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 Les trois rencontres

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Les trois rencontres   Les trois rencontres EmptyMer 19 Juil - 8:07

Au temps jadis - quand les bêtes avaient déjà cessé de parler mais lorsque les hommes n'avaient pas encore commencé à le faire hors de propos -, il était, dans un petit bourg voisin de Tours, trois frères qui avaient été placés sous la protection particulière d'une fée fort puissante, nommée Urdine. Elle ne manquait aucune occasion de manifester sa sollicitude aux trois adolescents et jamais filleuls n'eurent ici-bas marraine plus attentive. Geoffroy, Richard et Philibert étaient les noms des trois frères. A cette époque où la plupart des villages d'aujourd'hui n'existaient pas, ils habitaient avec leurs parents une petite maison sise à l'orée des bois, à quelque distance de la Choisille. Chaque soir, assis sur la pierre du seuil, ils échafaudaient des projets d'avenir. La ferveur de la vingtième année courait dans leurs veines et, se sentant à la veille d'entrer véritablement dans la vie, ils avaient le coeur troublé d'une inexprimable inquiétude. Que serait leur lendemain ?
Déjà, en ces temps anciens, les difficultés de l'existence commençaient à rogner la maigre part de joie de chacun. Les trois frères étaient pauvres. Les quelques arpents qu'ils cultivaient ne rapportaient guère et leurs parents étaient vieux. Il résultait de tout cela une médiocrité de vie qui les décourageait et les irritait. Aussi, chaque soir, assis sur la pierre du seuil, tournaient-ils leurs pensées et leurs persévérances vers la fée :
- Ah ! si Urdine pouvait nous arracher à notre mauvais destin, disaient-ils en choeur, et nous rendre puissants, riches et heureux !
Or un soir que la fée passait par la vallée de la Choisille, dans son char aérien attelé de papilllons, elle entendit par hasard les paroles de ses protégés. Elle serra aussitôt les doigts sur les rênes formées d'un fil de soie. Les milliers de petites ailes blanches, jaunes, pourpres et mordorées qui entraînaient l'équipage à travers les airs se laissèrent tomber doucement.
- Que désirez-vous de moi, mes enfants ? Vous pouvez me parler en toute franchise ...

Les trois frères demeurèrent interdits devant la fée. Il y avait déjà plusieurs années qu'elle ne leur était apparue et leur surprise fut grande de voir surgir cette conque de fleurs au milieu de laquelle était assise, drapée plutôt qu'habillée d'une gaze couleur de lune, la surhumaine apparition. A part soi, Urdine fut bien aise, étant quelque peu femme, de constater la stupeur que provoquait sa beauté. Mais, ne fût-ce que pour se donner une contenance, elle reprit très vite :
- Allons, dites-moi vos désirs. Je m'efforcerai de les satisfaire.
Les trois frères répondirent alors, d'une seule haleine :
- Nous voudrions être puissants, riches et heureux ...
Urdine sourit :
- Ces voeux sont bien contradictoires. C'est à peu près comme si vous vouliez à la fois être goujons, couleuvres et escargots. Mais je m'en voudrais de ne pas chercher à vous faire plaisir. Voici donc ce que je vous commande à, ce propos : demain, dès l'aube, vous vous mettrez tous trois en route par de chemins différents et vous chercherez à votre gré une aventure. Celle-ci, quelle qu'elle soit, vous instruira. Puis vous reviendrez ici et le soir, à la même heure qu'aujourd'hui, vous me conterez vos impressions.
Le lendemain soir, les trois frères se trouvaient, comme de coutume, assis sur la pierre du seuil. Deux d'entre eux semblaient pleins de soucis. Philibert, contemplait le ciel avec des yeux joyeux. Et voici que, tout à coup, apparut une sorte de chaise à porteurs dont l'avant et l'arrière étaient soutenus par les ailes de grands cygnes blancs. Ce nouveau et galant véhicule traça dans l'éther quelques cercles d'ampleur décroissante et vint finalement se poser devant la maison. Urdine en sortit avec légèreté.

- Eh bien ! dit-elle aux trois frères, qu'avez-vous vu d'intéressant au cours de vos promenades respectives ?
Geoffroy commença son récit d'une voix qui ne semblait pas traduire un excessif enthousiasme :
- Je suis parti dès l'aube, dit-il, et je pris le grand chemin qui mène à Tours. Je me flattais d'y voir des choses intéressantes, étant donné le grand nombre de voyageurs et de marchands qui empruntent chaque jour le pavé du roi. De fait, je ne tardai pas à voir venir à ma rencontre une troupe importante.. Je distinguais de loin les casaques multicolores qui couvraient les pourpoints des archers, les casques des cavaliers et aussi de hautes aigrettes de plumes qui, plantées droit aux quatre angles d'une litière, marquaient la présence d'un personnage considérable. Les archers des premiers rangs encadraient solidement un homme vêtu de bure grossière et dont les poings étaient maintenus étroitement joints par un lien de chanvre bien blanc et bien neuf. Je m'enquis auprès des gardes de l'identité de ce malheureux. Sans s'arrêter, l'un d'eux me jeta cette confidence au passage :
-Ne reconnaîtriez-vous pas Messire Luc qui jusqu'à ce matin était le ministre et confident de notre gracieux souverain ? Nous le menons tout droit à Paris et le roi, qui vous suit, ne sait encore s'il fera placer ce bel oiseau, pour l'apprivoiser, en une cage de fer où s'il l'enverra sautiller parmi les branches, une bonne corde au col. Cela dépendra de sa fièvre quartaine.
Je ne pus m'empêcher de jeter un regard de pitié sur l'infortuné qui, très pâle, continuait à marcher entre ses gardes. Mais déjà venaient des piquiers, marquant noblement le pas ; des trombettiers tirant par instants de rauques sonorités de leurs longs pavillons de cuivre ; puis de beaux seigneurs chevauchant gravement des destriers embarrassés dans leurs caparaçons flottants. Enfin, une litière, où gisait un homme si maigre, si jaune, si triste que je le considérai un instant avec un véritable étonnement. Ma surprise était telle que j'en oubliai de retirer ma toque lorsque la litière passa. Mais un valet qui avait remarqué ma négligence prit la peine de me rappeler au respect dû à notre sire en m'envoyant un grand soufflet dont le premier effet fut de me décoiffer incontinent. Comme je ne pouvais me faire à la pensée que le personnage hypocondriaque qu'on balançait dans la litière fût le roi, j'interrogeai un petit page qui se traînait à la queue de la troupe. Il me dit :
- Le roi, notre sire, est malade ou, plus exactement, s'imagine l'être. Il envoya naguère chercher à Florence de ces pois loupins qui sont, dit son médecin, d'une merveilleuse efficacité contre les tumeurs. Hier soir, il donna commission à un capitaine de nef de se rendre aux îles Vertes afin d'en rapporter du sang de tortue géante qu'il croit un remède souverain contre la lèpre. Heureusement que pour se consoler un peu, il a cette ressource qui n'est pas donnée à tout le monde : il peut, par manière de distraction, faire fouetter ses pages, enfermer ses ennemis et pendre, lorsqu'ils ont cessé de lui plaire, les dépositaires de ses plus intimes secrets.
J'en avais assez vu, je l'avoue, je me hâtai de revenir ici, car la nature ne m'a pas fait si brave que je sois, exempt de redouter les mauvaises rencontres.

- Et toi, Richard, dit la fée, as-tu remarqué quelque chose d'intéressant au cours de ta promenade ?
- J'ai pris au petit matin le chemin qui mène à Marmoutier, répondit le second des frères. Au début, c'était dans toute la campagne un silence complet que venait seulement troubler de temps en temps un tireli d'alouette ou un caquet de roitelet. Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque j'aperçus des gens qui venaient en sens inverse. Je me dissimulai derrière un buisson. Ceci me permit d'assister au plus abominable spectacle que j'aie vu de ma vie.
Sur une mule était montée une dame d'âge mûr dont les cheveux gris dépassaient le bord d'un petit bonnet de veuve. Elle était vêtue de noir. Derrière elle, sur la croupe de la mule, se trouvait fixé un petit coffre qui oscillait à chaque pas, suivant l'amble de la monture. La voyageuse avait l'air digne et triste. Je devais apprendre un peu plus tard qu'il s'agissait d'une noble dame qui, ayant perdu son mari et n'ayant plus de famille, avait vendu ses biens et s'en allait se faire nonne à Marmoutier. Quatre hommes l'accompagnaient : longues carcasses d'escogriffes, visages maigres et barrés de minces moustaches à la façon de ceux des spadassins. La vue de cette escorte me sembla si inquiètante que je me dissimilai plus soigneusement encore derrière le fourré. Je commençai cependant à m'accuser in térieurement de pensées injustes car la dame avec ses gardes du corps m'avait déjà dépassé et s'éloignait paisiblement. Mais, tout à coup, un cri de terreur me fit lever la tête au-dessus des broussailles. Là-bas, deux des valets venaient de plonger dans le flanc de leur maîtresse les lames de leurs poignards. Je vis la dame rouler aux pieds de la mule. Puis les assassins se précipitèrent sur la malle, en coupèrent les courroies et, après avoir soigneusement dissimulé le corps de la victime sous les couverts, ils s'enfoncèrent sous bois afin de se partager le butin. Ils vinrent ainsi de mon côté et j'assistai, plus mort que vif, au pillage des bijoux et des hardes que contenait la malle, tandis que la mule demeurant libre détalait à belle allure, vers la vallée.
Chose étrange ! La fée ne semblait point surprise des aventures auxquelles Geoffroy et Richard avaient été mêlés quelques heures plus tôt. D'une voix très calme, elle invita Philibert, leur cadet, à lui conter à son tour ce qu'il avait vu au cours de sa promenade du matin.

- J'ai simplement suivi, dit celui-ci, le petit sentier qui descend d'ici vers le cours de la Choisille. C'est un chemin que j'aime parce qu'il est toujours vert et plein d'oiseaux. J'ai marché, marché longtemps ; mais je dois dire que je n'ai pas rencontré de compagnies aussi périlleuses que celles qui ont tant effrayé mes frères. Ja n'ai aperçu en tout et pour tout qu'un pauvre homme qui surveillait son troupeau de chèvres. Assis au pied d"un hêtre, il sculptait grossièrement avec son couteau un morceau de vulgaire bois blanc.
- Est-ce qu'il t'a parlé ? dit la fée.
- Je lui ai demandé s'il ne s'ennuyait pas dans cette solitude. Il me répondit qu'il ignorait jusqu'à l'existence de l'ennui et que sa vie était paisible puisqu'il avait un chien pour le défendre à l'occasion et sa fille pour l'aimer. De fait, je ne tardai pas à voir arriver celle-ci qui apportait à son père un large quignon de pain d'orge et quelques fruits. Je fus surpris de lire sur son front cette gaieté transparente que donnent la jeunesse et l'absence de souci. Son père l'embrassa et, tandis qu'il faisait honneur à son rustique repas, la jeune fille, après m'avoir gracieusement salué, alla se mêler sans façon aux gambades des chèvres. De toute évidence cet homme et cette enfant étaient les plus heureuses gens du monde.
La fée interrogea de nouveau Philibert qui demeurait tout rêveur :
- As-tu au moins prié le chevrier de t'indiquer le secret de son bonheur ?
- Je n'y ai pas manqué, répondit le jeune homme, d'autant que je me plaisais singulièrement en sa compagnie. Après avoir longuement joué avec les chèvres, sa fille était venue nous rejoindre.
Assis tous trois au pied d'un grand arbre, nous devisâmes à l'infini. Quand je leur demandai comment ils faisaient pour être aussi heureux, ils me répondirent l'un et l'autre qu'ils n'avaient aucun désir et que rien, de ce fait, ne venait jamais troubler leur quiétude ...
- C'est un très sage conseil qu'ils t'ont donné là, commenta Urdine. Il ne tient qu'à toi de le suivre et de ne jamais te laisser égarer par tes propres désirs ...

-Oui-da, repartit Philibert. Mais il y a de grandes différences entre goûter un conseil et pouvoir le suivre. Je voudrais bien, moi aussi, n'avoir aucun désir et n'avoir qu'à ménager mon insouciance.
- Voilà ! fit le jeune homme. Je suis entré sans désirs dans le petit sentier que je vous ai dit. Mais je n'en suis pas revenu aussi paisiblement. En un mot comme en cent, j'aime la fille du chevrier et je serais le plus malheureux des hommes si je ne parvenais pas à l'épouser ...
Urdine éclata de rire :
- J'avoue que je n'avais pas prévu ce dénouement lorsque je t'inspirai de diriger ta promenade vers la vallée de la Choisille. Mais, tout compte fait, il ne me déplaît pas. Pour te manifester ma bienveillance, je vais, à ton intention, transformer ce grand hêtre que tu vois en maison. Ce sera mon cadeau de noces. Quant à tes frères, bien loin d'aller courir les grandes routes à la recherche de la richesse et de la puissance, qu'ils prennent souvent comme toi les simples sentiers des champs où les lapins viennent brouter le trèfle et le pissenlit. Ils y rencontreront plus aisément le bonheur et j'accourrai pour les féliciter s'ils découvrent à leur tour, auprès de sa cabane ou parmi le troupeau, la fille du chevrier.
Un léger coup de baguette fit trembler jusqu'au faîte le hêtre voisin. Son tronc s'élargit, ses branches devenues horizontales formèrent de puissantes sablières, son écorce se transforma en essentes et le feuillage de la cime fit une belle toiture d'ardoise. Cette métamorphose ne demanda qu'une minute à peine. Lorsqu'elle fut achevée, les trois frères, abasourdis, se retournèrent vers l'endroit où s'était posée la fée. Mais la place était vide et leurs yeux distinguèrent seulement, entre deux roses nuages crépusculaires, un étrange petit équipage qui fuyait vers l'horizon, porté sur les larges ailes blanches des cygnes.

René HERVAL, En Touraine, 1935
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