Dans tous les pays de France, la nuit de Noël, les animaux de la ferme sont dotés du pouvoir de la parole. Mais il est formellement interdit de tenter de surprendre leurs conversations, au risque d'apprendre de bien mauvaises nouvelles et d'y laisser la vie.
A Saint-Mary, dans l'Angoumois, tout le monde savait, il y a cent ans et plus, que les boeufs parlent la veille de la Noël, et qu'à minuit, dans les étables, des conversations s'engagent parmi les descendants des bêtes à cornes qui réchauffèrent, de leur haleine, le petit Enfant Jésus, tout nu dans la crèche de Bethléem. Seulement, ce que ces bêtes disent, personne ne le sait, et le mystérieux colloque n'a jamais eu de témoin parmi les hommes. Malheur au curieux qui veut percer l'énigme de cette conversation annuelle. Voici ce qu'il advint à un gars du pays qui voulut se rendre compte.
Un soir de Nau, il y a des cents et des milles ans, un homme de Saint-Mary se cacha dans l'étable sous la crèche pour entendre, à minuit, les boeufs parler. Naturelle 5ac ment, tout le monde était à la messe. Seuls, les petits enfants, les malades dans leur lit et le disciple de saint Thomas entendirent cette nuit-là les douze coups de minuit tomber du haut du clocher avec les flocons blancs de la neige. Alors notre homme sortit de sa cache, se frotta les reins, se brossa veste et pantalons et s'approchant de son boeuf préféré, Veurmé, lui dit bien fort :
- Eh bé ! Veurmé, que ferons-nous demain ?
- Demain nous porterons notre maître en terre, répondit Veurmé d'une voix grave et courroucée.
Le lendemain, le maître de Veurmé était effectivement porté en terre, tiré par ses boeufs, et Veurmé avait les larmes plein les yeux. Tout le monde l'a vu et personne, plus jamais, n'a imité le mécréant de Saint-Mary.
Mathilde MIR, Vieilles Choses d'Angoumois, 1947