Une fois, un homme grand, maigre et hâve, qui se disait marchand ambulant entra dans la salle d'une métairie et proposa au couple qui se trouvait là quelques bibelots, notamment une ceinture de cuir vert.
L'homme avait si mauvaise allure que le métayer s'empressa de le mettre à la porte et de pousser le loquet.
Coïncidence ? Tout aussitôt, il se fit un grand vent et un cou de tonnerre éclata dans le ciel, suivi d'un orage qui dura toute la nuit.
Le lendemain matin, en ouvrant la porte, que virent-ils, attachée à la poignée extérieure ?... Tout simplement la ceinture de cuir vert, qu'on leur avait proposé la veille.
Sans penser à mal, la femme la prit, la palpa et, la trouvant à son goût, dit à son homme :
- Je la voudrais bien, si le marchand revient on lui paiera... En attendant, je la garde pour moi...
Mais son mari était prudent et le départ plutôt infernal du marchand ne lui disait rien qui vaille, aussi se montra-t-il fermement décidé à en refuser l'acquisition.
- Non, dit-il, le mieux est de la laisser là où nous l'avons trouvée, quitte à prendre soin qu'elle ne change pas de place... Le Diable serait là-dessous que je n'en serais pas étonné.
A contrecoeur, la femme la remit en place et bientôt n'y pensa plus.
Seulement, le soir venu, alors que son mari dormait, sa curiosité de femme reprit le dessus. Elle se leva et mit la ceinture de l'inconnu.
A peine l'eut-elle serrée autour de sa taille, qu'une abondante toison de poils raides et durs poussèrent sur sa peau, que sa bouche et son nez se firent museau et qu'elle se retrouva à quatre pattes par terre...
Emportée par une rage subite, devenue méchante, bondissant jusqu'à la bergerie, elle égorgea une douzaine de brebis. Cela fait, elle galopa toute la nuit autour du village, en hurlant.
Elle ne s'arrêta que lorsque le petit jour pointa et rentra à la métairie où, ayant enfin pu se défaire de la ceinture verte, elle redevint femme.
Comprenant le pouvoir maléfique de la ceinture, elle la jeta dans le puits et pensant s'en être débarrassée à jamais alla se coucher harassée.
Mais pendant sept ans elle courut ainsi chaque soir, obligée chaque soir de descendre dans le puiits pour y prendre la ceinture verte qui la faisait leberou.
Elle dévora toutes les brebis du canton, et, lorsqu'il n'y en eut plus, elle dévora vaches et boeufs... Elle aurait dévoré tous les enfants ; mais, au bout de la septième année, ne trouvant plus la ceinture au fond du puits, elle retrouva la paix.
Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France