La taupe de Balzat

Il était une fois une taupe, et une taupe de Balzat, en Charente ! C'est tout dire !...
Donc, cette fameuse taupe faisait, à Balzat, des ravages si grands dans les planches de petits pois et de carottes, que l'on décida, un jour, de la prendre. Le tambour municipal, précédé de la menue gent balzatoise, passa crier à tous les carrefours l'annonce de trente écus de récompense à quiconque apporterait la taupe, dûment entravée, à la mairie de Balzat. Trente écus, c'était une somme ! Aussi les jardiniers redoublant d'ardeur, les autres en faisant montre tout à coup, la chasse commença terrible, impitoyable. Pièges, appâts, guet, chiens ratiers, bêches même, tout fut mis en oeuvre, et sur-le-champ. Quinze jours durant, la bête ne donna signe de vuie. Enfin, le seizième jour, on la signala à tel endroit de la commune, le dix-septième à tel autre. le dix-huitième on crut la tenir. Ce n'était qu'une pauvre musaraigne. Le dix-neuvième jour enfin, le père Camus la dépista dans une planche de petits pois fraîchement sortis de terre et retournés comme après le passage d'une troupe de sangliers. Le père Camus jura dans sa barbe, mais, se souvenant des trente écus, il s'empara d'une bêche et vlan ! mis la bête à jour. Il sauta immédiatement dessus et la jeta dans un arrossoir dont elle tenta vainement de s'échapper. Puis il coururt chercher une cage à serins et enferma la pauvre bête. Il s'achemina au milieu des cris de mort de la populace vers la mairie, où il fût reçu en grande pompe par le garde champêtre promu huissier pour la circonstance.

M. le Maire, nanti de son écharpe, comme il se doit, MM. les Conseillers et le garde champêtre firent constituer immédiatement un tribunal spécial pour juger la délinquante.
La séance fut orageuse et longue. On siégea trois jours et trois nuits, sans boire ni manger. Trois partis s'étaient formés, qui ne voulait pas démordre de leur opinion. Le premier voulait qu'on la brûlat vive pour lui faire subir, dans les tourments, la punition la plus cuisante. Le second voulait qu'on la noyât afin de ne pas trop la faire souffrir. Le troisième voulait qu'on la pendît, car c'est le sort réservé aux bandits et aux écumeurs de grand chemin.
Le troisième jour, comme le débât menaçait de s'éterniser, le garde champêtre donna son idée qui mit tout le monde d'accord :
- Faut l'enterrer vive. C'est un supplice terrible, une mort lente, sans grandes souffrances, mais d'autant plus cruelle qu'elle est longue à venir.
Le garde champêtre fut porté en triomphe et désigné comme exécuteur des hautes oeuvres.
Le lendemain, en grande pompe, sa casquette neuve droit sur la tête, sa plaque sur la manche, une bêche sur l'épaule, il s'achemina vers le cimetière au milieu des hurlements de joie d'une foule immense de Balzatois venus assister au supplice. Il n'y eut pas même un miserere et la pauvre bête fut descendue au fond d'une fosse de deux mètres de profondeur, et rapidement recouverte. Elle n'en demandait aps tant, et s'en fut à Vindelle, car le cimetière balzatois d'alors était à côté de cette commune. Depuis, pas un légume ne pousse à Vindelle, mais les Balzatois sont heureux au milieu de leurs petits pois.
Aussi, ne parlez jamais des Balzatois aux gens de Vindelle. Ils vous écorcheraient !

Mathilde Mir, Contes, récits et légendes des pays de France.