Par un soir d'hiver, une bonne femme de la Baussaine, dans le canton de Tinténiac, en revenant de ramasser du bois mort dans une cerclière, aperçut, au coin d'une lande, un objet roulé dans un drap blanc attaché avec des épingles.
Elle déposa son fagot sur une broussée d'ajoncs et enleva les épingles.
Qu'on juge de la surprise de la vieille, lorsqu'en ouvrant le drap elle découvrit un cadavre. Comme c'était une avaricieuse, elle poussa du pied, le corps dans un fossé et dit : "Puisqu'il est mort, il n'a plus besoin de linge", et elle emporta le drap chez elle.
Le lendemain soir, lorsqu'elle fut couchée, elle entendit ouvrir sa porte et quelqu'un s'approcher de son lit. Elle fut d'autant plus surprise qu'elle avait fermé sa porte à double tour et retiré la clef de la serrure.
Effrayée, elle se cacha sous la couverture et entendit une voix qui répétait sans cesse : "Rends-moi mon drap et mes épilles (épingles), rends-moi mon drap et mes épilles !"
La bonne femme ne dormit pas de la nuit, et le matin, lorsque le jour vint l'obliger à suitter son lit, elle ne vit rien de dérangé chez elle et trouva la porte fermée à double tour.
"J'aurai rêvé", dit-elle.
Le soir - toujours à l'heure où elle avait trouvé le cadavre sur la lande - elle entendit de nouveau ouvrir sa porte, et une personne s'avancer vers son lit, qui répéta : "Rends-moi mon drap et mes épilles !"
"Je ne dors cependant pas, disait-elle, et j'entends toujours cette voix prononçant les mêmes paroles."
Toutes les nuits ce fut la même chose.
La vieille, ne dormant plus, dépérissait à vue d'oeil.
Elle se décida enfin à confier ses peines au recteur de la paroisse, qui l'engagea à reporter le soir même le drap où elle l'avait pris.
Toute tremblante, elle s'y rendit. Il faisait nuit noire lorsqu'elle arriva sur la lande.
Elle déposa le drap et les épingles sur le bord du fossé où elle avait repoussé du pied le cadavre du mort. "Je t'attendais", dit une voix qui partait du fossé.
La bonne femme se sauva toute épeurée, et, lorsqu'elle rentra dans le village, elle était folle.
Un an après, jour pour jour, on la trouva morte sur la lande où elle avait volé le linceul du mort.
Adolphe Orain, Fantômes en tous genres (Ille-et-Vilaine), Contes, récits et légendes des pays de France