A quatre kilomètres de Montbron, en Charente, près de la route qui mène de cette localité à Rouzède, on voit un monticule circulaire s'élevant de plusieurs mètres au-dessus des terres qui l'entourent. C'est ce qu'on appelle, dans le pays, les Tours, ou mieux, la Tour. Sur ce monticule subsistaient encore, il y a quelques années, des pans de murs, des voûtes en plein cintre, permettant de croire qu'il y avait là, autrefois, un château féodal. Mon père m'a souvent raconté, dans mon enfance, que ce château éta 5ac it relié par de profonds et longs souterrains à l'ancienne ville de Monte-Baluphe (Montbron) qui s'étendait alors jusqu'à cette limite. Ce nom de Monte-Baluphe serait vraisemblablement le nom déformé de Mont-Bérulphus, camp établi par Bérulphus leude de Chilpéric, qui avait reçu de son roi la mission de défendre le pays contre les attaques de son frère Sigebert, roi du Limousin. Dans ce château vivait autrefois, dit la légende, une très belle et très hautaine dame. Elle se moquait de ses serves qui avaient des "nichées d'enfants, comme des lapines", ou, plutôt irrévérencieusement et plus méchemment encore : "des portées", ainsi qu'une mère truie. Or Dieu, pour la punir, lui envoya six petits enfants d'un seul coup, dans la première année de son mariage. Furieuse, la dame résolut de se débarrasser de ce maudit "cadeau". Après avoir défendu énergiquement, et sous menace de mort, à ses servantes de parler de cet évènement à qui que ce fût, par une nuit noire, elle mit les enfants dans une corbeille qu'elle cacha sous son manteau, et alla à quelques centaines de mètres jeter le tout dans une profonde fontaine.
Rentrée chez elle, elle se crut bien débarrassée. Mais elle avait compté sans le remords. En effet, elle fut bientôt obsédée par le souvenir du crime qu'elle avait commis, et elle ne connut plus de repos ni jour ni nuit. C'est pourquoi elle résolut, pour apaiser ses remords, de vivre désormais dans la solitude et la prière 5ac .. Afin de n'être plus jamais tentée par les plaisirs du monde, elle réunit tout son or, tous ses bijoux, trois grandes corbeilles, pleines, et alla les jeter dans la fontaine où dormaient ses petits. Et plus jamais, ni seigneur ni noble dame ne la revit. Le trésor enfoui dans la fontaine aurait, dit-on, souvent tenté les gens des villages voisins. Mais chaque fois qu'on a projeté de s'en emparer en essayant de vider la fontaine, il s'élève immédiatement sur le pays un orage aussi épouvantable qu'il met en fuite les audacieux touchant à ses eaux dans un but impie.
Mathilde MIR, Vieilles Choses d'Angoumois, 1947