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 Le fantôme de Villarlurin

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Joa
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Joa


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Le fantôme de Villarlurin Empty
MessageSujet: Le fantôme de Villarlurin   Le fantôme de Villarlurin EmptyDim 24 Juin - 22:58

Si le jour appartient aux hommes, la nuit reste le royaume des êtres surnaturels. Sous l'oeil bienveillant de l'astre lunaire, les cimetières s'animent et les fantômes errent à travers la campagne. Mais gare à ceux qui les dérangent ou s'avisent de dérober une chose qui leur appartient !

Le fantôme dont il s'agit fréquentait, au temps jadis, les abords de Villarlurin en Tarentaise. Et c'est en ces parages qu'il se tient toujours, sans nul doute, car les fantômes ont la vie longue et des habitudes sédentaires, comme chacun sait. Entre Villarlurin et Brides, le flanc de la montagne est entièrement revêtu par la forêt. La partie inférieure de cette forêt s'appelle le Bois-Champion, bien connu des villégiateurs qui fréquentent la station de Brides, car le Bois-Champion est sillonné de sentiers pittoresques où l'on goûte en été une délicieuse fraîcheur. Eh bien, c'est par ses agréables sentiers qu'un fantôme avait coutume de se promener la nuit, au dire des bonnes gens de Villarlurin.
Or, une année, on était à l'automne, en plein mois de novembre. La forêt présentait un aspect sévère et désolé. Au lieu du chant des oiseaux, les échos résonnaient des coups sinistres de la hache qui frappait sans pitié les arbes centenaires. Les journées d'automne sont courtes et, jusqu'à la nuit tombée, les bûcherons n'abandonnaient point leur besogne. Deux de ces bûcherons, un certain soir, s'étaient attardés plus longtemps encore que de coutume. Rien ne bougeait plus dans la profondeur des bois ; l'oeil ne distinguait plus rien sous l'enchevêtrement des branchages qui interceptaient la pâle lumière des étoiles : c'était l'ombre complète et le silence absolu. Heureusement, nos deux hommes connaissaient les sentiers par coeur, et ils se dirigeaient à bonne allure vers le village de Villarlurin, où ils habitaient. Ils allaient déboucher de la forêt, lorsque, tout à coup, un froid leur traverse les moelles : quelqu'un marchait à une vingtaine de pas devant eux, enveloppé d'un suaire dont la blancheur jetait un éclat mystérieux au milieu des ténèbres.

Ils s'arrêtent, étranglés de surprise de d'émotion. Le personnage drapé de blanc s'arrête aussi, mais pour quelques secondes seulement. Bientôt il s'éloigne, sans rien dire, de son pas égal et silencieux, avec l'étrange reflet de son suaire qui perce d'une sorte de trou blafard la sombre profondeur de la nuit. Dès qu'ils ne l'aperçoivent plus, les bûcherons, quoique remplis d'effroi, n'en poursuivent pas moins leur chemin : ils se serrent l'un contre l'autre, serrent dans leur main leur grosse hache, et, tout en marchant, fouillent de leurs regards inquiets les ténèbres, à droite, à gauche, et devant eux. Puis, à la première maison qu'ils rencontrent, ils frappent à la porte. C'était une maison située un peu à l'écart du village, sur le sentier de la forêt.
- Toc ! toc !
- Entrez ! ...
Ils entrent, et avec quel empressement ... Un certain nombre de personnes se trouvaient là, rassemblées autour de la lampe, car les veillées étaient commencées. La maîtresse du lieu s'appelait Clémentine. Volontiers on venait du village passer la soirée chez elle, car cette Clémentine était une brave femme, experte, avenante, dévouée à tous ceux qui avaient besoin de ses services : bref, une femme de tête et de coeur, ce qui est chose rare et précieuse entre toutes. Aussi, les autres habitants de Villarlurin, qui ont également, pour la plupart, la tête bien faite et le coeur bien placé, la tenaient-ils en grande estuime. Sitôt en sûreté chez Clémentine, les bûcherons se mirent à raconter, avec des tremblements dans la voix, l'aventure qui venait de leur arriver.
- Nous avons aperçu le fantôme, dirent-ils. Il était revêtu d'un suaire et il marchait sans bruit pour se rendre au village ... Dieu, quelle frayeur ! ... Ce doit être un mort qui s'est échappé de sa tombe ...
- Ah ! çà, s'écria Clémentine, vous plaisantez, mes bons amis ! Ou bien vous avez rêvé, tout simplement ... Les morts restent où ils sont, hélas ! et comment voulez-vous que l'idée saugrenue leur prenne d'effrayer les vivants ! Soyez-en sûrs : les morts sont bien morts, et la méchanceté, s'ils en avaient, leur est passée avec la vie ...

- Nous vous assurons, dame Clémentine ...
- Plaisanteries et imaginations, vous dis-je. Je vous répète qu'il n'y a pas de fantômes.
La discussion s'échauffa. Parmi les assistants, les uns se rangèrent du parti de Clémentine, les autres du parti des bûcherons.
- Allons, intervint Clémentine, calmez-vous mes bons amis. Et puisque vous affirmez que le fantôme, tout à l'heure, se dirigeait de ce côté, il ne doit pas se trouver loin d'ici à présent. Je m'en vais voir un peu toute seule, et si je l'aperçois je vous en dirai des nouvelles. Tenez-vous tranquilles en m'attendant.
On voulut la retenir ou l'accompagner tout au moins, mais elle avait son idée. Elle sortit, seule, et se mit à la recherche du fantôme, aux alentours du village et jusqu'à la lisière de la forêt. Elle était convaincue que, de fantôme, elle n'en trouverait trace aucune, et, après force détours, à travers champs, elle se proposait de revenir à sa maison afin de rassurer les personnes qu'elle avait laissées.
" Un fantôme ! Quelles idées se forgent parfois les gens ! pensait-elle en riant tout bas ; je savais bien qu'il n'y a point de fantômes ..."
Elle se trompait, l'excellente femme. Le fantôme se présente au moment même où elle ne comptait plus du tout le rencontrer. Il se tenait debout et immobile, et drapé de blanc, sous un grand sapin ; il semblait attendre Clémentine.
- Que faites-vous là ? lui cria Clémentine, d'une voix où il entrait plus de colère et d'indignation que de frayeur.
Le fantôme ne broncha point et ne répondit mot.
- Que faites-vous là ? ... répéta Clémentine, sans adoucir aucunement sa voix.
Le fantôme semblait la regarder fixement, mais il ne répondit pas davantage. Peut-être l'étonnement qui coupa-t-il la parole, devant cette femme qui le cherchait avec tant d'ardeur, et qui paraissait tout en colère, maintenant, de l'avoir trouvé. Il n'avait encore, faut-il croire, jamais fait l'apprentissage des contradictions féminines. Clémentine ne lui laissa pas le temps de s'étonner davantage : elle lui jeta vigoureusement sa main sur l'épaule comme pour le secouer. Le suaire blanc lui resta dans les doigts... et ce fut tout : elle eut beau chercher et fouiller sous le sapin, dans l'obscurité, elle ne découvrit rien autre. Et cependant, ce suaire, pour sûr, enveloppait les épaules de quelqu'un ...

Le fantôme, mal rassuré sur les intentions de la femme, avait-il décampé en abandonnant son vêtement ? ... Clémentine ne s'en préoccupa point outre mesure. Elle était au fond assez satisfaite que le fantôme, au lieu de lui opposer résistance, ait pris la fuite en lui laissant son suaire pour butin. Elle replia ce trophée peu commun sous son bras, et reprit d'un pied ferme le chemin de sa maison. C'était tout de même une maîtresse femme que cette Clémentine ! ...
- Tenez, dit-elle en arrivant, à défaut de fantôme, qui a réussi à m'échapper, je vous ramène le drap qui le recouvrait.
Et elle jeta l'étoffe sur la table, au milieu des personnes qui étaient chez elle, à la veillée, et qui l'attendaient. On s'approcha pour mieux examiner ce drap. Il s'en exhalait une odeur de mort et de cimetière, qui fit réfléchir même les plus courageux et les plus incrédules. Un vague effroi plana sur le reste de la veillée. Parmi ceux qui étaient là, nul n'osa trop laisser transparaître son propre sentiment, mais on pouvait deviner, à certains signes, que tous avaient l'esprit préoccupé.
Ils se retirèrent enfin, après avoir souhaité bonne nuit à Clémentine, selon la coutume, et Clémentine resta seule en sa maison, avec, sur sa table, ce suaire qui sentait la mort et le cimetière. Elle poussa le verrou de la porte et s'en fut dans son lit, où elle ne tarda pas à s'endormir, comme si de rien n'était. Au milieu de la nuit, la femme fut brusquement tirée de son sommeil par trois coups frappés à la porte :
- Toc ! toc ! toc !
- Qui est là ?
- C'est moi ! Rends-moi de que tu m'as pris.
- Comment ? Qu'est-ce que je vous ai pris ? Rends-moi ce que tu m'as pris ?
- Rends-moi mon suaire ...
Clémentine se sentit toute retournée à cette voix étrange, qui lui réclamait le suaire. C'était une vois glaciale, et morne, et plaintive : une véritable voix d'outre-tombe. "Le fantôme ! se dit-elle. C'est lui ; c'est le fantôme ..." Et elle avait beau être courageuse et décidée, elle ne put se défendre d'un extraordinaire malaise. Elle ouvrait de grands yeux, dans l'ombre, et tremblait de tout son corps. Elle eût bien voulu lui rendre le suaire, mais une peur insurmontable la clouait sur son lit : elle n'osait essayer le moindre mouvement. Elle se rassura tout de même un peu à la pensée que la porte était bien close, leverrou poussé, et que personne ne pouvait entrer. Elle se pelotonna sous les couvertures, se cacha le front dans l'oreiller.
- Toc ! toc ! toc ! ...
L'autre, du dehors, frappait de nouveau et, de nouveau, clamait de sa voix glaciale :
- Rends-moi ce que tu m'as pris ... Rends-moi mon suaire ...
Elle devenait si lamentable, cette voix, et si impérieuse en même temps, que Clémentine en était paralysée et croyait en perdre jusqu'à la respiration. Ses oreilles bourdonnaient ; une sorte de raideur convulsive s'emparait de tous ses membres. Comme anéantie, écrasée d'une invincible terreur, il lui était impossible de remuer, n'eût été que les lèvres pour prononcer une seule syllabe.

Et toujours : "Toc ! toc ! toc !" sur la porte ; toujours ces mots, ces mêmes mots aux lugubres échos : "Rends-moi mon suaire ... Rends-moi ce que tu m'as pris ..." Puis, à la longue, la voix du fantôme se fit menaçante ; ses coups répétés ébranlaient la porte, qui sembla prête à céder. Et tout cela, sans aucun fracas exagéré, sans vacarme inutile, mais avec quelque chose de puissant,d'irrésistible, et de funèbre ...
Le moment vint où Clémentine se crut perdue, car la porte ne tenait plus qu'à peine sur ses gonds. Le fantôme allait-il s'élancer vers elle, l'arracher de son lit, et l'entraîner avec lui aux profondeurs des sépulcres, sans qu'il lui fût possible de se défendre ? ... Elle sentit une haleine fétide qui lui arrivait au visage, l'étouffait ... Horreur ! ... Voici que le fantôme hideux se penchait sur elle ... Soudain ranimée, folle d'épouvante, elle sauta de son lit sur le plancher :
- Arrête, lui cria-t-elle, je vais te le rendre !
Elle saisit le suaire et le lui présenta. Dans l'ombre, alors, elle aperçut une face livide et décharnée, des orbites sans paupières, de longues dents sans lèvres, de longs bras osseux qui tendaient vers elle leurs longues mains de squelette, pour prendre le suaire ... Et elle s'affaissa, évanouie au milieu de la chambre, tandis que le fantôme s'éloignait, pareil à un trou blanc dans la nuit noire ... Clémentine revint de son évanouissement. Elle regaggna son lit, s'y recoucha jusqu'au lendemain matin ... Et à la clarté du jour nouveau, elle constata que sa porte était parfaitement intacte et solide sur ses gonds, malgré les coups terribles qu'elle avait essuyés dans la nuit. Mais si la porte s'en tirait sans aucun dommage, il n'en alla point de même de la pauvre femme. Celle-ci, après les transes qu'elle avait subies, resta malade pendant des semaines et ne se rétablit jamais complètement des émotions de cette nuit cruelle.

Jen BAL, Légendes de ma montagne, 1929
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Le fantôme de Villarlurin
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