Chez Nous
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Chez Nous

Tu entres, ici dans un havre de paix ...
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment :
Console Nintendo Switch Lite édition Hyrule : ...
Voir le deal

 

 Une santé de cerisier

Aller en bas 
AuteurMessage
Joa
Admin
Admin
Joa


Nombre de messages : 13100
Age : 76
Localisation : Martigues
Réputation : 0
Date d'inscription : 19/02/2006

Une santé de cerisier Empty
MessageSujet: Une santé de cerisier   Une santé de cerisier EmptyLun 19 Mai - 8:35

Ce qu'elle pouvait s'offrir, Marthe, la compagne de Tassel ! Mais alors, souffrir à vous faire sentir son mal à travers votre propre peau : "Oh ! Oh !... Une fourche me crève le ventre... Oh !... Oh !... Elle me retourne le dedans... Oh !... Oh..." craquetait-elle, en crise de souffrances aigües. Et la sueur coulait de partout sur son corps fondant, à vouloir faire comme une lessive de sa chemise sur elle, et du drap, dessous.
Dans ces moments, ça arrivait à tellement la brûler à l'intérieur que ses yeux, chavirant soudain, montraient leur blanc avec ces petites racines de veines rouges qui y faisaient dans tous les sens un terrible grafouillis de mauvaise santé. On eût dit que la chaleur de se fièvre, venant de trop la cuire, avait rompu les nerfs qui commandaient le regard, culbutant les deux globes tels des oeufs posés sur de l'eau et pleins d'un seul côté.
Et, dans ces montées de tourments, il lui venait des geignements de mots qu'on aurait jamais crus d'elle, si douce et si respectueuse. Il aurait fallu devenir sourd quelques instants afin de ne pas l'entendre dire ces choses blasphématoires, nées du mélange que sa tête, livrée au délire et ne lui appartenant plus, faisait du Bon Dieu et du diable, qu'elle jetait dans le même sac ; incantations injurieuses contre les deux régnants de ce monde et entrecoupées de gestes ou de grimaces, elle, possédée par un troisième larron encore plus puissant et impitoyable : la maladie à mille morts.

- ...Satan... vilaine braise de douleurs... arrête... arrête... Au nom du Seigneur tout-puissant, arrête-toi... même si je dois aller enfoner d'autres clous dans les mains et les pieds du petit Jésus... Arrêtez-vous, mon Dieu... Je ferai tout ce que vous voudrez... mais arrêtez-vous aussi... Vous n'avez donc pas de coeur ?...
Voilà, à peu près recollé bout à bout, ce que disait en désordre Marthe lorsque les hautes vagues de son supplice lui chaviraient la raison et que ses sens païens reprenaient le dessus sur le catéchisme.
C'était dans un village du Perche, où elle vivait en ménage depuis trois ans avec Tassel, Louis, le cantonnier. Marthe aidait les autres, par-ci par-là, au tarif de l'heure, afin de mettre un peu de soulagement sous leur pesant besoin d'argent parce qu'ils rachetaient aux héritiers, avc un crédit qui doublait leur prix, presqu'une à une les pierres de la maison de l'ancien charron. Aussi ne méritait-elle pas, cette punition du corps, elle si avenante de caractère et si jolie de tournure qu'on l'employait parfois à rien, uniquement pour sentir le plaisir d'avoir chez soi cette domestique qui n'en était pas une, et si fraîche de ses vingt ans qu'elle en montrait une plus belle beauté encore.
Tassel, lui, était les deux bras du village, faisant tous les travaux communaux, depuis creuser une tombe, jusqu'à tirer le feu d'artifice du 14 juillet, et il connaissait un peu tous les métiers, ce qui soulageait un budget anémique et le rendait indispensable, tel un bienfaiteur. De plus, beau gars de trente ans, mais raide de la jambe gauche par la faute d'un coup de grenade reçu à une attaque au Chemin des Dames ; mutilation inutile à la France puisque ce combat, perdu, n'avait servi à rien et restait une très mauvaise affaire pour lui, obligé de dépenser de l'effort comme s'il manoeuvrait trois jambes indisciplinées.
A eux deux, ils formaient un couple qui, sans être jamais passé devant le maire, ni derrière le curé, ne s'en portait pas plus mal, servant même de modèle et faisant envie aux autres, liés par des "oui" publics et des signatures comme à une vente.
Aussi en était-il malheureux, tassel, de voir jusqu'à l'impuissance sa Marthe se mourir depuis deux mois, là, à en pourrir d'humidité sa couche, tel un cercueil en terre d'automne. Et il ne pouvait même plus se raccrocher au moindre espoir, le médecin ne lui cachant pas que sa compagne ne traînerait plus longtemps comme ça, à faire pitié.

Quant aux guérisseurs, ces guenilleux de la science, si, déjà, avant, il ne leur prêtait aucune confiance, maintenant qu'il en avait tout de même laissé défiler une demi-douzaine sans résultat, il ne voulait plus voir le nez d'un seul. Mais il aurait donné ses deux jambes à toutes les explosions de grenades du monde si ça avait pu arrêter ce vorace mal rongeant qui desséchait par petits peu sa pauvre Marthe !
Elle non plus ne croyait plus à rien et sentait mieux que personne qu'on ne pourrait la retenir de partir, mais elle aurait voulu continuer à vivre longtemps encore, même en ayant mal, rien que pour tenir compagnie à son Tassel.
Aussi, chaque fois que le brasier de son mal s'attiédissait, elle traînait le peigne dans ses longs cheveux sombres et presque noués entre eux par touffes ; se plaquait de maladroites couches de poudre rose sur les joues et traçait un tremblant et pénible trait de rouge sur ses lèvres, rêches afin de paraître comme le jour du bal où Louis et elle s'étaient sentis l'un à l'autre.
Alors, certain soir en rentrant, Tassel trouvait cette Marthe miraculée par l'amour et comme toute neuve, lui souriant des deux fossettes et dont le regard, noir et luisant de fièvre, demandait pardon pour toute cette peine qu'elle lui infligeait malgré elle.

Or, un matin, pendant que Tassel était parti reboucher des trous sur la vicinale, une de leurs vieilles cousines, habitant du côté de Mortagne, volaillère bavarde pas méchante mais peu futée, ce qui est parfois pire, voulant coûte que coûte auver Marthe, amena dans sa carriole pour qu'il la soigne, un gros type rougeaud au regard fixe de reptile en appétit de proie et faussement en deuil d'avance, attristé par une blaude en coutil noir de fromager.
Si quelqu'un du pays l'avait vu traîner là, Marcel, le Gâcheux, sût qu'il lui aurait discrètement fait signe de remporter au plus vite cette bête venimeuse où elle l'avait dénichée...
Mais, je le répète, cette bêtasse de cousine croyait bien agir en apportant le pouvoir infaillible du bonhomme, alors qu'on savait partout que ce n'était, comme on le surnommait si bien, qu'un gâcheur de bons sentiments et de bonne santé ; un suppôt de qui vous devinez, si toutefois ce n'était pas lui en personne humaine, toujours agacé à rouge par le mot bon, aigu et douloureux à son âme méchante, préférant celui de mauvais, tendre et carressant comme le derrière chauffé à blanc du grand chaudron de l'enfer.

Un vil individu qui ne manquait jamais une occasion d'entretenir sa puissance sur n'importe qui ou quoi afin de ne jamais laisser s'émousser le fil du métal, tout comme le faiseur de foins n'arrête pas d'aiguiser le tranchant de sa faux pour rester égal bourreau de l'herbe fraîche.
Et on en racontait de terrifiantes sur ce gâcheux-là, connu partout sur les collines du Perche, à charger ses épaules grasses de tous les crimes, épidémies ou autres dévastations mystérieuses qui coûtaient la vie aux gens et aux bestiaux.
Dites ? qui croyez-vous qu'était celui-là que personne n'osa nommer tout haut pour l'affaire de Germaine, cette grande fille ria&nte, domestique à la ferme des cent-Arpents, vers Sainte-Ganburge ? Dites un peu si vous avez osé le dire, ce nom, à moins que vous ne l'ayez mis sur un papier en accusation anonyme, et envoyé à la gendarmerie - ce qui n'a pas servi à grand-chose, les gendarmes ne croyant pas beaucoup à ce genre de médisances qui les font sourire. Et, pourtant, il était signé, ce crime, et bien signé, en pleine vase !
Cette germaine-là donc avait un enfant, un tout petit, né d'un amour sans suites, puisque le père était parti en partager un autre ailleurs, selon son habitude. Et ainsi de suite, sans s'inquiéter des soucis qu'il laissait derrière lui. Elle, elle s'était refait une sagesse et ne pensait plus à ce salisseur de sentiments. Mais un certain gars l'aimait, qu'elle n'aimait pas, et qu'elle repoussait si visiblement au vu et au su de tout le monde qu'il en prit une honte et, à la longue, une humeur mauvaise au point même de vouloir du mal à cette Germaine qui se refusait.
Il quitta enfin le pays parce que certains qui s'étaient enviés d'elle, le regardaient avec cette moquerie campagnarde, méprisante et cruelle, qui arrive peu à peu à chasser les malheurex évincés. Seulement, en partant, il ne se gêna pas pour prédire qu'il ne se passerait pas longtemps avant que la fille ne reçoive une leçon qui la remettrait à ras de terre, elle qui se voyait plus haut qu'elle ne pouvait monter, et il avait ajouté qu'il savait où s'adresser pour ça !
Alors Germaine commença à tout sentir en noir, et, rien, ni la gentillesse de ses patrons, ni la gaieté de son petit ne put adoucir sa tristesse sans cause. Bientôt, il fallut la secouer d'une neurasthénie qui gagnait tout l'entourage.
Mais elle trouva vite le meilleur remède. Un matin, on ne la vit pas à traire les vaches. On la chercha lontemps avant de la découvrir à plat ventre, flottant sur une mare lointaine et oubliée entre des boqueteaux de noisetiers.

Elle s'était noyée en appuyant son visage dans seulement 30 centimètres d'eau cressonnée, l'y laissant jusqu'à la mort.
Un suiside ? Si on veut ! Eh non, et on comprit lorsqu'en pataugeant pour la relever de là, son fermier ramena du bout du pied une longue poupée qu'on regarda avec étonnement, habillée avec cette bande d'étoffe rose et que tout le monde avait dans l'oeil puisque c'était un morceau arraché à la robe du dimanche de la vistime.
Non seulement ça, mais aussi la tête de cette poupée qui portait sur le milieu du crâne une large touffe de cheveux roux solidement cousus : ceux dont la malheureuse s'était débarrassée le mois d'avant, parce qu'ils étaient trop épais et lui gardaient la chaleur.
Et ce n'est pas encore tout : on avait noué autour de son cou de peluche un lacet avec, au bout, un caillou gros comme le poing qui avait maintenu son corps de sciure au fond de la mare, appâtant de tous ses maléfices cet endroit où Germaine mésenvoûtée devait tôt ou tard, venir, appelée par sa mort simulée et figurée d'avance.
Le Gâcheux entra, invité par cette niaise de cousine appartenant à la race de ceux qui ne savent pas reconnaître un orvet d'une vipère, donc à plus forte raison, un guérisseur d'un sorcier. Il s'approcha du lit, se pencha sur Marthe et se mit à la tâter sans douceur comme si, selon sa mauvaise réputation, il voulait tout de suite l'achever avant qu'on ne l'en empêche.
Mais il n'était pas pressé, et, tout en tirant des bouffées de plaintes de ce fagot de femme dont les os croquillaient à douleur sous ses gros doigts boudinés et insensibles, son esprit diabolique tâtait toutes les combinaisons capables de faire deux fois plus de méchancetés.
Il questionna bourrument la cousine pour savoir qui tenait à cette Marthe-là.
Au comble de l'inconscience, la parente lui raconta l'affection de Tassel et quelle serait sa douleur si Marthe venait à partir défunte. Et elle en rajouta, disant le beau couple qu'ils faisaient, leur respect des autres, et qu'il ne fallait pas juger l'abandon du corps dans lequel il voyait la cousine, là, toute défaite sur son lit. Non, Tassel et ele aimaient l'ordre, la propreté, et Tassel plus encore qui ne laissait jamais un torchon traîner dans la maison, ni une herbe morte dans le jardin... Ah, ça oui... c'était un méticuleux et...

Mais le Gâcheux ne l'écoutait plus, il avait attrapé une idée et la tenait solidement à bout de bras, par les deux pattes de derrière pour bien la maîtriser. Et, à la pensée de la machination à laquelle il allait se livrer, le sournois darda sa langue aiguë contre l'intérieur d'une de ses joues et, croyez-moi, si elle avait été aussi venimeuse que son projet, il serait tombé raide empoisonné.
C'était décidé : il allait donner un peu de bien afin de faire plus de mal encore. Remuant ses lèvres avec une moue de générosité comme un qui consent à guérir mais à condition qu'onn y revienne pas une autre fois, il demanda à la cousine une aiguille, très fine, que la femme chercha e finit par trouver, enfoncée dans le calendrier.
L'ayant prise sans remercier, le Gâcheux la promena au-dessus du corps de Marthe, il piqua la moribonde, profond sous le bras, lui enfonçant une telle douleur que la pauvre se redressa dans un hurlement qui lui dépensa d'un coup plusieurs heures de vie.
Et le brutal individu sortit sans dire un mot, comme après une farce grotesque.
pas loin dehors, juste devant la maison, se trouvait un jeune cerisier, ardent et déjà pointillé de promesse de fruits, seul arbre du jardin et à l'honneur d'en être la plus belle décoration végétale, si agréable que Tassel l'avait entouré d'un carré d'herbe et bordé de bouteilles enfouies à moitié, cul dehors.
Le Gâcheux n'hésita pas, et le sourire qu'il s'offrit devait s'entendre comme larron avec un sacré malsain plaisir, lui qui ne se trompait jamais sur les résultats qu'il désirait.
Il alla faire partager le mal de Marthe au cerisier, enfonçant l'aiguille dans le tronc tout en marmonnant certains mots, la cassant ensuite au ras de l'écorce et jetant au diable le bout qui restait.
Cela fait, il revint sur le seuil et, de la façon dont on appelle un chien, siffla la cousine pour qu'elle le reconduise chez lui.
En montant dans la carriole, il lui montra le cerisier, disant avec assurance, satisfait :
- Comme ça, c'est son homme lui-même qui la délivrera...

Croyez-le si vous le voulez ou non, mais voilà que cette presque vide de Marthe se mit à reprendre du plein sous la peau. Ses douleurs ne vinrent plus aussi souvent lui tenir compagnie et, même, plus du tout ; et ses sueurs lui restèrent, sève en elle. Si bien que, trois semaines après la visite du Gâceux, elle était déjà remontée du puits de la maladie et, à la margelle, montrait un visage où un sourire se balançait d'une jouen à l'autre, ainsi qu'il se devait. Tant et si bien que le médecin, ébahi, parla de résurrection et, ma foi, se prit pour une sorte de petit dieu miraculeux.

Encore deux autres semaines par là-dessus et Marthe, le teint de cerise, vigoureuse comme un arbre, pouvait retourner porter la joie et en vider de plein seaux chez ceux qui la désiraient dans leur maison.
Quant à Tassel, il continuait à ne pas croire à ce miracle et tremblait à la pensée d'un retour de la maladie, vent mauvais pouvant souffler de toutes ses forces sur les braises à peine éteintes dans le corps de Marthe. Mais, lorsqu'elle lui eut dit ce qu'elle attendait et qui les ferait trois, là, il comprit que c'était la guérison définitive.
Heureux comme il ne l'est pas permis, il vida coup sur coup deux verres de blanche à le faire chanceler et décida de compléter la fête e nettoyant l'entour de la maison qu'il avait jusqu'alors laissé en friche.
Il arracha les herbes sauvages et les ronces qu ne se gênaient pas pour banqueter avec les meilleurs coins à humus. Il faucha. retourna, ratissa et, devant l'harmonie végétale revenue, il vit combien le cerisier faisait tache : feuilles et fruits roussis, écorce malade, condamné à n'être bientôt plus qu'un tronc branchu, désséché et voué aux pourrissements des pluies. Pour lui épargner toute honte, il le supprima en vingt coups de hache, au plus ras du sol.
Une demi-heure après, on lui ramenait Marthe, évanouie. Elle venait d'être prise de brusques douleurs dans les jambes et de violents malaises alors qu'elle lavait gaiement.
On la coucha. En quelques jours, elle se redessécha, souffrant pire qu'avant, et partit sans que rien cette fois pût la retenir.

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France.
Revenir en haut Aller en bas
http://site.voila.fr/chezjoa
 
Une santé de cerisier
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Le cerisier
» Cerisier
» Conseils de santé
» Dessert santé aux ananas*
» Chop suey Top Santé de Micheline*

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Chez Nous :: Les pipelettes :: Histoires insolites :: Contes et légendes-
Sauter vers: