Il y avait un petit bourg du Poitou qu se trouvait auprès des bois. Là, il demeurait un charbonnier. Le dimanche, à la messe, une vieille boiteuse qui se mettait toujours auprès du bénitier, donnait de l’eau bénite au monde au fur et à mesure qu’ils entraient. Le curé prêchait :
- Mes très chers frères, si vous voyiez le démon ! Il est si noir, si noir ! Il est horrible à voir !
Le charbonnier se rendait des bois. Se trouvant à passer auprès de l’église, il dit :
- Mon cher bon Dieu, je suis pourtant bien sale, mais il y a si longtemps que je n’ai pas été à la messe, il faut pourtant bien que j’y aille aujourd’hui !
Il s’approche de l’église.
Le curé achevait son prêche, en disant toujours la même chose :
- Si vous voyiez le démon ! Il est si noir, si noir ! Il est horrible à voir !
Tout d’un coup le charbonnier entra. Il avait la figure si noire, que tout le monde en eut peur ; tout le monde s’enfuit ; jusqu’au curé qui se cacha dans sa chaire. Il n’y avait que la vieille boiteuse qui ne pouvait pas se sauver et qui avait entendu dire qu’avec de l’eau bénite on chassait le démon.
Le charbonnier, étonné de voir tout le monde s’enfuir, voulut s’approcher de la bonne vieille pour lui demander ce que le monde avait. La vieille faisait le tour du bénitier, toujours traînant sa jambe, en lui jetant de l’eau bénite par la figure, en lui disant :
- Ah, le joli garçon ! Ah, le joli cadet ! Qu’il voudrait bien me manger ! Ah, le joli mignon ! qu’il me mangerait bien !
Au fur et à mesure qu’elle lui jetait de l’eau bénite, sa figure blanchissait. Il lui demandait toujours pourquoi cette émotion ; elle continuait toujours de lui jeter de l’eau bénite, en disant toujours :
- Ah, le joli moine ! Qu’il change bien de couleur quand il veut ! regardez-le ! Ah ! Qu’il me mangerait bien ! Ah, le joli garçon ! Ah, le joli cadet !
A la fin, le charbonnier, quand il vit cela, fut obligé de sortir de l’église.
Le curé se releva de sa chaire tout honteusement, demanda à la vieille s’in était parti. Elle lui répondit qu’à force de jeter de l’eau bénite, qu’elle l’avait toujours bien chassé, le joli garçon ! Qu’il n’avait pas pu la manger.
Léon Pïneau, Contes, récits et légendes des pays de France