Dans le pays de Beyrie, il y avait une grande maison de laboureurs. Un jour, pendant qu'on y était occupé à blanchir le maïs, le garçon dit à une demoiselle de la maison (Etchcko-alaba : "fille de la maison". On appelle ainsi les filles puînées de tout propriétaire. L'aînée s'appelle "l'héritière" prima, ou andregeya : "la future dame") qu'il avait oublié aux champs le râteau. La demoiselle lui dit qu'il aille le chercher. Le garçon répond que non, qu'il ne sortira point à cette heure : il est onze heures passées. Une servante dit : "Eh bien ! moi j'irai" ; et ils parient quelque peu de chose qu'elle ira et qu'elle rapportera le râteau. Elle sort et y va. Pendant qu'elle revenait avec le râteau, minuit sonne dans les airs. Elle est prise par les esprits. Vous savez que de nuit les sorcières ont beaucoup de pouvoir. En allant ainsi dans les airs, elle passa au-dessus de sa maison et jeta le râteau par la cheminée en criant : "Le voici !" Si cette pauvre fille, étant ainsi emportée, s'était souvenue d'invoquer Dieu, les esprits l'auraient laissée ; mais ce fut seulement en passant la chapelle Saint-Sauveur qu'elle pensa à dire : "Seigneur, sauvez-moi !" Aussitôt les esprits la laissèrent à la pointe de cette montagne, et l'on peut encore l'y voir. Elle est demeurée la même. On lui a fait une habitation en verre, et on lui a mis le râteau la main. (Cette maison de verre, on pouvait encore la voir, avec le corps de la jeune fille, au temps de la Restauration.)
Jean-François Cerquand, Contes, récits et légendes des pays de France.