L'intersigne du marin

Quand j'étais marin, je vis un matin de novembre arriver à Leramborgne, tout en larmes, la fermière de Keraby, notre voisine, qui venait demander si les journaux ne parlaient pas de son fils, qui était marin, à bord d'un navire de l'Etat.
- Pourquoi voulez-vous que les journaux parlent de votre fils? lui demanda mon père.
- Ah! c'est que, voyez-vous, je crains un grand malheur. Toute la nuit, je n'ai fait que rêver de mon fils. Je le voyais au milieu d'une tempête épouvantable, faisant des efforts avec ses camarades et ses maîtres pour sauver le navire en péril. Puis le navire se brisait sur un rocher, tous les hommes tombaient à la mer, et je voyais encore mon pauvre enfant qui luttait contre les vagues furieuses, il me semblait même qu'elles entraient dans ma maison et envahissaient mon lit! ... Puis il disparut, en prononçant mon nom et en me tendant les bras...
Et la pauvre femme pleutait, et c'était pitié de la voir.
- Consolez-vous, Marianna, lui dit ma mère, ce n'est là qu'un mauvais rêve, occasionné par la tempête de la nuit dernière. Vous recevrez, sans tarder, des nouvelles qui vous apprendront que votre fils se porte bien, et qu'il arrivera bientôt au pays.
La pauvre mère reçut, en effet, des nouvelles de son fils, au bout d'une quiinzaine de jour, mais pour lui apprendre qu'il avait péri, dans un naufrage, la nuit même où elle avait eu son rêve.

Conté par Séraphine Luzel. Une veillée bretonne en 1836 >>, Nouvelles Veillées bretonnes.

Bisous

ALICE