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 Les laveuses de nuit ou lavandières

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Les laveuses de nuit ou lavandières   Les laveuses de nuit ou lavandières EmptyMer 19 Juil - 8:11

Le Berry n'est pas la seule province où l'on redoute ces femmes cruelles de l'au-delà, condamnées à d'éternelles lessives, et qui tentent de noyer les promeneurs nocturnes. Partout en France, des paysans disent avoir entendu, au coeur de la nuit, le bruit de leurs battoirs diaboliques. De mauvaises langues prétendent qu'il ne s'agirait, en fait, que du chant d'une espèce de grenouille !

Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyères comme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend, durant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandières fantastiques. Dans certaines provinces, on croit qu'elles évoquent la pluie et attirent l'orage en faisant voler jusqu'aux nues, avec leur battoir agile, l'eau des sources et des marécages. Il y a ici confusion. L'évocation des tempêtes est le monopole des sorciers connus sous le nom de meneux de nuées. Les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent incessament quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de plus près, n'est qu'un cadavre d'enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se garder de les observer ou de les déranger ; car, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l'eau et vous tordraient ni plus ni moins qu'une paire de bas.
Un mien ami, homme de plus d'esprit que de sens, je dois l'avouer, et pourtant d'un esprit éclairé et cultivé, mais, je dois encore l'avouer, enclin à laisser sa raison dans les pots, très brave en face des choses réelles, mais facile à impressionner et nourri, dès l'enfance, des légendes du pays, fit deux rencontres de lavandières qu'il ne racontait qu'avec répugnance et avec une expression de visage qui faisait passer un frisson dans son auditoire.

Un soir, vers onze heures, dans une traîne charmante qui court en serpentant et en bondissant, pour ainsi dire, sur le flanc ondulé du ravin d'Urmont, il vit, au bord d'une source, une vieille qui lavait et tordait en silence. Quoique cette jolie fontaine soit mal famée, il ne vit rien là de surnaturel et dit à cette vieille :
- Vous lavez bien tard, la mère !
Elle ne répondit point. Il la crut sourde et approcha. La lune était brillante et la source éclairait comme un miroir. Il vit alors distinctement les traits de le vieille : elle lui était complètement inconnue, et il en fut étonné, parce que, avec sa vie de cultivateur, de chasseur et de flâneur dans la campagne, il n'y avait pour lui de visage inconnu, à plusieurs lieues à la ronde. Voici comment il me raconta lui-même ses impressions en face de cette laveuse singulièrement attardée :
- Je ne pensai à la légende que lorsque j'eus perdu de vue cette femme. Je n'y pensais pas avant de la rencontrer. Je n'y croyais pas et je n'éprouvais aucune méfiance en l'abordant. Mais dès que je fus auprès d'elle, son silence, son indifférence à l'approche d'un passant, lui donnèrent l'aspect d'un être absolument étranger à notre espèce. Si la vieillesse la privait de l'ouïe et de la vue, comment était-elle venue de loin toute seule laver, à cette heure insolite, à cette source glacée où elle travaillait avec tant de force et d'activité ? Cela était au moins digne de remarque ; mais ce qui m'étonna encore plus, c'est ce que j'éprouvai en moi-même. Je n'eus aucun sentiment de peur, mais une répugnance, un dégoût invincibles. Je passai mon chemin sans qu'elle détournât la tête. Ce ne fut qu'en arrivant chez moi que je pensai aux sorcières des lavoirs, et alors j'eus très peur, j'en conviens, franchement, et rien au monde ne m'eût décidé à revenir sur mes pas.
Une autre fois, le même ami passait auprès des étangs de Thevet, vers deux heures du matin. Il venait de Liginières, où il assure qu'il n'avait ni mangé ni bu, circonstance que je ne saurais garantir. Il était seul, en cabriolet, suivi de son chien. Son cheval étant fatigué, il mit pied à terre à une montée, et se trouva au bord de la route, près d'un fossé où trois femmes lavaient, battaient et tordaient avec une grande vigueur, sans rien dire. Son chien se serra tout d'un coup contre lui sans aboyer. Il passa lui-même sans trop regarder. Mais à peine eut-il fait quelques pas, qu'il entendit marcher derrière lui, et que la lune dessina à ses pieds une ombre très allongée. Il se retourna et vit une de ces femmes qui le suivait. Les deux autres venaient à quelque distance comme pour appuyer la première.

- Cette fois, dit-il, je pensai bien aux lavandières maudites, mais j'eus une autre émotion que la première fois. Ces femmes étaient d'une taille si élevée, et celle qui me suivais de près avait tellement les proportions, la figure et la démarche d'un homme, que je ne doutai pas un instant d'avoir affaire à de mauvais plaisants de village mal intentionnés peut-être. J'avais une bonne trique à la main, je me retournai en disant : "Que me voulez-vous ?"
Je ne reçus point de réponse, et, ne me voyant pas attaqué, n'ayant pas de prétexte pour attaquer moi-même, je fus forcé de regagner mon cabriolet, qui était assez loin devant moi, avec cet être désagréable sur les talons. Il ne me disait rien et semblait se faire un malin plaisir de me tenir sous le coup d'une provocation. Je tenais toujours mon bâton, prêt à lui casser la machoire au moindre attouchement, et j'arrivai ainsi à mon cabriolet, avec mon poltron de chien, qui ne disait mot et qui y sauta avec moi.
Je me retournai alors, et, quoique j'eusse entendu, des pas sur les miens et vu une ombre marcher à côté de la mienne, je ne vis personne. Seulement, je distinguai, à trente pas environ en arrière, à la place où je les avais vues laver, les trois grandes diablesses sautant, dansant et se tordant comme des folles sur le bord du fossé. Leur silence, contrastant avec ces bonds échevelés, les rendait encore plus singulières et pénibles à voir.
Si l'on essayait, après ce récit, d'adresser au narrateur quelque question de détail, ou de lui faire entendre qu'il avait été le jouet d'une hallucination, il secouait la tête et disait :
- Parlons d'autre chose. J'aime autant croire que je ne suis pas fou.
Et ces mots, jetés d'un air triste, imposaient silence à tout le monde.

George SAND, Légendes rustiques, 1858
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