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Tu entres, ici dans un havre de paix ...
 
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 Le dernier visiteur

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Le dernier visiteur   Le dernier visiteur EmptyVen 11 Mai - 11:40

Quand le père s'est trouvé la poitrine écrasée entre fer et pierre, d'un coup qui fit de lui un mort, j'étais gamin, mais je m'en souviens comme de tout à l'heure, bien que ça remonte à voilà déjà vingt ans.
La chose s'est passée ici, à Locronan, où, aujourd'hui, je suis homme à tout faire chez les Guillermic alors qu'en ce temps-là, nous, les Parenthoën, étions riches de la réputation d'un père, reconnu le meilleur maréchal-ferrant du pays et d'alentour. Mais, lui défunt, personne de nous n'a repris la forge, faute de vouloir suer au feu et, surtout, de pouvoir payer les dettes que le père cachait et qui le grattaient à longueur d'année comme des puces sous le poil.
A ce sujet, on a appris plus tard, en écoutant la mère, qu'il avait espéré jusqu'au bout le retour de notre oncle Pierre, son frère, parti aux Amériques grâce à l'argent qu'il lui avait prêté et qui lui manqua toujours. Ce Pierre-là lui écrivait bien qu'il allait revenir avec cent fois plus et le rembourser, mais il ne se montrait pas pressé de revoir Locronan et ses forêts.
Mes trois frères se sont faits marins depuis, et ils ne le regrettent pas ; le vent salé de la baie de Douarnenez leur enrichit les sangs à défaut du porte-monnaie et ils ont toujours de bonnes soifs à éteindre. Quant à moi, Yvon, l'air des champs m'est moins mauvaisement cuisant que celui de la forge du père, avec ses braises qui vous fondaient le corps.
Je repense à tout ça parce que, depuis un moment, c'es choses-là, qui sont la tristesse de notre famille, me reviennent de force pendant que ludo Guillermic et moi on fourche les javelles d'avoine pour la batteuse, au-dessus de nous. Et, en repensant à l'accident du père, je revois surtout ce qui lui est arrivé juste avant de passer.

Ce matin-là, un charroyeur de Plogonnec était venu pour le farrage à neuf de son cheval. Un petit bonhomme roux et cuit de soleil, à croire une carotte habillée. Je ne me rappelle plus son nom, mais bien sa carne que je revois maintenant comme si j'étais revenu dans le temps jusqu'à la cour de chez nous : une grande bête toute os et muscles, ruant à chaque taon qui se posait sur son museau.
Devant un tel nerveux, le prère ne prit pas sa figure contente et je crois encore l'entendre maudire ce métier où, si on n'a pas seulement l'enfer contre la peau, dans la forge, on le retrouve dehors avec des animaux tellement vicieux que c'en est pire encore.
Enfin, en refusant le travail, on ne peut pas faire de l'argent. ll entreprit donc de calmer le cheval pendant que son rouquin de maître s'écartait, pas rassuré, car il devait connaître ses humeurs et tenir pour entendu tout ce qu'il pouvait de mal.
Le père savait finement mater les mauvais caractères des bêtes et c'est pour cela qu'on venait à lui au lieu d'aller à d'autres qui ne manquaient pas dans le canton. Il s'y prenait avec des mots à sa façon, et des petits bruits que sa langue forgeait contre l'enclume de son palais : un secret, à ce qu'on disait.
Il dompta de cette façon le cheval qui se calma et se laissa prendre une patte sans trop rechigner. Après, le père y alla tout rond, faisant celui qui n'avait pas de crainte, alors que je voyais bien qu'il transpirait d'inquiétude. Mais, avec ce genre de bestiau, faut toujours leur laisser croire.
Il en avait déjà fini avec trois des pattes et allait passer à la dernière, quand il leva précipitamment la tête et regarda vers l'entrée de la cour.
Je me rappellerai toujours. Le père se redressa de toute sa grandeur et frotta vite se smains, dessus-dedans, à ses côtés de pantalon, ainsi qu'il faisait pour les rendre moins sales à l'occasion d'une visite qui avait de l'importance. Ensuite, il tendit les bras vers... personne, puisque la cour restait vide.
Et, après un "Bonjour, mon Pierre !" qui était sonnant comme d'un bonheur qu'on lui aurait fait en venant là, voilà qu'il se mit à parler à celui qui ne se trouvait pas là, ému au point de dire beaucoup de mots, lui qui n'en sortait jamais trois à la minute. Si bien qu'il ne fit plus attention au caractère hargneux de ce maudit cheval qui, rendu à lui-même, recommencer à riper des fers.

- Attends, mon Pierre, qu'il disait, reste là-bas, attends un peu que je finisse ça et je suis à toi...
Le rouquin regardait béat et cherchait à voir ce quelqu'un qu'on ne voyait pas. Peut-être bien même qu'il pensa que le maréchal avait reçu un coup de soleil sur la tête ! Moi, je croyais que le père s'amusait pour la première fois de sa vie à faire une niche à l'autre. Mais, lorsqu'il se retourna vers nous, je lui vis un regard émerveillé et si près des larmes de joie, que je les aurais pleurées à sa place tellement il en avait envie, mais ne les voulait pas devant nous.
Il continuait doucement des "Attends-moi... Attends, j'arrive..." en balançant la tête d'un côté à l'autre, comme quelqu'un qui a la crainte qu'on le quitte. Et je me souviens que, tout de même, il s'essuya les paupières en cherchant à apercevoir la mère qui lavait le carrelage de la salle, lui criant :
- Rosick... Rosick... Il est revenu ! Il est là !
Mais le rouquin et moi, on ne trouva pas le temps de lui demander ce qui le prenait, la suite se passa aussitôt et si rapidement qu'on crût l'avoir rêvée... Le père se penchait sur un des sabots de derrière, sans prendre de précautions, quand le cheval le lui flanqua en plein dans la poitrine, l'écrasant contre le mur de la forge.
Le malheureux resta un instant comme cloué à la pierre, les yeux tendus à lui sortir des trous, puis il s'écroula en rendant son sang plein la bouche.
Après trois, quatre mouvements des lèvres pour essayer de crier, il s'arrêta de souffler et rendit l'âme, plié à terre.

Mais je garde un souvenir encore plus triste de la fois d'après, puisque les choses arrivèrent presque de pareille façon.
La mère, qui se tuait à travailler pour nous faire bien grandir tous les quatre, finit par attraper un mal dans le ventre, si bien que la voilà au lit sans pouvoir nous nourrir. Même que c'est de ce temps-là qu'on a vu mes frères mousses à Douarnenez, et que la mère se mit à se faire du mauvais sang en plus pour GFrançois, notre aîné, le premier à son coeur, parti loin dans les mers chaudes, sur un lent glaneur d'épices.
Moi, j'avais juste l'âge de l'aider. Aussi, avant de me fixer chez les Guillermic, j'allais, là, chez les Ropertz, là-bas, chez les Lhostis, ou chez les Le Goff, et je ramenais de quoi nous avancer un peu plus loin dans la vie. Et, surtout, pour payer les frais de toutes sortes de potions que le docteur lui faisait avaler sans peut-être savoir laquelle était la bonne.

Les gens du voisinage venaient bien un petit moment dans la journée pour causer et la consoler, disant que c'était rien et que le bon Dieu, qui avait plus d'un tour dans son Ciel, guérissait les siens au moment où ils s'y attendaient le moins. Seulement, la nuit tombée, plus personne ne se serait risqué à venir à la maison, à croire qu'avec le noir la malheureuse se changeait en épouvantail.
Ma foi, je ne leur donnais pas tort, vu que ma pauvre mère avait tant dépéri qu'elle aurait fait moins peur, morte dans un cercueil, que là, vivante sur son lit, à grelotter faute de chair.
Et voilà qu'un soir, alors que je venais de souffler la lampe et de me coucher pas loin d'elle sur le matelas posé par terre, je l'entendis se remuer vivement et m'appeler.
Je me levai aussitôt dans le noir.
- Yvon... Yvon, qu'elle me disait, impatiente, remets vite la lumière et va ouvrir la porte. Tu n'entends donc pas qu'on frappe !
On n'avait pas frappé, je vous l'assure ; j'aurais entendu puisque je ne dormais pas. Mais, comme la mère risquait d'épuiser son reste de santé à me répéter encore la même chose, je rallumai la lampe et me dépêchai s'aller tirer grande ouverte la porte pour bien lui montrer que personne ne se trouvait là.
Evidemment le seuil était vide. Sans doute qu'elle avait entendu le bruit de quelque morceau de bois tombé au grenier par la faute des rats.
Je me retournai vers elle et allais lui dire : "Tu vois bien que c'est pas vrai..." quand je la vis s'asseoir sur sa couche et jeter un vaillant : "Ah, c'était donc toi, François !" tout en cherchant à, repeigner avec ses doigts ses cheveux qu'elle avait très longs et tout mêlés.
Et je vous jure que son regard suivait vraiment quelqu'un d'invisible qui s'approchait lentement jusqu'à son lit, au point que, d'émotion, ça lui remettait du rose de vie sur les joues.
- Comme tu es fatigué, qu'elle disait en le plaignant, attends, je vais me lever pour toi.
Moi, j'avais tellement peur que je devais trembler des dents sans m'en rendre compte. On entendait aucun bruit dans la pièce, pas même un craquement, alors que la mère fixait droit devant elle, vers rien de rien.
Soudain, une violente douleur la rallongea dans la pâleur de son mal et elle se trouva aussitôt reprise par des souffrances comme elle n'en avait encore jamais autant gémi. Mais elle réussit à regagner un peu de paix pour dire :
- C'était rien, mon François, t'inquiète pas, ça va pas durer.

Et je vis bien qu'elle se forçait au martyre afin de sourire. Je me précipitai pour lui prendre les mains et lui donner tout mon courage, mais elle passa au moment où je la touchai. Sur une flamme de contgentement, ses yeux s'arrêtèrent de voir et son menton se mit à pendre bas, contre son cou.
Voilà tout ce qui me revient par la tête, pendant que je fourche les javelles aux Guillermic pour les dresser à bout de manche jsuqu'à la gueule de la batteuse. Et, si je suis chagrin, ce doit être aussi la faute de ces poussières de balle d'avoine qui font un nuage à vous saouler d'idées noires. En plus, elles vous piquent, partout, et la sueur les garde collées à la peau, même que j'ai été obligé de tirer ma chemise hors de mon pantalon pour que ça me gratte moins.
On ne chôme pas, Ludo et moi, vu que la batteuse a toujours de l'appétit. Pour lui couper la faim, il faudrait arrêter la machine à vapeur qui roule et fait claquer cette longue courroie de cuir, sans jamais lui trouver la queue, là, juste derrière nous.
Tiens, si je suis vraiment tgriste, c'st surtout parce que Catherine ne peut pas me faire "oui" quand je lui demande qu'on se mette à ensemble pour la vie, à avoir des enfants, et gagner pour nous autres seulement. Mais, c'est son père, ce vieux sauvage de Cornic, qui lui défen d d'être mienne. Il croit, ce grippe-sou, que je guigne ses écus, alors que c'est sa Catherine sans rien qu'il me faut. Il a été jusqu'à me menacer des gendarmes, entendu que sa fille n'arrête pas de pleurer après moi, à croire, qu'il dit, que je lui ai fait boire une tisane d'envoûtement. Il menace que ça ne peut pas durer et que si je n'arrête pas tout de suite de l'empoisonner, il me fera goûter à la prison.
La prison ! Mais on enferme pas les gens pour cause de trop s'aimer ! Et puis, si on nous sépare comme ça, il l'entendra pleurer encore plus. Elle est capable de demander un autre cachot pour elle afin qu'on soit égaux dans le malheur.
C'est que Catherine et moi on est fait pour pleurer ou rire ensemble ; jamais l'un rit quand l'autre est chagrin. Ce contentement qu'on a de nous deux nous vient du temps de l'école. Je la défendais déjà contre les autres qui voulaient la pincer ou la faire aller par terre. Et je sais qu'à son tour elle se dresse contre son père qui, à sa façon, me pince le coeur et voudrait bien me fendre le crâne.

Maintenant c'est tous les jours que je veux la voir, avec sa peau blanche et ses yeux aimants. Si elle était là je lu en dirais, des mots ! Et, à penser comme ça, j'ai un grand désir d'elle.
- Yvon Paranthoën ! Yvon Paranthoën ! crie soudain une voix joyeuse dans le bruit de la batteuse.
Mais c'est Catherine ! Et elle a mis sa coiffe des jours de fête ! Elle s'avance près du puits. J'en ris, j'en chanterai de plaisir.
Par saint Guénolé, ce serait pas des fois qu'elle aurait fléchi ce sanglier de Cornic ! Ca m'en à tout l'air, et je suis si content que je reste là, raidi par le bonheur. Ce qui ne m'empêche pas de lui crier ma joie.
- C'est toi ! c'est toi, ma Catherine ! Viens vite me dire.
Elle s'est arrêtée pas loin et me sourit à n'y pas croire. Je comprends : ça y est, son père me veut bien.
Je lui fais signe de venir plus près.
- Approche, ma Catel... approche. Tu vois, je suis prêt pour toi.
- Dis donc, Yvon ! me jette moqueusement Ludo Guillermic, à côté de moi... Voilà que tu causes tout seul, à présent !
Alors, comme je sais que lui aussi la désire, je fais un brusque geste pour éloigner ce jaloux.
... Mais !... mais qui donc attrape ma chemise et me tire de force vers la grande roue de fonte ?... Oh !... la courroie ! C'est la courroie !...
- Arrêtez-la... Arrêtez... arr...

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France
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