Il y avait une fois une bonne femme dont le mari était cantonnier. Un jour qu'il travaillait sur la grande route, il trouva une valise qui était pleine d'or. Il revint au logis, et dit à sa femme :
- C'est moi qui ait trouvé un joli sac de cuir avec de beaux boutons dedans ! J'aurai pour longtemps avec quoi boutonner mes culottes.
- Fais-moi les voir, dit la femme.
Elle ouvrit la valise, et comme elle était moins simple que son homme, dès qu'elle eût vu ce qu'elle contenait :
- Va te coucher, dit-elle ; tu es malade.
- Mais non.
- Si, je le vois bien ; il n'y a qu'à regarder ta figure.
Quand son homme fut couché, elle l'endormit en lui faisant respirer des herbes fortes, mit deux oeufs dans son lit, puis baratta le lait. Le soir, le cantonnier voulut se lever ; mais elle borda soigneusement ses couvertures et le fit rester au lit, en disant toujours qu'il avait la mine malade. Le lendemain matin, quand il s'éveilla, il dit :
- Je retourne à ma journée ; je suis bien guéri aujourd'hui.
En se levant, il trouva dans son lit les deux oeufs que la fine commère y avait placés la veille.
- Ah ! s'écria-t-il, tu avais raison de dire que j'étais malade : j'ai pondu deux oeufs, et les voilà.
Le cantonnier alla à la croisée et vit la cour de la maison toute blanche : sa femme y avait jeté le lait qu'elle avait baratté.
- Qu'y a-t-il de blanc devant la maison ?
- Ah ! répondit-elle, pendant que tu étais couché, il a plu du lait ribot.
Le bonhomme reprit ses outils et retourna travailler sur la route. A peine y était-il arrivé, qu'un monsieur l'aborda et lui dit :
- N'avez-vous rien trouvé hier sur cette route, mon ami ?
- Si, monsieur ; j'ai trouvé un petit sac de cuir, rempli de boutons jaunes.
- Faites-le moi voir, s'i vous plaît.
- Venez avec moi ; il est à la maison.
Quand il fut arrivé chez lui avec le monsieur, il dit à sa femme :
- Montre-moi le petit sac de cuir que je t'ai apporté hier.
- Tu ne m'as rien apporté.
- Si, je t'ai donné un petit sac de cuir.
- Un petit sac de cuir ? Quel jour donc ?
- Tu ne te rappelles plus ? c'est le jour pù j'ai pondu deux oeufs, et où il a tombé du lait ribot.
- Vous voyez bien qu'il est fou, dit la bonne femme.
Le monsieur crut que le cantonnier avait adioté (perdu la tête), et la bonne femme a eu la bourse.
Paul SEBILLOT, Littérature orale de la Haute-Betagne, 1881
Conté en 1879 par Elisa DURAND, de Saint-Cast