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 Le Champ aux Sorciers

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MessageSujet: Le Champ aux Sorciers   Le Champ aux Sorciers EmptyMar 29 Mai - 21:51

Sur le territoire de Beaufort près de Lons-le-Saunier, on peut voir dans la montagne une cuvette, ouverte au Nord, que les gens du pays appellent le Champ aux Sorciers. Encore au siècle dernier, le voyageur attardé qui passait au clair de lune devant ces lieux sinistres, se sentait pris d'une indicible angoisse. Et les habitants de Beaufort ou de Rambey se signaient dévotement quand ils fisaient allusion à cet endroit maudit.
C'était là, en effet, que les sorciers du Jura se rassemblaient à l'heure fixée pour le grand sabbat. Dès que sonnaient les douze coups de minuit, ils arrivaient tous, les srcières sur des balais, les sorciers sur des chats noirs ou des crapauds. Ils allumaient un grand feu et dansaient autour, selon des rites établis par Satan. Celui-ci se mêlait parfois à l'assemblée et il souriait de ses yeux luisants en voyant tous ceux et toutes celles qui s'étaient perdus comme lui.
Les paysans de Beaufort se verrouillaient soigneusement chez eux, quand ils avaient cru voir des lueurs ou entendre des cris. Aucun d'eux n'avait jamais cherché à surprendre le secret du sabbat. Ils craignaient par-dessus tout la damnation, et leur curé, un homme sage, entretenait en eux cette terreur salutaire.
Or, vers l'an 1550, Jean-Marie Barbier décida d'en avoir le coeur net. C'était un grand gaillard maigre et nerveux, bavard et têtu. Il n'était pas facile d'avoir le dernier mot avec ui ou de lui en faire accroire. Il avait reçu quelque instruction et ilaffectait volontiers de mépriser les superstitions. << Les sorciers, disait-il, c'est des menteries.>>
Un soir donc, après avoir mangé les gaudes,la bouillie de maïs traditionnelle, bien craquante et dorée, et donné du foin aux bêtes, il partit à travers prés pour le Champ aux Sorciers. Il pensait bien ne rien voir et ouvoir rassurer les gens du village le dimanche après la grand-messe. Il s'arrêta derrière un buisson et attendit. A minuit les sorciers arrivèrent, le feu s'alluma, les danses et les chants commencèrent. Barbier tremblait de peur.
Soudain, à la tête d'un groupe de sorciers, il reconnut son voisin Séraphin Jarrod. C'était bien lui, petit, chauve, bedonnant, avec sur les lèvres un mystérieux sourire. Barbier commença à comprendre pourquoi Jarrod, en travaillant assez peu, semblait réussir toujours mieux que les autres. C'était à la magie qu'il devait ses riches moissons, ses lourds raisins dorés, ses bêtes grasses à souhait. La danse des sorciers devenait maintenant une sarabande effrénée. Barbier sentait son sang se glacer dans ses veines. Le ciel était d'un noir de suie.

- Que fais-tu là, voisin? questionna sévèrement Jarrod quand il eut découvert Barbier transi et terrifié, derrière son buisson.
- Je passais...par hasard! articula bêtement Barbier.
- Ah! Tu passais, répliqua Jarrod furieux. Veux-tu que je te dise? Tu voulais surprendre le secret du sabbat et nous dénoncer à tes curés et à tes juges. Attends! Tu vas payer.
Et tous les sorciers, rassemblés autour de Barbier, crièrent plusieurs fois: << A mort!>> L'in d'eux, qui avait une grande barbe noire et était vêtu avec élégance, prononça gravement la sentence réservée aux profanes trop curieux:
- Qu'il oit mené sur la plus haute tour d'angle du château de Crévecoeur et de là précipité dans le bief. Que son corps roule dans l'abîme et se fracasse sur les rochers!
Déjà, on empoignait Barbier aux aisselles, quand Jarrod décida d'intervenir. Il considérait son voisin comme un brave homme, moins borné que les autres, et il ne lui déplaisait pas de montrer sa générosité t parlà sn influence:
- Barbier, dit-il, tu mériterais la mort, mais nous ne sommes pas de mauvais diables. Tu vas nous jurer dabod de ne rien révéler de ce que tus as vu cette nuit. Si tu is un seul mot de celà à qui que ce soit, tu mourras à l'instant même. Juré!
Barbier entrevit une ;lueur d'espoir. Il se redressa et d'un ton ferme jura sur son âme:
Croix de Dieu, croix de fer. Si je mens, je saute en enfer.
Les sorciers et surtout les sorcières n'appréciaient guère cette allusion à la croixet encore moins cette clémenceinjustifiée que Jarrod leur imposait. Mais l'homme à la barbe noire gardait le silence. Il fallait bien se résigner.
D'ailleurs Jarrod, soucieux de l'opinion, fit cette menace:
- Barbier, nous te laissons la vie et également la vue malgré ta malsaine curiosité. Mais ne crois pas être quitte à si bon compte. Ton bétail paiera pour toi.
Quand une heure sonna, sorciers et sorcières repartirent sur leurs montures. Les manches. Les manches à balai fendirent la nuit. On entendit dans le lointain les miaulements des chats et les deux notes aiguës des crapauds. Les flammes rentrèren dans la terre. Tout redevint calme sous la brume.
Barbier se retrouva seul, endolori, hébété. Il rentra chez lui à la hâte par laroute d'Orbagna. Il courut à son écurie, mais tout semblait calme. Les deux boeufs Poûmé et Rômé ruminaient tranquillement, les vaches avaient un souffle régulier. Barbier rentra se coucher sans bruit pour ne réveiller personne. Il ne parvint pas à dormir.
A l'aube, quand il se leva pour partir faucher, Berbier vit son voisin Jarrod qui nettoyait son écurie et il lui dit:
- As-tu bien dormi, Jarrod?
- Fort bien, et toi?
- Oui.
Le dialogue se poursuivit un moment sur des sujets anondins, la pluie, le beau temps, la récolte. Barbier cherchait dans l'expression ou les paroles de Jarrod quelque chose qui pût passer pour une allusion à la scène de la nuit. Mais il en fut pour ses frais. En regardant Jarrod avec son allure calme, sa sérénité de bon vivant, ses yeux clairs, Barbier se demanait s'il n'avait pas été victime d'un rêve. On lui avait dit que l'imagination peut jouer des tours pendables et il avait peur d'en être dupe. Il y songea tout le jour.
Pis, peu à peu, il pensa moins à son aventure. Il ne l'oublia pas, mas il se laissa accaparer par les soucis quotidiens. Un soir, comme il ramenait une voirture de gerbes, sa femme vint à sa rencontre et lui dit, toute affolée:
- Vens vite, Jean-Marie, La Blanchette va peut-être bien crever.
L'affaire était d'importance, car la Blanchette était la meilleure vache de l'écurie, une bête solide, bonne en lait, toujours en tête du troupeau. Quand il entra dans son écurie, Barbier ne put que constater que sa femme avait vu juste. Il se rappela avec terreur les menaces des sorciers.
Un mois plus tard, au moment des vendanges, Barbier dut enfouir deux autres vaches dans l'enclos au pied de la forêt, qui servait de cimetière des bêtes. A Noël, il ne lui restait que ses deuxboeufs.
Après la messe de minuit, il lui sembla entendre du bruit dans l'écurie. Il alluma un falot et se prépara à y aller. Mais sa feme l'en empêcha.
- Ce n'est rien, Jean-Marie, di-elle. Tu sais bien que dans la nuit de Noël les boeufs parlent entre eux et que ceux qui les dérangent meurent dans les trois jours. Laisse-les, va!
- Bah, Que nous chantes-tu là? rommela Barbier.
Mais depuis l'aventure du sabbat il ne savait plus que croire. Il avait peur des puissances maléfiques et il suivit les conseils de sa femme
Quand il entra dans son écurie le matin, il trouva ses deux boeufs étendus, déjà froids. Il avait perdu huit bêtes en six mois.

Quelques jours plus tard, Jarrod interpella Barbier, qui revenait du bois:
- C'est bien. Tu as tenu ton serment et payé ta faute. Veux-tu être libre?
- Oui.
- Tu le seras, dit Jarrod, à condition de ne jamais regretter les bêtes que tu as perdues.
- Je ne les regretterai pas.
- Alors, dit doucement Jarrod, va ce soir à la mare, qui est derrièer ton clos. Prends les grenouilles et tue-les. Il ne t'arrivera rien désormais... A condition, ajouta-t-il, que tu tiennes ta langue et qu'onne te voie jamais plus rôde là-bas, autour du sabbat.
Barbier fit ce qui lui avait été prescrit et dès lors il fut délivré. Il racheta des bêtes et son écurie fut bientôt une des plus belles du pays.
Quand à Jarrod, il ne tarda pas à se repentir de s'être laissé entraîné à des pratiques de sorcellerie. Il fit venir le curé et lui avoua tout. Grâce à ses révélations les tribunaux d'église purent faire la chasse aux sorciers et ceux-ci durent quitter la région. Jarrod obtint son pardon après une confession publique et une dur pénitence. Jusqu'à sa mort, il fit tout pour réparer ses torts, notamment à l'égard de Barbier.
Regardez cette croix de pierre recouverte de mousse : elle éloigne à jamais les mauvais esprits de Beaufort et du Champ des Sorciers.

Jean Defrasne - Contes et Légendes de Franche-Comté

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