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 Le roi d'Yvetot

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Joa
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Joa


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Le roi d'Yvetot Empty
MessageSujet: Le roi d'Yvetot   Le roi d'Yvetot EmptyDim 16 Déc - 10:23

Les interminables protestations, contestations ou adjurations, qui surgissent à chaque proposition d'un impôt nouveau, nous remettent en mémoire un vieux fabliau qui, vieux de plusieurs siècles, a encore aujourd'hui son parfum d'actualité.
Une vieille grange, qui était à la fois la salle du trône et la salle de danse du royaume d'Yvetot, tombant en ruine, le roi régnant décida qu'elle serait reconstruite. Fidèle aux traditions débonnaires de ses prédécesseurs, il voulut que le tribut que chacun aurait à payer pour la réédification du monument fût volontaire et ne coûtât, par conséquent, ni une larme ni un regret à aucun de ses sujets.
Il s'en alla donc les trouver tour à tour et leur exposa la situation. Il ne négligea pas de leur représenter que le sacrifice était commandé autant par l'intérêt de chacun que par celui de la couronne, c'étaient leurs garçons et leur filles qui chaque dimanche, en dansant, étaient exposés à voir le toit de l'édifice se mêler à leurs entrechats ; il finit en les engageant à fixer eux-mêmes le chiffre de la contribution qui permettrait à la jeunesse de gambader désormais avec sécurité.

Le pauvre souverain avait mal choici son heure. Toutes les bourses d'Yvetot s'étaient donné le mot pour être à sec ce jour-là. Du plus pauvre au plus riche, il n'en fut pas un qui n'alléguât l'impossibilité de se dessaisir d'un rouge liard ; de plus, à les entendre, des maux effroyables, dont l'insurrection et la famine étaient les moindres, ne pouvaient manquer de fondre sur le royaume s'ils avaient la faiblesse de céder aux aveugles exigences de leur monarque.
En revanche, tous se faisaient un véritable plaisir d'indiquer à Sa Majesté tel de leurs voisins qu'on pouvait tailler à merci et miséricorde sans compromettre la prospérité générale, précisant même la somme que la plus stricte équité exigeait qu'on lui demandât. Le fabricant le renvoya au laboureur, qui le dépêcha au brûleur de cidre, qui l'expédia au cabaretier, qui le lança sur le charron, etc., etc.
De coup de raquette en coup de raquette, l'infortuné eut bientôt visité jusqu'à la plus humble des chaumières de ses Etats, sans avoir récolté de quoi payer une latte ou une tuile.
Il se dirigea enfin vers les pâtures d'un berger que le gagne-petit, le dernier sollicité, lui avait indiqué comme fort en état de lui fournir un gros subside.
Sa course à travers la plaine aboutit à une nouvelle déception. Le troupeau tant vanté ne se composait que de deux brebis, et encore étaient-elles tondues.
Il n'en raconta pas moins à leur propriétaire ce qui l'amenait, sans lui dissimuler l'insuccès de ses démarches précédentes.
- Sire, lui dit le berger, vous voyez les deux touffes de laine qu'en les tondant j'ai laissées à la queue de mes brebis afin qu'elles puissent chasser les mouches. Je vais les couper et j'en ferai hommage à votre bâtisse. cependant, que Votre Majesté ne s'étonne pas de rencontrer chez un pauvre berger une générosité qu'elle n'a pas trouvée chez les plus riches : ces deux bêtes sont vendues au boucher, et il ne me les payera un sol de moins avec ou sans houppe à la queue. Maintenant, comme entre le pasteur d'hommes et le pasteur de brebis la plus grande différence est dans l'étoffe du manteau, permettez-moi de grossir mon offrande d'un conseil. Quand vous avez un impôt à lever, n'écoutez jamais les intéressés ; sachez que, si vous lui donnez voix au chapitre, il ne sera pas d'agnelet fraîchement agnelé qui ne vous démontre que ce n'est point à lui à vous fournir de la laine, mais bien plutôt aux anguilles. Chacun son métier ici-bas ; celui des moutons est de bêler, et le nôtre, sire, est de les tondre.

Le roi d'Yvetot profita de la leçon ; il décréta une bonne taxe de capitation qui fit hurler son peuple, mais qui paya le maçon, le charpentier, le couvreur et le reste.
Et, comme, dans ce royaume vraiment exceptionnel, les devis n'étaient jamais dépassés, la grange élevée, le monarque eut encore dans le reliquat de quoi s'acheter une belle douzaine de couronnes, c'est-à-dire de bonnets de coton de rechange.

Marquis G. de Cherville, Contes, récits et légendes des pays de France
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Le roi d'Yvetot
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