Le loup-garou qui terrorise les paysans dans ce récit traditionnel a pour nom Ganipote. En saintonge et en Angoumois, c'est ainsi que l'on appelait jadis les sorcières dotées du pouvoir de se transformer en toutes sortes d'animaux.
Il était une fois un village de la région de Châteauneuf, dans l'Angoûmois, dont les habitants étaient fort malheureux. La nuit tombée, nul ne pouvait s'aventurer hors des demeures. Une bête horrible, la Ganipote, désolait les bois qui abritaient le village du vent d'ouest : un monstre énorme et griffu dont les écailles défiaient les piques et les fourches des paysans. Les bergers attardés le soir auprès des mares, les garçons rentrant la nuit d'un marché lointain, tout ce qui se risquait la nuit au-dehors des cours était aussitôt attaqué et impitoyablement dévoré. Les victimes étaient si nombreuses qu'en l'absence du seigneur de Barqueville les villageois allèrent demander seco 5ac urs à l'ancien prévot du roi, demeurant dans une maison appelée de nos jours la Prévôterie. Ils le trouvèrent dans la grande salle, en compagnie de sa petite-fille, une enfant candide aux nattes blondes, à la robe blanche, aux pieds mignons, chaussés de sabots rouges. Le prévôt aussi redoutait le loup-garou. Certes, il était courageux, mieux armé que les paysans et, ayant vu les chasses du roi, savait comment organiser une battue et forcer une bête. Mais la Ganipote pouvait le tuer. Que deviendrait alors la jeune fille ignorante et frêle qui n'avait plus que lui, l'enfant candide aux nattes blondes, aux pieds mignons, chaussés de sabots rouges ?
Le vieil homme, pourtant, n'osa refuser son aide et, la nuit venue, guetta dans une sente où la bête traînait habituellement ses victimes. Les paysans l'entouraient, effrayés, serrant des médailels et invoquant le ciel. Le prévôt, lui, ne priait point. Penser à l'âme pure, au clair visage de sa petite fille était une force suffisante. Il attendait tranquille...
Un hurlement, long, profond, sinistre, monta soudain, et tous se mirent à trembler. Puis la bête parut dans la nuit, si menaçante, si effroyable que tous s'enfuirent, abandonnant, face au monstre, le vieux prévôt du roi. Courageusement, il fit face. Mais, à sa vue, la bête poussa un cri horrible et s'enfuit étonnée ; le vieil homme se jeta à sa poursuite et, de son coutelas, réussit à trancher une patte griffue. Tout joyeu 579 x, il ramassa le trophée, le serra dans son sac et quitta les bois. Le lendemain, un peu honteux, les paysans vinrent aux nouvelles et chacun voulut voir la patte de la bête. Le prévôt ouvrit son sac et l'en retira : c'était un pied mignon chaussé d'un sabot rouge ...
Nul ne revit jamais ni le prévôt ni la jeune fille. Mais la maison qu'on appelle encore la Prévôterie retentit parfois de coups et de bruits étranges comme en font les âmes perdues dont les pauvres corps ne reposent pas en terre chrétienne.
Mathilde MIR, Vieilles Choses d'Angoumois, 1947