’aridité de ce sol tourmenté disparaît sous le feuillage des bois touffus et la verdure des vallons ombreux… Bois et vallons jadis enchantés, aujourd’hui hantés par des spectres lamentables, des nains moqueurs et des démons cruels dont les ricanements nocturnes figent le sang du voyageur attardé…
Plus loin vers le midi, en approchant de la mine abandonnée de Poullaouen, on rencontre les bois du Huelgoat et les cascades de Saint-Herbot ; lieux solitaires où passent, comme les frissons de la nuit, de vagues et plaintives rumeurs ; sites pittoresques entre tous, mais trop peu connus, et que les Bretons aiment à comparer aux vallées de la Suisse ou du Tyrol.
Enfin, si l’on se dirige vers le couchant, on aperçoit dans le lointain la rade de Brest et les plaines bleues de l’Océan. La montagne d’où l’on domine ce panorama immense s’assombrit encore. Les roches sont plus grandes et plus nombreuses ; les crevasses d’où suintent les sources, plus profondes et plus mouvantes. La bruyère rougie est brûlée par les rafales marines… Ah ! c’est un beau théâtre pour les scènes de nos contes et de nos légendes. Aussi les traditions y abondent-elles, lugubres et parfois tragiques. C’est bien là le berceau des fantômes bretons, où nos petits drames nous ramènent souvent.

1

Il y avait jadis, dans la paroisse de La Martyre, un pauvre homme, père de famille s’il en fut, car il en était à son treizième : pas de chance, comme le disait à tout propos. Il avait usé en qualité de parrain et de marraine de tous ses parents, de tous ses amis, et se trouvait à bout dans ce genre, si bien que le treizième courait grand risque de ne pouvoir être baptisé.

Il alla donc en passant au bourg trouver le recteur et le pria d'attendre jusqu'au lendemain à midi, vu qu'il voulait trouver le patron nécessaire pour faire un chrétien de son treizième, qui, par malheur, paraissait avoir bonne envie de vivre.
Sur le haut de la colline, Laou rencontra, au milieu d'un brouillard qu'une lueur étrange illuminait, un affreux personnage, qui lui dit aussitôt :
- Laou, tu cherches un parrain pour ton treizième, me voilà, si tu veux ?
- Je ne dis pas non, répondit Laou, mais je voudrais au moins savoir qui tu es ?
- Moi, je suis le diable et je puis donner la fortune à mon filleul.
- Ah ! tu es le diable : pour lors, pas de chance ! Je ne veux pas de toi, car je veux un homme juste pour parrain de mon fils.
Et Laou continua son chemin.
Un peu plus loin, il vit venir à lui sur la route un monsieur distingué, un vrai seigneur, tout habillé d'or et d'argent, avec une figure brillante comme le soleil. Laou allait passer en tirant son chapeau, quand le monsieur lui dit :
- Mon ami, vous cherchez un parrain pour votre enfant, le treizième (et c'est une bénédictiond de Dieu) ; je suis prêt, si vous voulez ?
- Volontiers, dit Laou étonné ; mais auparavant dites-moi qui vous êtes ?
- Je suis Jésus, mon ami, et cela doit te suffire.
- Non pas, non pas, Seigneur, je suis fâché de vous le dire, car je suis chrétien, mais vous n'êtes pas juste non plus...
- Comment, je ne suis pas juste !
- Non... voyez, moi, j'ai treize enfants - pas de chance - et pas de pain à leur donner, tandis que le maître du manoir de la Roche n'a qu'un pauvre petit qui est tout chétif.
- Pauvre homme aveugle, murmura le Christ en s'éloignant... aveugle qui oublie la récompense du ciel...
Plus loin encore, en passant au bord du sombre marécage, sous les tours du château, par un temps lugubre, Laou aperçut un fantôme ambulant, un squelette blanchi dont les os craquaient à chaque pas. Il portait une grosse montre taillée dans un crâne.

- Arrête, Laou ! lui dit le spectre. Tu cherches un donneur de nom pour ton treizième ; tu ne trouveras pas meilleur que moi.
- Qui êtes-vous donc, l’homme maigre ? répondit Laou en grelottant à sa vue.
- Moi, je suis faucheur de mon état.
- Ah ! vous êtes faucheur, c’est comme moi dans le temps des foins.
- Oh ! fit le vieux fantôme moi je ne fauche que l’herbe de cimetière : je suis Fanch Ann-Ankou (Fanc-la-Mort).
- C’est bon ! c’est bon ! dit Laou. J’accepte, car vous êtes juste, vous du moins : vous avez même justice pour les riches et les pauvres, les forts et les faibles… j’accepte : venez…
Il fallait voir l’horrible faucheur rire, mais rire jaune, en poussant l’aiguille de sa montre, qui ne va jamais assez vite à son gré.

2

Le treizième enfant de Laou fut nommé Fanch, du nom de son parrain. Après le baptême, le pauvre homme donna un souper, souper de pauvre, avec de la bouillie de blé noir et des pommes de terre arrosées de cidre doux. Pourtant, on dit que Fanch-le-Squelette avait une si vieille soif et qu’il but tant de cidre pour réchauffer ses vieux os qu’à la fin il ne grelottait plus et causait presque comme un vivant.
Enfin, entre deux chopines, Fanch-la-Mort, naturellement ennemi (d’autres disent ami) des médecins, en vint à son idée fixe et dit à Laou qui le consultait sur le métier à apprendre au nouveau-né :
- Vois-tu, Laou, faudra faire un apothicaire de ton fils. Bon métier, mon vieux !
- Vous voulez rire, Fanch ? C’est un état de rien.
- Ca dépend de la manière, reprit le faucheur funèbre. Auprès de moi les apothicaires sont des ânes, sauf le respect que je leur dois.
- Oh ! oh ! fit Laou ; comment cela ?
Le maigre fantôme, plus expansif à mesure qu’il buvait plus de cidre, répondit :
- Voilà : ils me laissent toujours place à la tête du malade et s’en vont d’habitude vers les pieds.
- C’est afin de mieux voir la figure apparemment.
- Peut-être, mon vieux ; mais si vos médecins ne perdaient pas la tête, moi je n’aurais plus que les pieds et le malade guérirait facilement, tu comprends ?

Là-dessus, Fanch-la-mort, sans doute gris pour la première fois de sa longue vie, se mit à rire comme peut rire la mort grise ; et après avoir regardé sa grosse montre, le fantôme s’en alla un peu de travers en titubant, dit-on, et en faisant claquer sa mâchoire.

3

Longtemps après (dix huit ans peut-être), le treizième fils de Laou Pas-de-chance, qui s’ennuyait à La Martyre, et semblait avoir trop d’esprit pour un paysan (je ne suis pas de l’avis de mon conteur, car j’estime que le paysan fait preuve d’esprit en demeurant à la campagne), déclara qu’il voulait être chirurgien, reboutou ou apothicaire, ce qui revient au même. Ce fut en vain que le recteur, qui lui avait enseigné le latin et lui avait appris à chanter le Kyrie Eleison, dans l’espoir d’en faire un prêtre, voulut lui démontrer que la soutane est le meilleur habit de ce monde. Fanch, l’entêté, jura qu’il n’était pas filleul de la Mort pour rien, et qu’il serait médecin, naturellement à cause de la parenté. Il fallut bien lui céder, et son père lui ayant acheté des ciseaux, un couteau neuf, des tenailles, une flamme à saigner les chevaux et autres ustensiles nécessaires dans l’état, Fanch se disposa à partir. En embrassant pour la dernière fois son treizième, le père lui dit :
- Vois-tu, Fanchik, je m’en vais t’apprendre un secret que je tiens de ton digne parrain.
- Oh ! un secret d’Ann-Ankou, s’écria Fanch, non, non, mon père, je n’en veux pas ; ça me porterait malheur… Laissez faire : avant un an, vous aurez du tabac, des sabots neufs et du pain pour les douze autres…
- Pour lors, bonne chance, cette fois, mon fils, s’il plaît à Dieu.
Par malheur, le fils de Laou avait compté sans l’hôte du trépas… Ann-Ankou était plus alerte que son filleul. La mort est si prompte, si imprévue, si impitoyable, que Fanch arrivait toujours trop tard, et toujours il trouvait le vieux faucheur installé à la tête des malades. Pas de chance !…
Enfin, presque désespéré, Fanch apprit un jour que son parrain avait filé à Paris, et que le monde y mourrait comme des mouches. Voilà donc Fanch-Treize décidé à partir aussi pour changer la veine.

La grande route de Paris passe, comme vous savez, par la montagne d'Arhez ; et notre aventurier médecin, ayant aperçu en passant le toit de genêt de la cabane du bonhomme Laou, résolut d'aller lui demander la bénédiction paternelle. Sa mère était morte depuis longtemps.
- Mon pauvre père, lui dit-il, je n'ai ni tabac, ni sabots à vous donner ; mon parrain est plus vif ou plus fin que votre treizième...
- Pas de chance, mon fils, dit le bonhomme ; mais vois-tu, Fanch, si tu avais voulu m'écouter l'autre fois, tu aurais su le secret d'Ann-Ankou...
- Pour lors, voyons son secret ; ça doit être drôle ?
- Pas di drôle que ça, mon garçon. Ecoute : quand tu vas auprès d'un malade, faut tout de suite attraper sa tête ; car tu comprends que si tu laisses la tête à ton parrain, tu as beau frotter le coeur et tirer sur les pieds, le tour est bientôt joué, et le malade s'en va avec l'autre.
- Ma foi ! c'est vrai, dit Fanch, et gare à lui désormais.

4

Enfin Fanch-Treize arriva à Paris. Alors il vit des draps noirs à beaucoup de portes et apprit que le fils du roi était désespéré depuis la veille.
"Diable ! il est temps, se dit-il ; à qui la victoire, cette-fois ?... C'est ce que nous allons voir..."
Tout en méditant là-dessus, Fanch se rendit au palais du roiet frappa au grand portail. On répondit aussitôt :
- Qui est là ?
- C'est moi Fanch-Treize, de La Martyre.
- Treize ! point de Judas, dit la portière d'une voix enrouée, en mettant un oeil à la lucarne, on ne reçoit pas les gueux ici, martyrs ou autres ; d'ailleurs je suis enrhumée depuis la Toussaint ; ainsi tu peux filer.
- Vous êtes enrhumée, reprit le fils de Laou ; comme ça se trouve, moi qui suis chirurgien... pour les rhumes ; faites-moi donc, noble dame, le plaisir d'accepter ce petit présent.
En disant cela, le rusé passa par le guichet un joli morceau de ce louzou noir si cher aux vieilles enrhumées de tous les temps (remèdes ou herbes cabalistiques).

Les petits cadeaux font naître l’amitié, et la bonne femme, flattée autant du compliment que du cadeau, ouvrit le portail en dégustant le louzou noir. Une fois entré, Fanch se mit à faire jaser la portière, ce qui n’est pas difficile d’habitude, si bien qu’après cinq ou six jolies quintes de toux, la vieille apprit à notre aventurier que le fils du roi avait empiré, surtout depuis l’arrivée d’un grand sec qui ne quittait plus son chevet ; puis, que le monarque avait une fille jeune et belle comme le jour, et un vieux ministre, nommé Barrabas, ventru, grignou et tracassier comme tous ces gens-là, et qui gardait le lit en qualité de malade imaginaire.
« Bon ! voilà mon affaire, se dit Fanch, après avoir réfléchi. La chance tourne… » Puis il dit à la bonne femme, que le louzou noir avait amadouée :
- Ecoutez bien. Je me charge de guérir le fils du roi, mais à une condition : c’est que, tout à l’heure, dès que je serai installé auprès de lui, vous viendrez bien vite, en pleurant, en toussant, surtout en criant, dire au roi que maître Barrabas se meurt pour de bon.
- Ah ! fit la vieille commère, si c’était seulement vrai, il est si désagréable !
- Oui, reprit Fanch en riant, le ministre s’en ira avec l’autre, et votre rhume aussi, si vous m’obéissez, madame.
- Soyez tranquille, seigneur reboulou.
Trois minutes après, Fanch, ayant été introduit dans la chambre, vit son affreux parrain qui tenait la tête pâle du prince. Voilà donc la Mort et son filleul en présence. A qui resta la victoire ?…
La vieille arriva bientôt en criant de toutes ses forces que M. le ministre avait une attaque et qu’il allait trépasser pour sûr… Fallait voir Fanch-la-Mort, qui regardait la besogne du prince comme finie, allonger ses maigres jambes afin d’aller au plus vite soigner le gros Barrabas…. Mais au moment de sortir, il ordonna à son filleul de ne pas bouger de sa place avant son retour, ce qui ne devait pas être long, car il comptait bien faucher le ministre, si dur à cuire qu’il fût, en moins de cinq minutes. Le filleul jura qu’il ne changerait pas de place, et l’autre sortit en lui montrant sa mâchoire édentée et sa grosse montre, qu’on entendait marcher sans cesse…tic tac, tic tac
Vous croyez peut-être que notre ami Treize se trouva bien embarrassé puisqu’il avait juré de rester au pied du lit… Non, pour un reboutou de La Martyre, Fanch ne fut pas trop embarrassé : vite il prit le malade dans ses bras, lui fit faire un demi-tour sur son lit, et se mit à lui frotter la tête avec un louzou de première qualité. Une minute après, le fils du roi demanda sa pipe et un petit verre.

Ann-Ankou ne tarda pas à revenir en faisant claquer ses os d'un air content, et reprit sa place sans regarder sous les rideaux. Il tenait sa grosse horloge à la main, l'horloge qui mesure à tous et le temps et les jours... Et comptait les dernières minutes du jeune prince, comme il venait de compter les dernières secondes du vieux ministre.
Oui, tu peux compter, faucheur d'herbe blanchie ; écoute, écoute bien ; c'est ton malade qui éternue. "Dieu vous bénisse !", et le voilà qui demande une tasse de café... Ah ! ah ! docteur Trompe-la-mort, vous avez fait là une besogne que j'engage les autres à imiter... Enfin, le fils du roi, ressuscité, se leva aussitôt en jetant sa couverture sur la tête du grand squelette, et sortit, sans oublier sa pipe, avec son père, transporté de joie, et Fanch, qu'il appelait son sauveur.
Pendant tout cela, la princesse était allée faire un tour de promenade. Quand elle revint, elle vit venir à sa rencontre deux messieurs très bien mis, bras dessus, bras dessous... L'un d'eux était encore un peu pâle, et la demoiselle, fort sensible, à ce qu'on dit, se trouva presque mal en le voyant si bien, car elle avait cru son frère quasiment mort et enterré. Finalement, le jeune prince, reconnaissant comme de raison, présenta à sa jolie soeur le fils de Laou, qu'il avait un peu retapé, en l'appelant son vrai sauveur et son meilleur ami ; de sorte qu'en rentrant au palais, c'était le reboutou de La Martyre qui donnait le bras à la princesse, à laquelle il faisait un compliment fort bien tourné, ma foi, en français, à ce que l'on m'a assuré... Et puis, huit jours après, juste un mardi gras, il y eut noce et fricot à Paris, si beaux, si beaux, que les Parisiens, qui sont des malins, n'en ont jamais vu de pareils.
Mais Fanch Ann-Ankou ne fut pas invité à cause de sa mâchoire édentée et de son horrible montre, où l'on n'aime pas à regarder l'heure ; et quand on alla voir dans la chambre du prince, on ne trouva rien du tout sous la couverture du lit. Le vieux faucheur, vaincu pour un jour, avait filé en emportant le ministre trépassé.
On dit que le monarque satisfait et la vieille portière guérie de son rhume couvrirent Fanch-Treize de leurs bénédictions, et que celui-ci, quoique devenu prince, voulut encore soigner les malades, sans jamais perdre la tête, afin de les disputer au Trépas, son parrain.

Heureux les médecins habiles qui savent user à propos de la recette de Fanch-Treize et chasser Ann-Ankou loin du chevet de leurs malades... Ceux-là ont de la chance !

E. Du Laurens de la Barre, Contes, récits et légendes des pays de France
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