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 La veillée dans la maison basque

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Joa
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MessageSujet: La veillée dans la maison basque   La veillée dans la maison basque EmptyMar 29 Aoû - 8:35

La petite vallée d'Occos était couverte de brouillard. Cà et là, dans la vapeur que les rayons de la lune argentaient, des maisons transparaissaient comme enveloppées d'une auréole. L'horizon étroit était encerclé de montagnes sombres peu élevées, aux courbes douces, qui venaient former un rivage à la mer fugitive et que la nuit avait pour quelques heures étendues à leur base.Il était déjà tard et tout dans la campagne avait fait silence. Cependant, il y avait encore de la lumière chez Bordachar ; la porte était même ouverte. Que se passait-il donc que les habitudes de la famille fussent troublées à ce point ? Voulez-vous le savoir ? Entrons ensemble ; nous sommes en plein Pays Basque et nous serons les bienvenus. On va nous faire place dans le cercle des travailleurs rassemblés dans la grange ; nous aurons notre part des châtaignes qui remplissent ce grand chaudron, on nous donnera des noix, de la méture chaude, du vin de l'année. En retour, mettons-nous à l'oeuvre. Le service qu'on réclame de nous ne sera pas pénible. Voici devant nous un énorme monceau de têtes de plantes, arrondies, paillons gros comme le poing, jaunâtres et parcheminés ; prenons-en un, arrachons les larges feuilles desséchées qui lui servent d'enveloppe, sous ce vêtement protecteur, nous trouverons un épi ; retirons-le : qu'il est beau ! Il est formé de centaines de grains ronds, jaunes et brillants, pressés en lignes symétriques le long de la rafle. On dirait d'un cône d'or. Vous avez reconnu le maïs. Sachez donc qu'en ce moment, voisins et voisines, selon l'usage du pays, sont réunis chez Manech [comme l'ancien Romain, le Basque a le prénom, le nom et le surnom, et, de plus, il porte le nom de la maison dont il devient propriétaire par mariage ou par héritage. Cette multiplicité de nom occasionne de grandes confusions. L'état civil conserve le nom de famille comme seul légal, et c'est précisément celui que les Basques n'emploient pas entre eux puisqu'ils portent le nom de leur maison. Le prénom disparaît très souvent pour faire place au surnom. Le nom de famille et le nom de la maison ont toujours une signification. Carricaburu veut dire : tête de rue (de carrica, rue ; burua, tête). Bordachar : mauvaise ou vieille ferme (de borda, ferme ; sahara, vieille). Etcheverry signifie : maison neuve (de etche, maison ; berria, neuve). Les prénoms basques ne sont qu'une transformation de nos prénoms chrétiens. Jean est devenu Johannes, Ganich et Manech ; Pierre, Pierré, Pirénio, Peiho ou Peyo ; Bernard, Bétiri, Bignat, etc. Marie est le nom universel de toutes les basquaises. Il est devenu Marigno, Maïder (contradiction de Marie et d'eder, belle), Marigaste (Marie la jeune), Maritippi (Marie petite). Enfin le surnom est quelquefois très original : on est Mira (le milan), Pitsera (le sac à vin), Guizon erdi (moitié d'homme), Talotacafé (taloua et café, ce qui nous montre la gourmandise de l'individu), sans que ces qualifications semblent désagréables à celui qui les porte.], le maître de la maison Bordachar, pour l'aider à dépouiller sa récolte. Or Manech a beaucoup d'esprit, il est malin et jamais son humeur n'est plus joyeuse que lorsqu'il faut prolonger la veillée jusqu'au point du jour pour achever le travail. Ce soir, pour faire oublier les heures, il trouvera dans sa mémoire beaucoup de vieux contes qui chasseront le sommeil ; et, si je ne me trompe, nous n'aurons pas à nous repentir de lui avoir demandé l'hospitalité. Il y avait déjà une douzaine d'ouvriers et d'ouvrières autour du maïs et les mains étaient actives. Une jeune basquaise entra : c'était la fille de Bordachar ; elle était coiffée du petit mouchoir national qui cachait ses tresses brunes ; elle portait sur une assiette un beau fromage blanc. De joyeuses exclamations l'accueillirent :
- Bonjour Maïder ! Enfin, te voilà, Maïder ! vas-tu nous donner du maracoucou ! (Les talouas sont des galettes de farine de maïs. Ces galettes se cuisent sur la cendre devant un bon feu, et lorsque la maîtresse demaison veut offrir un régal à sa famille, elle prend les talouas bien chauds, elle les ouvre, y introduit un gros morceau de fromage blanc et les pétrit en forme de boules. Ces boules s'appellent des maracoucous et doivent rester devant le feu en certain temps, afin que le fromage cuise avec la pâte et devienne filant comme dans le macaroni.) Fais-nous un maracoucou, tu seras bien gentille.

- Sans doute, répondit-elle sans se troubler, si maman donne la farine pour les talouas et si vous finissez notre maïs ce soir.
- Il y en a bien trop pour une fois, tu n'y penses pas, Maïder.
Le jeune homme qui faisait cette remarque souleva son béret du doigt comme pour se gratter la tête et jeta un regard plein de malice du côté de la maîtresse de la maison.
- C'est de la paresse, Pierrenio, reprit Maïder toute contente de la flatterie adressée à son père ; si l'on ne finit pas, pas de maracoucou, ajouta-telle d'un petit air lutin.

- Si nous avions les mouches de Mendiondo à notre service, nous ne serions pas embaarassés, reprit un autre Basque, Carricaburu, qu'à son air d'importance on pouvait prendre pour l'instituteur de la commune.
Et, sans plus attendre, il raconta :

Dans la maison Mendiondo, il y avait un maître qui était un grand paresseux, et pourtant les travaux de sa maison étaient toujours terminés les premiers.
Un matin, en une heure, la prairie au-dessous de la maison se trouva fauchée ; un dimanche, pendant le temps de la messe, tout le froment d'un champ fut coupé. Tout le monde était étonne, parce qu'il ne paraissait chez lui aucun ouvrier.
La femme du maître de Mendiondo se méfiait aussi de lui.
Un dimanche, comme il allait à l'église, il cacha quelque chose dans un buisson. Sa femme le vit de loin et fut curieuse de savoir ce que c'était. Elle trouva un étui. Elle l'ouvrit, et il en sortit une dizaine de mouches. Ces mouches lui allèrent aux yeux et aux oreilles en demandant : "Que faire ? que faire ? que faire ?"
Stupéfaite, la femme dit : "Rentrez dans le même trou", et tout de suite elles rentrèrent dans l'étui. Elle le referma et le remit à sa place habituelle.
Elle ne tarda pas à dire à son mari ce qui lui était arrivé, et il lui avoua alors que c'étaient ces mouches qui faisaient tout le travail de la maison.
A partir de ce moment, elles accomplissaient tout le travail, quel qu'il fût, que la femme leur donnait.
Un jour, elles la tourmentaient en disant buyemment : "Travail ! travail ! travail ! travail !" Elle leur donna un crible et leur dit : "Allez, remplissez la barrique vide du chai en portant de l'eau dans ce vase depuis la nasse du moulin, et vous la mettrez au pré qui est au-dessous de la maison."
Au bout d'un moment, ayant fini ce travail, elles étaient encore là à jacasser : "Travail ! travail ! travail ! travail !"
Ne pouvant plus les supporter, elle alla trouver son mari et lui dit : "Quel miracle est ceci ? nous devons nous priver de ces mouches ! - Oui, répondit-il, mais on leur doit des gages à chacune. - Il y a dix oies en haut de la maison ; donne-les-leur."

En même temps, ces oies s'envolèrent à grands cris vers les nuages, et les mouches de Mendiondo ne reparurent plus [Conte recueilli par J.-F. Cerquant, que j'ajoute ici pour éclaicir ce passage de la veillée (C.S.)].

Lorqu'il eut achevé son récit, Carricaburu jeta sur ses auditeurs un regard satisfait. Il savait que les mouches de Mendiondo, à l'avenir inséparables de son nom, allaient passer de bouche en bouche dans la vallée d'Occos. On avait écouté dans un profond silence, et le plaisir qu'on éprouvait était évidemment très vif. Cependant, comme on connaissait la vanité du gros maître d'école, on s'efforça de paraître indifférent.
- J'aimerais mieux voir Guilhem pour nous aider que tes dix mouches, observa Pierrenio avec froideur.
- Et moi, reprit aussitôt Manech, qui tenait à entretenir la gaieté générale, je voudrais avoir à mon service ces mouches-là et Guilhem, et leur fournir pendant tout l'hiver de mon maïs à dépouiller.
On se mit à rire.
- Tu n'es pas gêné, lui cria-t-on ; en aurions-nous notre part ?
- Certainement, ajouta d'un air grave une vieille femme nommée Magnigno, qui avait branlé la tête pendant le récit de l'instituteur. Guilhem est un bon ouvrier, on peut compter sur lui. L'instituteur se prit à rire avec ironie.
Magnigno n'aimait guètre l'instituteur ; elle le regarda avec indignation à travers les mèches grises échappées en désordre du mouchoir d'indienne qui lui serrait la tête. Carricaburu ne sourcilla pas. A quoi lui auraient servi tant d'années d'études à l'école normale de Lescar, s'il ajoutait foi aux récits des vieilles femmes, aux Laminak et aux sorciers ! Il se contenta de faire appel à sa tabatière, et il offrit une prise à son ami Ganich, grand contrebandier (le contrebandier basque était un garçon bon enfant, insouciant, joueur et paresseux en toutes choses, excepté quand il s'agissait de courir la nuit dans les endroits les plus inaccessibles avec un fardeau énorme surle dos pour échapper aux douaniers qui le guettaient sur les pentes de la montagne. Maintenant, la contrebande n'est plus de bon rapport. Ce n'est plus un métier qui fasse vivre, les contrebandiers ont disparu.) comme presque tous les Basques, et qui lui apportait régulièrement d'Espagne sa provision de tabac. Mais la question des Laminak n'était pas résolue ; chacun avait sur ce point des renseignements particuliers et tenait à les donner.
- Moi, reprit une autre femme aussi âgée que Magnigno, quand j'étais toute petite, j'allais souvent chez la maîtresse d'Ouracarriet, qui avait alors au moins quatre-vingt-dix ans ; elle était du village d'Aussurucq, et elle-même avait connu un certain Iribarne, dont le champ était mitoyen de celui de ses parents. Or, un jour que le père de cet Iribarne allait à la grange, il trouva près de la croix des champs un peigne d'or qu'une Lamina y avait oublié. Quand il revint, La Lamina le pria de lui rendre son peigne ; mais Iribarne nia qu'il l'eût trouvé.

La même nuit, le champ d'Iribarne, voisin de la croix, fut couvert de pierres d'une telle grosseur qu'aucun homme n'aurait pu les remuer ; et, le matin, Iribarne vit avec stupeur son champ ruiné et revint conter son malheur à la maison.
Son voisin le plus proche lui fit entendre que sans doute il avait blessé les Laminak, seuls en état de porter ces grosses pierres en une seule nuit. Iribarne essaya encore de nier, puis finit par avouer qu'il avait trouvé un peigne d'or et refusé de le rendre à la prière de la Lamina.
Le voisin lui conseilla de reporter le peigne d'or où il l'avait trouvé. Iribarne y consentit, et, dès la nuit suivante, son champ fut débarrassé de toutes les pierres qui l'encombraient.
Depuis ce moment, tout le monde respecta les objets appartenant aux Laminak.
- Pour ma part, dit Maïder, lorsque la vieille femme eut achevé l'histoire du peigne d'or, je ne sais pas si c'est vrai que les Laminak ont d'aussi belles choses qu'on le dit, mais je me rappelle bien avoir été dans une grotte dans la montagne, où l'on voyait plusieurs chambres qu'on appelait les chambres des Laminak ; j'étais toute petite alors.
- Allons, Carricaburu, ajouta Pierrenio, tu sais bien que s'il n'y a plus de Laminak aujourd'hui, il y en a eu autrefois. Leur pain était blanc comme la neige et ils avaient autant d'or qu'il y a de feuilles de fougères sur la montagne. D'ailleurs on sait qu'ils ne sont pas méchants quand on ne les tourmente pas [le Seigneur sauvage, en basque Basa Yauna (ou Basa Jaun) (diminutif d'Antoine) est représenté par les légendes comme un géant velu, d'une activité infatigable, faisant des sauts prodigieux. C'est quelque chose d'approchant de l'esprit malin, avec lequel l'imagination populaire l'a probablement confondu depuis l'introduction du christianisme dans le Pays basque. Il a pour fille la Basa anderia, c'est-à-dire la Dame sauvage ; il est méchant et emporte dans ses demeures les malheureuses créatures dont il est parvenu à s'emparer.]. Ceux-là sont quelquefois mauvais et il ne faut pas les offenser.
- Tu ne connais donc pas l'histoire du berger d'Etcheverry de Saint-Michel, comme il descendait de la montagne à la nuit tombante, après avoir enfermé son troupeau dans la borde ?

- Voyons, conte toujours, répondit le maître d'école résigné.
- Eh bien, le berger cheminait depuis quelque temps, quand il s'aperçut qu'il avait oublié l'écuelle au lait. Il retourna donc sur ces pas, ouvrit la porte de la borde et recula d'effroi en apercevant un Basa Jaun au milieu du troupeau. Mais le Basa Jaun le rassura : "Dis-moi trois vérités à ton choix, et je te laisserai partir sans te faire de mal."
Le berger, retrouvant sa présence d'esprit, et désirant le contenter, commença ainsi : "Oh ! la belle nuit ! dit-on, pour une nuit où la lune éclaire ; il fait aussi clair que le jour. Cependant, monsieur, il fait toujours, à mon avis, un peu plus clair pendant le jour. - Cela est vrai, répondit le Basa Jaun.
Le berger continua : "Quelle bonne méture ! elle est aussi bonne que le pain. Le pain, monsieur, est cependant meilleur que la méture. - C'est encore vrai", dit le Basa Jaun.
Un peu embarrassé pour trouver la troisième vérité, le berger finit par dire : "Monsieur, si j'avais pensé que je vous trouverais dans la borde, je me serais bien gardé d'y revenir. - Je le crois, répondit le Basa Jaun, et j'accepte cela pour la troisième vérité. Prends ton écuelle et t'en retourne à la maison."
- Que dis-tu de celle-là ? ajouta Magnigno en s'adressant à Carricaburu.
- Je dis qu'il y a une quatrième vérité que le berger n'a pas dite à Ancho : c'est que nous n'aurons jamais fini cette nuit le maïs de Manech... et puis une cinquième vérité : c'est que Maïder nous a promis du maracoucou et que nous ne le voyons pas encore ; enfin une sixième vérité : c'est que Carricaburu pense à son lit et qu'il va bientôt y aller. Et en même temps l'instituteur jeta le maïs qu'il avait dans la main et se leva comme pour partir.
Manech s'aperçut de la mauvaise humeur de son hôte et il se hâta de se lever aussi, puis, l'arrêtant, il se plaça en face de lui et le salua de la formule consacrée dans une sorte de jeux d'esprit très goûtée des Basques et qui porte le nom de papaïtac, c'est-à-dire énigme, ou plutôt devinette.
- Toi une énigme, moi une énigme. Je sais une chose, tu sais une chose : qu'est-ce qu'une barrique contenant deux sortes de vins qui ne se mêlent pas ?
Un grand éclat de rire accueillit cette plaisanterie, connue de tous.
Carricaburu ne pouvait pas se soustraire au défi qui venait de lui être lancé. Il répondit : "L'oeuf". Puis il posa à son tour une question à Bordachar.

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MessageSujet: Re: La veillée dans la maison basque   La veillée dans la maison basque EmptyLun 4 Sep - 8:27

.../...

- Qui est-ce qui passe devant le roi sans le saluer ?
- Le chien, répondit celui-ci ; et les assistants battirent des mains.
- Qu'est-ce qu'on habille le soir et qu'on déshabille le matin ?
- Le feu.
- Bravo ! bravo ! cria-t-on.
- Qui est-ce qui regarde la maison en allant à la montagne et la montagne en allant à la maison ?
- Les cornes de la chèvre.
Et la lutte continua entre les deux adversaires, vive, joyeuse, interrompue par les exclamations de tous. Carricaburu ne pensait plus à partir.
- Qu'est-ce, continuèrent-ils, qui marche toujours sans jamais s'arrêter ?
- L'eau.
- Qu'est-ce qu'on jette sur la pierre sans le briser, et qui se brise dans l'eau ?
- Le papier.
- Qu'est-ce, quatre dames enfermées dans une boîte ?
- La noix.
- Qu'est-ce, un oiseau peint qui entre dans la maison et sans rien dire se décharge d'une commission ?
- La lettre.
- Qu'est-ce qui a une chemise sous la peau ?
- La chandelle.
- Qui est-ce qui grimpe au sommet des grands arbres et ne peut franchir une goutte d'eau ?
- La fourmi.
Pendant longtemps les deux jouteurs s'interpellèrent ainsi, et l'animation était si grande qu'on en oubliait la besogne ; tous les regards étaient arrêtés sur eux ; on s'amusait de la tournure épaisse de l'instituteur ; on admirait l'élégante prestance du maître de la maison, sa poitrine effacée, son corps droit et souple qui faisiat de lui, quoi qu'il ne fût plus jeune, l'un des plus beaux hommes du village ! Il portait le costume simple mais gracieux des Basques. Un pantalon bleu foncé tenant sur les hanches, une veste courte, étroite, de la même couleur, un gilet ouvert sur la poitrine, une cravate claire nouée négligemment, un béret posé un peu sur l'oreille, du linge blanc, le col de chemise roide, aux pieds des espadrilles garnies de rubans bleus, enfin la ceinture de laine rouge enroulée en tours serrés à la taille. Maïder vint interrompre la lutte, elle apportait du vin et de la méture. les deux hommes se rassirent et elle se mit en devoir de servir les travailleurs avec une parfaite bonne grâce.

Quand Maïder eut posé la bouteille, Carricaburu jeta un regard furtif sur le verre de Pierrenio, puis il se gratta la gorge avec bruit.
- Qu'y a-t-il ? demanda Manech.
- Rien, si ce n'est bonne mesure Pour Pierrenio, et mauvaise pour le pauvre Carricaburu.
Un regard malin éclaira les visages et Maïder rougit légèrement.
- Vous vous trompez, dit-elle, tout le monde a été servi de même : seulement il y a des verres qui sont comme le four d'Ahurhutze.
- Qu'est-ce que tu appelles le four d'Ahurhutze ? dit l'instituteur ; explique-nous cela.
- La petite veut parler des pains de la Sainte Vierge, reprit Manech, désireux de venir au secours de sa fille. Comment ne le vois-tu pas ? Il y avait autrefois en Espagne, un village du nom d'Ahurhutze. Un certain samedi, une femme y faisait la fournée. Une vieille mendiante se présenta à la porte, lui demandant l'aumône d'une galette cuite au four. La femme mit donc un peu de pâte au four et soudain cette pâte devint un beau pain. Mais elle trouva le pain trop grand pour une aumône. Elle mit dans le four une plus petite quantité de pâte, mais la galette devient un pain si grand qu'elle a peine à la retirer. Alors, elle prend un tout petit peu de pâte au bout du doigt, et celui-là grossit tellement, que tout le four en fut rempli et que la femme ne l'en put tirer.
Alors, la vieille mendiante dit : "Moi, je suis la Sainte Vierge. Le samedi est mon jour et parce que tu as trouvé que ton aumône était trop grande pour une pauvre, désormais il ne se récoltera plus de froment dans ton village. Cela dit, la Sainte Vierge disparut.
Depuis ce temps, lorsque les femmes mettent le pain au four, elles disent :
"Le bon Dieu te bénisse comme le pain d'Ahurhutze."
- Enfin, voilà une jolie histoire et qui vaut la peine d'être écoutée, dit la femme de Manech, qui jusqu'alors n'avait pas cessé de travailler. Vos autres contes n'avaient pas de sens, mais celui-là est bien vrai. Lorsque l'on veut donner, Dieu fait en sorte qu'il y en ait toujours assez. C'est comme l'histoire que M. le curé nous a dite dimanche, des cinq pains que notre Seigneur avait distribué à 5 000 hommes et il y en avait eu encore douze corbeilles de trop.

- Oui, femme, dit Bordachar, c'est pour cela que ma récolte de maïs disparaît du grenier avant que je ne l'y aie serrée. Un peu de maïs pour ce vieux là ; un morceau de méture pour ce petit, parce que sa maman est morte ; une poignée de grains pour les poules, de la farine pour le cheria (le porc). Toute la journée, c'est à recommencer. Et puis, il faut une robe pour Maïder : vite une mesure de maïs pour la payer.
- Bah ! dit Pierrenio, si tu cachais la clé du grenier pour ta femme, tu n'empêcherais pas les rats et les souris d'entrer. Il vaut mieux donner à ta fille une belle étoffe verte qui arrive de Paris, que de nourrir cette maudite vermine.
- Il me semble que si je vendais quelques sacs de maïs de plus au marché, cela ne serait pas mauvais pour moi.
- Et puis après, reprit la femme : tu serais bien avancé. Ne sais-tu pas que si nous connaissions combien la vie est courte, c'est M. le curé qui le dit, nous ne travaillerions pas si dur du matin au soir ?
- C'est même pour cela, dit Manech en regardant sa femme avec bonté, c'est même pour cela. Enè Maïtia (ma chère) que Dieu a caché aux hommes d'aujourd'hui le moment de leur mort. Au temps jadis, ils le connaissaient à l'avance. Or, un jour, Jésus-Christ cheminait en compagnie de saint Pierre. Il passa le long d'un champ et aperçut un homme occupé à le clore d'une haie de joncs. Il lui demanda pourquoi il faisait une si fragile clôture. "Ô Seigneur ! dit l'homme, je dois mourir dans trois jours et la haie durera autant que moi. - Eh bien, dit Jésus, ceci est cause que désormais vous ne saurez plus quand vous devez mourir."
- Il y a longtemps que je ne m'inquiète plus de ce qui doit m'arriver plus tard, dit encore la femme de Manech. A chaque jour suffit sa peine et Dieu est toujours là.
- Et moi, ajouta Manech, je ne me plains pas que le Seigneur m'ait caché le moment où il faudra que je laisse ma belle huche de chêne toute seule à la maison. Je tâche d'oublier que je vieillis, comme cet homme à qui l'on demanda son âge et qui répondit qu'il n'en savait rien. "Quoi ! vous ne connaissez pas votre âge ? - Moi, dit l'homme, je compte mes brebis et mon argent de peur de les perdre, mais je ne compte pas les années, je sais bien que je n'en perdrai pas une seule."
Tout en causant, l'on avait avancé le travail, il ne restait plus qu'une petite quantité de maïs à dépouiller, mais il était très tard et temps pour chacun de rentrer à la maison. Maïder apportal es maracoucous promis au commencement de lasoirée. On abandonna l'ouvrage, on savoura le repas que Bordachar offrit à ses hôtes. Carricaburu, Bignat, Pierrenio, Magnigno, tous avaient bon appétit et ne s'arrêtèrent qyue lorsqu'il ne resta plus de châtaignes dans le chaudron, plus de pain de maïs sur le plat. Alors on se leva pour prendre congé et on allait sortir lorsque Manech les arrêta en fermant la porte.

- Allons, Carricaburu, dit-il, c'est-à-toi, qui es le savant ici, de terminer notre veillée par un conte aussi joli que les pains de la Sainte Vierge...
- Oui, Carricaburu, dit tout le monde, encore un conte avant que nous nous séparions. Nous t'écoutons, ne te fais pas prier.
Le gros instituteur réfléchit un enstant, se rengorgea, rajusta sa ceinture rouge et, avec sa gravité accoutumée, dit l'histoire suivante :
- Il y avait une fois, une vieille sorcière qui fréquentait comme elle le devait le sabbat. Dans son village, vivaient deux bossus qui soupçonnaient son métier. Un jour, l'un d'eux lui dit : "Je veux une nuit vous accompagner." La vieille, après avoir un peu dissimulé, lui confessa enfin ce qu'elle était et promit de conduire le bossu au sabbat. "Seulement, lui dit-elle, faites bien attention à ceci : comme le président nous doit faire dire à tous les noms des jours de la semaine, vous le direz de cette façon : lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi, mais vous ne prononcerez pas le nom de dimanche. - Fort bien", répondit le bossu. La nuit du sabbat étant venue, tous les sorciers, rangés à la file, dirent l'un après l'autre les jours de la semaine. Quand le tour du bossu fut venu, il dit : Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche. - Qui a parlé de dimanche ? s'écria le président. - Monsieur, c'est ce bossu, dirent les autres. - Qu'on lui enlève sa bosse du dos."
Le bossu s'en retourna chez lui fort satisfait. Son compagnon à sa vue s'étonne : "Comment, dit-il, et par quel miracle es-tu fait si bel homme ?" L'autre lui conte son aventure et l'engage à la tenter. Le bossu s'en va chez la sorcière qui lui fait la même recommandation et l'accompagne au sabbat. Son tour venu, il récite : "Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche. - Qui a parlé de dimanche ? dit encore le président. - Monsieur, c'est ce bossu, disent les autres. - Qu'on ajoute, dit le président, à sa bosse celle de l'autre." Le pauvre bossu s'en revint à la maison avec double charge.

Carricaburu ajouta :
- Il y avait une fois un corbeau noir, très noir, de ce corbeau une aile était plus longue que l'autre.
Si l'aile courte avait été aussi longue que l'autre, cette histoire aurait été plus longue et plus intéressante (lorsqu'un conteur basque a lieu de craindre que ses récits n'aient pas produit sur ses auditeurs l'effet attendu, il trouve pour s'excuser une pasquinade comme celle que nous venons de citer.).

Mme Charles d'Abbadie d'Arrast, Contes, récits et légendes des pays de France.
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