Chez Nous
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Chez Nous

Tu entres, ici dans un havre de paix ...
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le deal à ne pas rater :
Blue Lock : où acheter le Tome 22 édition limitée du manga Blue ...
12 €
Voir le deal

 

 Avez-vous déjà vu le loup-garou ?

Aller en bas 
AuteurMessage
Joa
Admin
Admin
Joa


Nombre de messages : 13100
Age : 76
Localisation : Martigues
Réputation : 0
Date d'inscription : 19/02/2006

Avez-vous déjà vu le loup-garou ? Empty
MessageSujet: Avez-vous déjà vu le loup-garou ?   Avez-vous déjà vu le loup-garou ? EmptyDim 24 Juin - 9:53

(Histoire vraie)

Il faut voir aux heures où les plages du littoral vendéen s'agrandissent du retrait de l'océan, surgir d'entre les dunes et venant de l'arrière-pays que l'on croyait inhabité, ces files de fermiers et de vignerons courtauds, épaissement vêtus de sombre, été comme hiver, trottinant sur le sable difficile aux pieds, chacun portant seau et trident pour aller à une "pêche", ou plutôt à un "débusquage" qui semble vital. Cérémonie d'une tradition millénaire ; rituel que j'observe depuis plus de vingt ans et qui doit être de toujours ; coutume que pratiquent aussi, à leur détriment, maints vacanciers parasites. Mais personne ne fait de reproche à personne : la religion de la Mer est généreuse, tous ces déterreurs de coquillages : coques, praires ou couteaux, creusent hâtivement le sable découvert et durci par l'eau, guidés par les propices excréments filiformes de leurs victimes qui se trahissent ainsi, tout en se croyant cachées au secret des profondeurs.
A la remontée des eaux, ils repartent, laborieux cafards courbattus et inexpressifs, le seau mi-plein d'une récolte quotidienne qui ne satisferait pas l'appétit d'un être normal. Je le répète : ils obéissent à un rite. Aussi, pour eux, ne pas aller "aux coquillages" serait s'attirer les foudres de la malédiction océane, et j'y ai vu traîner sur un carreton un vieillard quasi agonisant qui voulait, une dernière fois, ramasser la chance avec une ultime coquille vivante.
En dehors de ces amants des sables, il y a les piégeurs de poissons. A une époque lointaine où on pouvait consacrer des jours de labeur et de patience pour attraper une limande dans un énorme filet de pierre, ils ont construit d'étonnantes retenues d'eau, bourrelet de gros galets, nasses de cailloux en demi-cercle tournées vers le littoral et digue sans issue vers la mer. A marée haute, le poisson monte mais il ne repart plus avec la marée descendante, gardé prisonnier dans l'eau, prisonnière aussi. Ensuite, pour le saisir, il suffit d'être vif comme l'éclair. C'est tout.

De nos jours ont voit beaucoup moins de ces pêcheurs-là, néanmoins les pièges existent toujours, tant l'assemblage a été conçu pour tenir longtemps, comme longtemps encore les poissons resteront naïfs. N'ayant pas de propriétaires précis, l'appareil appartient à tout le monde, ruines d'une défunte civilisation de pêcheurs à la main que les colèr es des ressacs atlantiques ne parviennent pas à détruire jusqu'à l'oubli.
Un matin d'il y a bien longtemps, sur la plage de X., j'étais allongé non loin d'un de ces bassins artificiels, abrité derrière une levée de pierre sèche, paravent nécessaire dans ces étendues où galopent, s'entrecoisent et se nouent les vents fougueux. J'observais les ébats mouillés de quelques gamins pêcheurs jouant à qui attraperait le mieux les poissons avec le vieux système des grands-pères lorsque, je les entendis hurler comme d'une peur et les vis s'enfuir, laissant sur place quelques belles prises argentées qui frétillaient sur des algues. Me tournant alors, vers la dune d'où venait la raison de leur affolement, je les compris, à mon tour saisi de stupeur.
Deux hommes avançaient, scrutant loin autour d'eux mais ne pouvant m'apercevoir. L'un était un banal petit vieux adipeux, vêtu de velours noir et coiffé de ce béret passe-partout autant basque que vendéen. Mais la vue de l'autre, adolescent trop vite poussé, en bleu de travail déguenillé, dégingandé et osseux,, presque plié en deux, bras pendant en avant cherchant appui au sol, me glaça d'un irrepressible frisson. Il aurait été moins effrayant de le voir aller à quatre pattes que debout de cette façon.
Son visage à lui seul justifiait la fuite des enfants : la bouche en museau et les narines dilatées faisaient sa tête en gueule ; ses yeux soufre regardaient partout à la fois, et les oreilles ... les oreilles, en pointes, étaient velues comme le reste apparent de son corps, bras et mollets ... Je vois encore ses deux mains griffues ! Il avançait, craintif et grognant ... Humant vers la mer, il s'arrêtait souvent, piétinant le sable, impatient sur ses deux pattes ... pardon, je veux dire ses deux jambes. Le vieux lorgnait autour d'eux avec circonspection, puis l'encourageait à continuer plus hardiment. "Ksssi ... ksssi", faisait-il, comme à un animal.

Lorsqu'ils furent dans l'eau de la nasse, celui qui n'était pas tout à fait un fauve, ou pour dire plus juste, le loup qui n'était pas tout à fait homme, se précipita à quatre pattes, et, avec une vélocité incroyable, barbota, le museau dans l'eau, attrapant à coups secs des poissons qu'il rapportait à l'autre, qui, sac ouvert à côté de lui, les y jetait, en l'excitant à continuer.

... Ces images d'un monde fantastique et maudit me jetèrent dans un état de dédoublement qui en fit revivre d'aussi singulières. gardées vives d'une récente visite au denier sorcier du Marais, là, tout proche, à l'est, chez cet antique bougre au visage plissé de malice comme se doit tout magicien authentique, lui autant à son aise dans ce rôle inquiétant que dans son étroite et malodorante hutte torride entourée et comme gardée, par de longues couleuvres indifférentes qui se vissaient, légères sur la vase émaillée des berges proches. Compagnie loin d'être rassurante mais qui, au moins, ajoutait à l'épreuve de notre rencontre et intensifiait le décor de la réputation que l'on prêtait au magicien en question, plus Satan que Bon Dieu.
Tout de suite en confiance avec moi, sans doute par le fait que mon courage à venir braver ses foudres dans sa redoutable solitude païenne trahissait le confrère, l'alter ego à respecter ou à craindre, il répondit à ma question directe sur l'existence des loups-garous par un saut vers sa rustaude commode affaissée, au cul dévoré d'humidité, et, d'un tiroir, sortit une de ces boîtes métalliques joliment ornées de "dames 1900", emballage vert et or de pastilles de Vichy anciennes, d'où il tira une copieuse boule d'étoupe grisâtre. Non, de poils ... de poils de loups-garous qu'il avait, me commenta-t-il, glané çà et là, une vie durant, aux haies et aux taillis du pays, partout où ces maudits lycanthropes, déjà fouettés par la damnation, s'étaient, en plus, arrachés peau et pelage.
- I'ai mis tous là ... I'sont tous là ... s'acharnait-il à répéter à brefs clappements de lèvres, tout en faisant dans le creux de sa main un tri des uns et des autres, sans doute des moins ou des plus méchants, le regard juge et impitoyable comme si, par cette opération, il était devenu le maître définitif des damnés maraîchins. Puis il fulgura :
- I'sont tous là ... et I'en lâche un quand j'veux ...

Troublé par ce bouleversant rapprochement, l'imagination mal à l'aise, je revins à la réalité de cette plage soudain hantée par l'incroyable spectacle.
Ayant écumé le bassin en un rien de temps, le loup des eaux s'approcha de son maître et, faisant le beau, c'est-à-dire se remettant en homme, reçut sa récompense : un sucre, sans doute, car je ne distinguai pas la nature du cadeau qu'il croqua en s'ébrouant. Et ils repartirent l'un, l'humain, raide droit, riant gras ; l'autre, le demi-loup, docile, courbé vers le sol, grognant rauque.

Claude Seignolle, Contes, Récits et légendes des pays de France
Revenir en haut Aller en bas
http://site.voila.fr/chezjoa
 
Avez-vous déjà vu le loup-garou ?
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Chez Nous :: Les pipelettes :: Histoires insolites :: Contes et légendes-
Sauter vers: