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 Une noce vendéenne en 1845

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Joa
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Joa


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Une noce vendéenne en 1845 Empty
MessageSujet: Une noce vendéenne en 1845   Une noce vendéenne en 1845 EmptyMar 18 Déc - 10:05

On distingue, en Vendée, la Plaine, le Bocage et le Marais. Le Marais et le Bocage sont les points les plus curieux du pays, sous le rapport pittoresque et sous le rapport moral.
Les gens du Marais ne tranchent pas moins par le costume que par le caractère sur le reste des Vendéens. Ils portent de larges pantalons, rehaussés de ceintures écarlates, des vestes en drap fin, à boutons argentés, d'énormes chapeaux entourés de velours et quelquefois de rubans. Les femmes étaient un véritable luxe d'étoffes éclatantes, de soieries et de dentelles, de dorures et de bijoux. Leur coiffe altière, élevée de deux pieds, rappelle les fameux hennins du quatorzième siècle. Un gros coeur en or pend au-dessous de leur épais chignon sur l'opulente carnation de leur cou. Des chaînes d'agent attachent les clefs du ménage à leur ceinture. Des boucles du même métal brillent sur leurs souliers, dont la forme coquette fait valoir les bas à fourchettes rouges.
Même richesse à l'intérieur des habitations ; grand lits de bois peints, bourrés de plume jusqu'au ciel ; piles de linge blanc parfumé dans les armoires ; vaisselier garni de faïence de toutes les couleurs ; cellier rempli de vin de la Plaine, de la Saintonge ou de l'Anjou ; table toujours couverte de pain blanc, de beurre frais et de poisson délicat, quelquefois d'une oie grasse ou d'un excellent canard, avec un service d'argenterie massive. Et puis aux jours de foire et de marché un train complet de voyage pour aller à Beauvoir, à Challansd ou à Machecoul ; autant de maîtres, autant de juments bien nourriese, autant de lourds valets montés comme leurs maîtres.
Ce bien-être, cependant, n'est pas le lot de tous les maraichains, mais seulement des riches cultivteurs connus sous le nom de cabaniers. Le Marais, qui est le pays des contrastes, offre à côté d'eux les pauvres pêcheurs du marais mouillé, qu'on nomme huttiers, du nom de leurs maisons de terre et de branchages, mais dont la demeure véritable est leur batelet, auquel ils semblent incorporés comme le centaure antique à son cheval. le huttier vit en effet sur l'eau les deux tiers d'e l'année. Il naît et s'élève, travaille et voyage, se marie et meurt dans la case étroite de sa barque. Il la quitte à peine quelques instants pour vendre sa chasse ou sa pêche au rivage prochain. Il la fait voler sur les eaux au moyen d'une perche ou rame appelée pégouille. Il court avec elle au-devant du gibier qu'il abat à coup sûr, ou du poisson qu'il enveloppe dans ses longs filets.

Rien d'étrange à voir comme les promenades des huttiers, par un beau jour de fête, sur la vaste nappe argentée dont l'Ocan couvre leur pays. Le village s'élève sur un monticule au-dessus du marais... Un gai carillon ébranle le clocher réfléchi dans l'onde... A ce signal, les huttes éparses tressaillent sur leurs tertres lointains... Des coiffes blanches s'en détachent par groupes, ciomme des goélands effleurant le sol de leurs ailes blanches... Chaque famille s'installe dans son bateau, chaque bateau se rallie au bateau voisin, et, de tous les îlots de cette mer tranquille, vingt flottilles prennent leur essor vers le centre commun. les bateaux cinglent d'ordinaire deux à deux, et tellement rapprochés que ceux qui les remplissent ont l'air de marcher sur l'eau en se donnant le bras. Ainsi les huttiers vont au baptême de leurs enfants, à l'enterrement de leurs pères, au mariage de leurs filles. Ainsi leurs prêtres vont leur porter les secours de la religion, leurs médecins les secours de l'art, et leurs amis les secours de l'amitié.
Nous avons vu chez eux le spectacle d'une noce, et nous ne l'oublieront jamais. Dès le matin, la barque nuptiale fut entourée de toutes les yoles d'alentour, pavoisées de rubans et de feuilles de tamarin, montées par les huttiers et les huttières dans leurs plus beaux habits de fête. Le signal du départ fut donné par la veze, qui réveilla mille échos joyeux à perte d'ouïe... Les chants et les coups de fusil alternaient avec la musette champêtre. Le soleil levant changeait le Marais en une plaine de nacre enflammée. Après la messe, le repas eut lieu sur la flottille. Deux barques, chargées de vivres, allaient de rang en rang servir les autres, puis elles s'établirent au centre ; on se serra tout à l'entour, et les bateaux devinrent une grande table flottante. La fête se termina par des chants, des coups de fusil, des danses même, et, le soir venu, par une joute entre les barques illuminées... Les époux furent conduits, sur les onze heures, à la hutte de famille. Leur bateau y entra sans peine, car l'eau s'élevait jusqu'à la moitié des murs. Ils n'eurent qu'un mouvement à faire pour passer de ce batelet dans le lit nuptial... Et barques et convives, chants et musique se dispersèrent et s'évanouirent dans toutes les directions.

Voici maintenant le tableau d'une noce chez les paysans du Bocage.
Les jeunes gens se recherchent et se connaissent aux assemblées du dimanche, conacrées,, le matin, à la quête des domestiques, et, le soir, au plaisir et à la danse. Ici, comme dans toutes les campagnes, l'amour se fait à coups de pieds et à coups de poings, et se traduit par des niches et des surprises à casser bras et jambes.
Quand les deux familles sont d'accord, chacun invite à la noce tous ses parents, alliés et amis, c'est-à-dire presque tout le village. Le matin du grand jour, les jeunes filles revêtent la mariée de la robe en drap de Silésie bleu, de la ceinture argentée que le mari seul pourra défaire, et de la coiffe à longues barbes, où toutes celles qui veulent se marier dans l'année fichent une épingle. Autrefois le fiancé se poudrait ce jour-là comme son seigneur. On retrouve encore cet usage en quelques cantons.
Le cortège se rend à l'église. Le parrain et la marraine de la future marchent derrière elle, le parrain portant un énorme gâteu à benir, la marraine portant une épine blanche garnie de rubans et de fruits, et une quenouille avec son fuseau. Avant d'unir les époux, le prêtre bénit, outre les anneaux, treize pièces d'argent que l'homme donne à la femme. Tous ces symboles s'expliquent d'eux-mêmes : l'épine et les fruits, ce ont les joies et les douleurs d'ici-bas ; la quenouille, c'est le travail ; le gâteau, c'est la communion du ménage ; l'argent, c'est la protection du mari. Au milieu de l'office, les cloches sonnent le glas funèbre, toutes les voix chantent le libera, et tous les coeurs prient pour l'âme des morts.
Au sortir de l'église, la mariée s'arrête et reçoit le baiser d'adieu de sa famille et de ses amis. Les garçons la saluent de coups de pistolet et de coups de fusil. Chasseur par état et soldat par souvenir, le Vendéen ne connaît pas d'autre sérénade que l'explosion de la poudre enflammée. Soit qu'elle marche, soit qu'elle chevauche, soit qu'on la porte à travers les chemins creux, l'épouse doit se rendre de l'église à la maison par la ligne la plus directe. Si elle prenait le moindre détour, elle abandonnerait le sentier de la vertu. Arrivés sur le seuil conjugal, on présente aux mariés du vin, du beurre et du pain frais. A jeun et fatigués, ils acceptent ce premier repas. En même temps, une pyramide de fagots s'élève dans le pré voisin, on y met le feu, et la flamme tourbillonne en l'air au bruit des détonations.

C'est le ignal des premières danses ; la veze et souvent le violon y répondent. La foule joyeuse se divise en couples. Aux courantes succèdent les rondes, aux rondes le pichefrit national. deux jeunes gars et deux jeunes filles se font vis-à-vis ; chaque danseur est derrière sa danseuse immobile. Par-dessus l'épaule de celle-ci, il provosue son adversaire en s'gitant sur une mesdure croissante... Tout à coup les deux rivaux s'élancent, se donnent la main, dansent ensemble ou séparément, et se placent devant leurs danseuses qui recommencent le même exercie. s'il faut en croire M. Massé-Isidore, qui nous fournit quelques-uns de ces détails, le pichefrit remonte aux danses guerrières des anciens Agésinates.
Mais voici l'heure du dîner. Sous une vaste tente de toile blanche, tout le monde se range autour d'une table chargée d'assiettes d'étain, de bouteilles et de plats homériques. Le couvert de la mariée est le eul qui mérite ce nom. L'époux la sert debout, la serviette sur le bras, jusqu'au dessert. Alors cessent les chansons qui ont accompagné le repas (il y en a une sur la bouillie de millet, une autre sur l'oiseau que l'on fait envoler d'une soupière, vingt autres sur vingt sujets du même genre ; le tout entremêlé des lazzis intarissables du ménestrel, dont la triple fonction est d'amuser, de faire danser, et de boire toute la journée). On apporte les gâteaux offts aux mariés par leurs parrains et leurs marraines. Ce sont de véritables monuments dans lesquels entrent deux boisseaux de farine. Les plus vigoureux garçons de la noce les soulèvent sur leurs bras et les portent en dansant autour de la table. Tous les convives les imitent, armés de leurs assiettes d'étain qu'ils entrechoquent en l'air, non sans détacher au vol et manger quelques parcelles des gâteaux. Encore un souvenir de l'antiquité, qui fait rêver à la danse des Corybantes. Des cadeaux de toute espèce sont offers de la même sorte aux époux : du linge, de la vaisselle, de l'argent, de petits sabots et des bonnets enfantins.
Nouvelles danses jusqu'au souper, et après le souper nouvelles cérémonies. Une porte s'ouvre. Une troupe de jeunes filles s'avance, soutenant un énorme bouquet d'épines, chargé de ruban, de fruits et de fleurs. Elles se présentent tristement à l'épousée. Celle-ci tombe en pleurant dans les bras de sa mère ; l'émotion gagne toute l'assistance, et les jeunes filles chantent cette fameuse chanson de la mariée, qui se retrouve dans toutes les campagnes de l'Ouest, avec quelques variantes. C'est l'adieu de l'amour à l'hymen, du plaisir au devoir, de la virginité à la maternité. L'expression en est tour à tour impitoyable et touchante :

Ce bouquet fruitager
Que ma main vous présente,
Il est fait de façon
A vous faire comprendre,
Que tous ces vains honneurs
Passent comme les fleurs.
Vous n'irez plus au bal,
Au bal, aux assemblées ;
Vous resterez à la maison
Pendant que nous irons.
Adieu, château brillant,
Beau château de mon père,
Adieu la liberté,
Il n'en faut plus parler ! etc.


Et la chanson n'exagère pas. Le sort de la paysanne est en effet l'opposé du sort de la femme du monde. la liberté et la joie de celle-ci commencent avec son mariage. L'esclavage et les peines de celle-là datente du jour de ses noces.
Tandis que la mariée fond en larmes, le plus jeune de ses frères, se glissant sous la table, lui dérobe une jarretière rouge... Ses sanglots redoublent à ce vol symbolique, mais déjà les toasts joyeu les couvrent. La jarretière est coupée en petits morceaux, et chaque convive en décore sa boutonnière. Parfois, le jeune frère enlève aussi un soulier, qu'il adjuge au plus offrant. Le marié le rachète à ce dernier, et le prix retourne au ytrésor fraternel.
Tout à coup, on entende frapper à la porte. Ce sont des étranger qui demandent l'hospitalité. Qu'on les connaisse ou non, peu importe, ils sont invités et admis au banquet conjugal. Deux d'entre eux portent dans une corbeille couverte d'un voile blanc ce qu'on appelle de Moumon : c'est ordinairement une colombe, une tourterelle, ou un jeune lapin enjolivé de rubans. Ils posent leur corbeille sur la table, sans la découvrir ni proférer une seule parole ; si on veut savoir ce qu'elle contient, on la joue aux cartes. Si les voyageurs la gagnent, ils la remportent sans la découvrir, mais s'ils la perdent, ils lèvent le voile, et le Moumon s'échappant au milieu des plats et des assiettes excite la plus vive hilarité.

Dans certains cantons, la nuit entière se passe en réjouissances. Dans quelques autres, les époux s'échappent vers quatre heures du matin, et vont se cacher dans une maison voisine. Mais bientôt toute la noce se met à leur recherche, et finit par les découvrir. Alors on leur pr"ésente une soupe à l'oignon, qu'ils mangent au bruit des éclats de rire et des coups de fusil - à moins que la mariée ne la renverse ou ne la jette au visage des plaisants -, ce qui annonce au futur ménage une série d'orages domestiques.

Pitre Chevalier, Contes, récits et légendes de France
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Une noce vendéenne en 1845
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