Aujourd'hui, téléfilms et faits divers nous ont familiarisés avec les prises d'otage violentes, dans lesquelles les ravisseurs déploient des trésors d'imagination et de cruauté pour rançonner leurs victimes. Si les techniques ont évolué au fil des siècles, elles n'ont rien à envier à la diabolique "poire d'angoisse" utilisée en France sous le règne de Louis XIV.
C'est maître Eridas, notaire à Paris, qui eut le privilège d'expérimenter cette arme redoutable. Une nuit, alors qu'il dort, trois vauriens s'introduisent dans sa maison bourgeoise et le tirent hors de son lit pour faire main basse sur ses économies. Johan Palioli, le chef de la bande, menace son otage en ces termes : "Monsieur, il faut nécessairement que je vous tue ou que vous nous donniez ce que nous demandons."
Le notaire tergiverse. Alors Palioli lui enfonce dans la bouche une boule métallique garnie de piquants et de ressorts,une poire d'angoisse. Quand on actionne son mécanisme, l'instrument s'écarte et l'homme se retrouve la bouche maintenue grand ouverte et les joues transpercées. Seule une clé spéciale est capable de rendre à l'appareil son aspect d'origine. Eridas, le gosier affreusement dilaté, cède, guide les aigrefins vers son coffre et leur remet deux sacs depistoles.
Aussitôt les malfrats en fuite, le notaire va quérir ses voisins. Un serrurier est appelé d'urgence pour libérer le malheureux. Mais à chaque coup de lime, la poire d'angoisse pénètre les chairs plus profondément. Le soir, Eridas, au bord de la suffocation, reçoit enfin la petite clé libératrice et un billet ainsi conçu :
Monsieur, je n'ai point voulu vous maltraiter, ni être cause de votre mort. Voici la clé de l'instrument qui est dans votre bouche. Si je vous ai donné un peu de peine, je reste pourtant votre serviteur dévoué.
Heureuse époque où les puires canailles savaient s'excuser avec élégance !