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 La Ganipote de Saintonge

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Joa
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MessageSujet: La Ganipote de Saintonge   La Ganipote de Saintonge EmptyMar 17 Juin - 11:21

En suivant le bord de la mer après avoir quitté Royan, vous vous arrêtez un moment pour embrasser encore d'un coup d'oeil l'entière perspective : la belle conche (anses de mer abritant des petites plages de sable fin) accidentée de Saint-Georges et les rochers dentelés et curieux de Méchez, rochers aux grottes superbes et aux découpures magnifiques, si bien éclairés toujours, quel que soit le temps et quelle que soit l'heure, si bien revêtus toujours de leurs grandes draperies d'ombres rayées de soleil. A votre gauche, s'effile dans la mer la pointe silencieuse de Grave où dort la vieille Noviomagus, port splendide autrefois avant le cataclysme du XIIe siècle ; vous pouvez détacher vos yeux du vieux Soulac, bâti sur les ruines, aux IXe et Xe siècles, et maintenant ruiné et souvenir lui-même : ville éteinte, disparue comme sa devancière Noviomagus. cette pointe labourée par la mer, envahie par les sables, stérile et mouvante comme le désert, s'éclaire le soir de phares qui semblent les sentinelles des ombres. Cependant, de l'autre côté de ce littoral maritime, vous poursuivez le long ruban de votre excursion solitaire. Vous dépassez Pontaillac et ses belles dunes de pins sauvages, vous traversez le bois de la Garde et, continuant toujours, vous vous trouvez devant un joli village, doté d'une vieille église, autrefois païenne, et d'un temple. Vous atteignez le modeste hameau de Bernezac, et là, vous faites un moment halte. Le paysage inattendu qui se présente vous repose les yeux et vous charme le coeur ; au milieu d'un cordon de bois mouvementé comme les inégalités des dunes, se dresse une imposante bâtisse effilée. Vous vous approchez, et, à l'entour de ce clocher du XIe siècle, vous heurtez des tombes posées là sans nom, sans histoire, les unes surmontées de croix de pierre, les autres recouvertes de bancs, sur lesquels le voyageur fatigué s'assied, contemplant le paysage qui s'étend devant lui sans limites, éclairé çà et là de maisons blanches rerésentant des villages. Cette solitude où vous reprenez haleine, ce terrain désert d'où vous respirez l'espace fut autrfois un hameau et même une commune considérable ; il y avait ici une abbaye desservie par des moines... L'église, dont le clocher seul a survécu, offre encore à l'oeil attentif et curieux des recherches une belle fenêtre ogivale de la fin du XIIe siècle. Les ruines à moitié ensevelies vous permettent cependant de juger de son imposante grandeur ; une crypte a totalement disparu sous les sables ; les chapelles latérales n'existent plus guère, mais vous pouvez encore pénétrer néanmoins dans la nef. Et, tout d'abord, vous remarquez au milieu du choeur comme un fléchissement, comme un abaissement du sol ; cette particularité vous inquiète, et, au même moment, vos souvenirs vous rappellent une légende qui passe pour article de foi dans la contrée. Plus rien de ce grand village, plus rien de ces habitations des hommes groupées jadis autour de la vieille églisé ; une colère des flots et un refoulement du sable ont tout recouvert de mort, de destruction et de silence ; l'herbe a repoussé sur les débris, car toujours Dieu permet aux ruines cette parure et cette beauté ; les tombes que vous voyez là sont des tombes de naufragés ; c'est ici leur dernier asile, leur dernière étape immobile après le bouleversement deleur vie de tempête. N'est-ce pas que ce grandiose paysage convient à cette destination funèbre, et que la mort fait bien sur les détritus de la vie ? Epaves sur épaves, sommeil sur sommeil, mort sur mort. Mais quoi ? le dernier reflet du soleil couchant teint de pourpre la blanche tour de la balise à pointe aigüe et noire. Le chant des flots qui monte accompagne dans votre pensée l'hymne des souvenirs. N'est-ce pas l'heure mystérieuse des apparitions et des fantômes ?

Voici, telle qu'on me l'a racontée, la légende de l'église de Saint-Palais :

Il y a longtemps de cela, un curé bien pauvre, bien pauvre ! desservait dans les environs une cure insuffisante. L'excellent homme avait l'âme charitable, mais ses ressources étaient minces, et, besoigneux autant que les plus besoigneux, il avait le regret de ne pouvoir partager avec les malheureux le pain qu'il n'avait de ne pouvoir partager avec les malheureux le pain qu'il n'avait guère. Sur ces entrefaites, comme il rentrait un soir au presbytère, il, est accosté par des espèces de bandits qui le saisissent, lui bandent les yeux, lui intiment par menaces armées l'injonction de se laisser faire, le hissent sur un cheval tout prêt et lui font accomplir sur sa monture un trajet énorme. Durant cette course effrénée, les bandits lui font jurer, sous peine de tortures immédiates, d'exécuter, yeux muets, bouche muette, sans la moindre hésitation ni la moindre observation, les ordres qui vont lui être donnés. Le malheureux est obligé de passer par toutes ces conditions. La voix à peu près étranglée, il promet et il jure. Enfin l'on arrive ; ses yeux sont débandés, il se trouve dans une salle décorée de riches draperies. Cependant, ce n'est point un rêve ! il croit reconnaître très bien son église de Saint-Palais, bien qu'elle puisse être méconnaissable, tellement elle est éblouissante de lumière et revêtue de tentures. Les scélérats ou soi-disants tels qui lui ont fait violence se trouvent transfigurée en de très grands seigneurs : une nombreuse assistance, composée d'une multitude de marins espagnols, en grand appareil, fait la haie de chaque côté. Une porte s'ouvre (c'est bien la porte de la sacristie ; cette fois, il s'y reconnaît positivement, il est sûr de son fait), et une admirable jeune fille apparaît en brillant costume de fiancée. Un jeune homme lui tient la main, superbe et resplendissant lui-même. Cette foule, ces marins espagnols, ce sont les témoins d'un illustre mariage que le curé doit célébrer. les personnages mystérieux qui l'ont entraîné le revêtent en un clin d'oeil de riches ornements de fête. Malgré lui, il se sent défaillir. la fiancée, jeune, belle, imposante, a l'air d'un fantôme. Ses yeux hagards adressent des supplications pleines de terreur au pauvre prêtre ; mais celui-ci, intimidé par les sicaires de la forêt, lesquels font brandir devant ses yeux des pistolets à poignée de diamants, ne s'appartient plus et, d'une voix qu'il s'efforce de rendre ferme, il célèbre le sacrement de mariage. Au moment du oui fatal, la fiancée devient comme une morte et est saisie d'un tremblement affreux. Les armes s'agitent et étincellent ; il faut poursuivre absolument. Le fiancé est grave et beau ; mais lui, du moins, semble impassible, et jamais son regard ne se fixe sur la victime. Enfin le mariage est accompli, la cérémonie consommée. ordre est donné au prêtre de rentrer dans la sacristie, de quitter les ornements de fête et d'en revêtir d'autres tout préparés pour une cérémonie d'un autre genre. Qu'est-ce à dire ? Ces ornements nouveaux sont tout noirs. On l'enferme à triple verrou. L'église, tout à l'heure chapelle de mariée, est transformée en autel mortuaire. le curé est une seconde fois enlevé de sa cellule et conduit par les deux bras au choeur. O ciel ! dans une bière ouverte, capitonnée de satin blanc, est allongée la belle mariée enveloppée de vêtements lugubres ; les grands yeux de la victime supplient passionnément le prêtre de lui porter secours. Que faire ? Les bourreaux sont toujours là, et les crosses de leurs pistolets lancent l'éclair ; ils intimident plus que jamais le caillant abbé. Le curé doit courber la tête ; il célèbre l'office des morts, il psalmodie la messe d'enterrement. A peine le dernier Requiescat in pace est-il prononcé, que de l'eau bénite est jetée sur le jeune corps qui tressaille ; une dalle est soulevée du milieu de l'église ; le cercueil de la morte vivante est déposé dans ce creux improvisé, allongé sous cette pierre, immédiatement replacée sur elle. Le curé est immobile, pétrifié lui-même. Cependant les jeunes seigneurs qui l'ont amené s'emparent de son imagination frappée de stupeur. De nouvelles injonctions de silence lui sont faites. Non seulement on le menace, lui, personnellement, mais on menace toute sa paroisse, s'il vient à trahir le mystère dont il vient d'être témoin, s'il vient à violer le secret qu'il doit impérieusement garder.

- Et d'abord, ajoutent les bandits masqués, d'ici plusieurs jours, vous n'aurez aucune communication avec personne ; vous direz à vos paroissiens ce qui vous passera par l'esprit, la première chose venue, pour expliquer votre absence. Sinon ! Prenez bien garde ! Souvenez-vous ! Souvenez-vous de vos serments ! Mais, en retour de votre obéissance, vous serez comblé, vous, votre église, vos paroissiens et votre commune, de biens et de générosités sans pareilles.
On lui remet un nouveau bandeau sur les yeux, on le place à cheval, on le fait galoper à travers mille détours un nombre d'heures qui lui semblent l'éternité, et enfin, après un trajet vertigineux, il est déposé dans une maison inconnue, où il se trouve nourri, soigné, et gardé à vue une semaine. Au bout de ce temps, il subit de nouvelles injonctions de silence, et enfin il est mis en liberté. le pauvre homme regagne son église (qu'il croit de plus en plus avoir été le théâtre du crime, malgré toutes les précautions prises pour le désorienter et le dérouter) ; et, d'un coeur effaré, d'un esprit qui bat les cloches, il essaye d'être calme et de remplir exactement sa promesse.
Oui, la pauvre homme tient parole, il ne dit rien. Les brigands aussi tiennent parole ; tous les ans, selon leur serment, une bourse remplie d'or est apportée à époque fixe par de mystérieux inconnus pour son église et pour lui-même. Un temps assez long se passe ; le remords ronge le pauvre homme. Enfin, se sentant près de sa fin, il n'y tient plus... il se confesse et révèle le terrible secret... Il indique exactement la dalle funéraire, on la soulève ; en effet, un squelette intact, en tenue de mariée, semble encore jeter dans l'espacé un regard suppliant... Et voilà pourquoi vous pouvez remarquer ce creux dans la nef de l'église de Saint-Palais ; voilà d'où vient cet affaissement dans le milieu du choeur.

S'il vous arrive de vous attarder le soir dans cette sombre chapelle mystérieuse, ne croirez-vous pas entendre psalmodier les psaumes funéraires ? ne croirez-vous pas voir scintiller les cierges ? Si vous priez pour la fiancée ensevelie toute vive, comptaissez à l'agonie du pauvre prêtre qui vit se soulever et retomber la dalle !
Nous nous sommes attardés bien longtemps à saint-Palais, grâce à cette vieille histoire de sa vieille basilique, et cependant la route se continue, pottoresque et belle, grandiose et solitaire toujours, avant d'aboutir à la Ganipote, où nous allons nous arrêter. Suivons le bord de la mer, cette droite ligne de longs rochers, çà et là s'entrouvrant en cercles qui forment de larges conches. Voici une de ces vaste échancrures où la mer se précipite à l'heure de la marée. Cette conche spacieuse, toute voisine de l'ancien Saint-Palais disparu, s'appelle la conche du Bureau, à cause du petit poste de douanesz que vous pouvez de loin apercevoir au tournant de ce bassin remarquable.
Après le Saint-Palais des ruines défilent plusieurs villages ou plutôt plusieurs groupes de maisons dont chacun amène un nom de pays : Courlay, Maine-Jolet, la Ganipote...
- La Ganipote ! Quel singulier nom ! me direz-vous.
Jre vous répondrai, comme au commencement de ces pages :
- Croyez-vous aux sorciers ?
Si vous n'y croyez pas, tant mieux pour vous, homems civilisés ; passez votre chemin ; croyez à la magie de votre jeunesse, à la puissance de vos titres, à l'autorité de votre or, au bon ton de toutes vos folies. Quant à vous, hommes de champs qui me sembleriez passablement maladroits dans un salon du monde, hommes de pensées et hommes de rêves qui demandez aux veilles de votre génie la solution des grands problèmes de la vie et du globe, audacieux qui voulez soulever le rideau des mystères, vous que l'étoile fait tressaillir, que le vent fait soupirer, que la beauté des nuits fait prier et chanter, qui poursuivez les feux follets dans la prairie et vous attardez aux petites girandoles du ver luisant dans l'herbe. Vous qui ne vous étonnez de rien parce que vous ne vous flattez pas d'avoir rien compris sur la terre, qui êtes prêts à admettre les esprits, n'ayant jamais pu vous expliquer les corps, qui admirez et constatez en toutes choses des phénomènes ; vous que le fantastique attire, hommes de visions et d'illusions, venez à la Ganipote : les sorciers sont un peu vos frères ; à ce titre, si vous les évoquez, eux aussi à leur tour vous saluent ; ces êtres d'imagination vous sourient... Je vous répéterai donc cette question :
- Croyez-vous aux sorciers ?

- Pourquoi pas ?
Eh bien ! puisque ma question ne vous a pas fait sourire, puisque vous n'avez pas haussé les épaules en m'écoutant parler, faisons ensemble la conjuration d'usage pour déjouer les maléfices de ces êtres possédés de magie qu'on appelle les sorciers. repliez sous vos doigts referemés le pouce de votre main droite, et dites, avant d'affronter cet ennemi des vieilles campagnes :

Sorcier, sorcier, je te doute !
Si tu ne l'es pas, que Dieu me pardonne !

Ainsi votre conscience est en repos. Les précautions obligatoires sont prises ; les politesses efficaces échangées. les sorciers, ces êtres malicieux, seraient tout à fait impuissants désormais à jeter sur vous, votre femme, vos enfants, vos moissons, vos bêtes à cornes et autres, le moindr sort préjudiciable.
- Ah ! l'avez-vous vue tout à l'heure cette Ganipote qui me poursuit ? me dit un brave pasa,, qui tremblait, en me parlant, de tout son corps. Elle a longé le bord de la mer, est entrée dans la forêt, puis en est ressortie en courant ; ses yeux étaient terribles et ses bras levés jetaient des sorts sur mon pauvre âne échappé du chai ; et maintenant je ne peux rien faire de ma bête.
J'écoutai avec le plus grand sérieux, mais je répondis que je n'avais rien vu. La Ganipote est une espèce de monstre humain revêtu de fourrure d'animal et qui rôde aux alentours des demeures, le matin avant le jour, et le soir après le soleil couché. Une famille de ces rôdeurs de nuit avait établi son camp dans une maison isolée tout entourée de bois, et de là ce nom de la Ganipote donné à l'endroit qu'ils habitaient et dont tout le pays se souvient en faisant force signes de croix. Un enfant tombe malade, c'est un sort jeté sur lui ; les semences de la terre avortent, sort ; le bétail dépérit, sort ; la grêle détruit un champ, sort. Et ansi de tout. Il n'est pas jusqu'aux simples veillées d'hiver qui ne puissent être troublées par les sorcelleries des mauvais génies. Tout d'un coup l'oribus (lumignon) s'éteint, les portes s'ouvrent, le vent s'engouffre, les chiens aboient : sort, sort, sort !

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Dernière édition par Joa le Mer 25 Juin - 23:14, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La Ganipote de Saintonge   La Ganipote de Saintonge EmptySam 21 Juin - 23:20

.../... suite

- Personne plus que moi, reprit le paysan qui m'avait déjà parlé, n'a été victime des mauvaises Ganipotes. je suis pourtant inoffensif, comme vous le voyez, eh bien ! sans le savoir, j'ai allumé leurs colères, et elles m'ont persécuté toute la vie.
- Vraiment, racontez-moi cela, fis-je avec une expression d'intérêt véritable.
- Eh bien, il faut que vous sachiez que j'ai tenu, moi qui vous parle, un certain rang dans le pays ; j'avais un peu de bien et aussi quelques têtes de bétail. Ainsi posé, je demandai en mariage une belle fille des environs que j'aimais et qui ne me haïssait pas non plus. Le soir de notre mariage, comme nous allions rentrer chez nous, au sortir du bal de la noce, je vis s'avancer de notre côté une grande Ganipote qui avait une barbe, mais une barbe comme je n'en avais jamais vue. Le vent soufflait dans cette barbe blanche, qui ressemblait à du vieux chiendent et j'avoue que j'avais grand peur, mais voulant paraître brave je m'avançai résolument. Malgré cela, mon bras serrait un peu plus fort le bras de ma Louise, et elle m'a dit depuis que, foi de Dieu ! j'avais tremblé. Elle, la pauvre âme ! n'avait peur de rien. C'est pourtant à elle que la Ganipote en voulait, c'est devant elle que l'affreux sorcier s'arrêta pour lui dire :
- Vous ne passerez pas...
- Pourquoi cela ? répliqua ma Louise ; dites-le un peu, vilaine Ganipote...
- Parce que votre mas (chaumière) est en flammes.
La Ganipote disait vrai. pendant que nous dansions, un incendie avait brûlé notre maisonnette, si bien préparée pour ma chère épousée...
C'était un grand malheur car chacun tient à son gîte, vous le savez sans doute ; mais enfin nous avions des parents, et nous ne couchâmes pas néanmoins à la belle étoile. Et puis, quand on est jeune et qu'on aime, il faut plusieurs coups répétés pour mettre à bas le courage d'un homme. Je rebâtis bien vite une nouvelle cabane, plus avenante que la première, et, pour cette fois, tout fut dit. Je m'occupais aux travaux des champs, et ma Louise, après avoir soigné le ménage, aimait à venir me rejoindre sur une belle jument blanche qui avait bien le plus beau panache de queue qu'il soit possible d'imaginer. Un jour, en revenant de sa promenade accoutumée, Louise me dit :
- C'est singulier, moi qui n'ai jamais peur, je ne sais ce que j'éprouve ; ce matin avant que notre vieux coq ait chanté, il m'a semblé sentir darder à travers la cabane les yeux fauves d'une Ganipote. C'est sot mais je suis toute troublée.

Je regardai ma Louise, elle était pâle, et sa jument semblait imbécile. Le lendemain, le croiriez-vous ? cette belle jument blanhe était trouvée couchée en travers du pré, séparée de son bau panache de queue, qui gisait à quelque pas d'elle.
Ma Louis affecta de rire de cette mésaventure, elle releva, consola et soigna sa chère jument, qu'elle caressait encore davantage depuis le malheur qui lui était advenu, mais je voyais bien qu'elle cachait un dépit, qui l'attristait. Le temps approchait où elle allait me donner la joie d'être père. Je la veillais avec un soin et une complaisance qui paraissaient presque ridicules à mes voisins, eux qui n'avaient pas dans le coeur l'amour que j'avais pour ma Louise.
Je vous ai dit que le moment approchait ; tout se passa bien : elle me rendit père ! J'avais un fils, j'étais au comble de mes voeux. Cependant, voilà qu'en regardant de près le cher nouveau-né, je lui découvre à la main droite six doigts au lieu de cinq. Pensez-vous que j'étais dans la désolation ? Et ma Louise, donc ! Je ne voulus pourtant pas qu'elle se laissât aller à son grief :
- Bah ! lui dis-je, avec un doigt de plus que les autres, il fera encore plus de besogne que les autres. Voilà tout ! Qui sait si ce mal n'est pas un bien ?
- C'est égal, vois-tu, Pierre, me dit ma Louise, c'est un sort, je reconnais bien là l'oeuvre de la Ganipote. Aujourd'hui je vais te faire un aveu que je ne t'avais pas encore fait : le soir de notre mariage où cette grande Ganipote est venue nous annoncer la perte de notre mas, ne la voulant pas croire, je lui ai tiré la langue ; oui, mon Pierre, j'ai commis cette imprudence, hélas ! oui, j'ai fait cela. Comprends-tu maintenant ce qui nous arrive ?
J'embrassai ma Louise, continua l'honnête paysan, et je la rassurai en lui disant que la Ganipote ne méritait que cela et qu'à sa place j'en aurais bien fait autant. Mais elle hochait la tête et répétait :
- Tu auras beau dire, mon Pierre, j'ai eu tort, et c'est à moi que la Ganipote en veut.
On peut bien vivre avec six doigts au lieu de cinq. Notre petit Jacques s'élevait tout gentiment ; il était l'amusement de sa mère et notre bonehru à tous deux. Je lui avais sarclé ici près un petit jardin qu'il arrosait et qu'il plantait lui-même, car il aimait beaucoup les fleurs. Il ne sortait jamais sans nous. Nous n'aimions pas à le laisser traîner parmi les gamins du village. Seulement, un jour que sa mère était venue par la pluie m'apporter une lettre (chose rare et même effrayante dans le village où le facteur n'a rien à faire), voilà qu'un grand mauvais génie pénétra chez nous et dit à Jacques :
- Mon petit garçon, veux-tu venir avec moi ? Je te donnerai de belles fleurs d'argent qui poussent à deux pas au bord de la rivière...

- Tu les as vues, ces belles fleurs d'argent ? dit le petit Jacques. est-ce qu'il y en a aussi en or ?
- Oui, mon bon petit garçon, il y en a aussi en or, et même en diamant. Elles brillent comme le soleil quand il se couche dans la mer ; viens avec moi, tu les auras, je te les donnerai toutes !...
Le pauvre petit Jacques prit la main du mauvais génie et se laissa entraîner à la cueillette des fleurs d'argent et d'or... Quand sa mère revint, le petit Jacques n'était plus là ! Elle appelle, désespérée. Pas de réponse. Elle court comme une folle, la pauvre âme ! Enfin, elle entend des gémissements du côté où coule la rivière. Elle s'y précipite : le petit Jacques se débattait dans l'eau ; il tenait encore à la main un bouquet d'immortelles, entourées de guirlandes de jasmin...
Elle le saisit, l'emporta vite, l'échauffa d'abord contre sa poitrine, puis le bassinant dans son doux petit lit, moelleux comme un blanc duvet d'oiseau. Hélas ! peine inutile ! Les petits pieds qu'elle tenait dans ses mains se glaçaient de minute en minute. Bientôt la petite main d'enfant qui serrait encore les fleurs se détendit, tomba elle-même et les laissa échapper toutes. Voyez-vous là-bas ce cimetière tout parsemé de croix ? Notre petit Jacques y repose : ma Louise a fait placer sous sa tête son gros bouquet blanc et or cueilli si tristement dans la rivière.
Qui dira le chagrin d'une mère qui a perdu son enfant ? Il n'y a pas de peine pareille sous le ciel du bon Dieu ; un enfant a toutes ses racines dans le coeur de la femme. J'étais moi-même impuissant à reconsoler ma Louise. Ce cher bien-aimé avait ausi été mon soleil, et maintenant c'était mon deuil le plus affreux.
- Sais-tu, dis-je un jour à ma pauvre femme qui dépérissait, si nous changions de pays ! Crois-tu que nous ne désarmerions pas ainsi la mauvaise fée qui nous persécute et que nous ne détournerions pas sa malice ?
- Je le voudrais bien, me répondit-elle, mais vois-tu, Pierre, je ne pourrais pas m'en aller. Ne pleure pas, ajouta-t-elle, tu vois bien que je suis toujours la même. Est-ce que nous nous manquerons jamais l'un à l'autre ?

Mais son destin était marqué. En vain tous les jours se levait-elle pour aller soigner le jardin du bon petit Jacques, qu'elle affectionnait toujours comme un souvenir vivant de l'enfant, et je m'apercevais bien à la lenteur de sa marche et à la fatique de ses jambes, qu'elle n'avait plus, hélas ! que le souffle. Elle était maigre, oh ! maigre que ça faisait peur ! E pourtant elle était si jolie encore ! e si paisible dans sa souffrance ! Toujours un sourire et jamais une plainte ! Quant elle pleurait, c'est que je ne la voyais pas, ou du moins elle me croyait loin ; et quand j'apparaissais malgré moi vers elle, vite elle s'essuyait les yeux, et elle me disait :
- J'ai mal à la tête, c'est pourquoi j'ai les yeux tout rouges ; et puis j'ai si, mal dormi !
Je la laissais dire, cette bonne âme angélique ; mais je ne me trompais pas aux symptômes du mal qui empirait.
Une nuit que je la sentais plus faible et plus agitée que de coutume, elle me dit :
- Vois-tu Pierre, j'ai bien réfléchi ; la Ganopote n'est qu'une méchante femme déguisée, ou peut-être bien est-ce un homme qui a mis une peau de bête pour nous faire peur, à nous autres ; la Ganipote ne s'attache ainsi qu'aux esprits crédules qui peuvent la prendre pour un sorcier ou pour un mauvais génie ; mais le bon Dieu ne peut pas permettre l'existence de ces êtres-là. Si tu m'en crois, quand je serai morte (et tu sais que je ne t'abandonnerai pas pour cela), tu l'iras trouver, cette grande Ganipote, tu iras lui dire que je lui pardonne, que je prie pour elle, et que le mal que je lui souhaite en retour de celui qu'elle m'a fait, c'est de changer de vie, de quitter sa peau de loup, de redevenir comme un chrétien, de songer au grand Dieu qui punit les méchants et qui récompense les bons d'avoir de la pitié dans le coeur, au lieu d'avoir de la mauvaiseté ainsi qu'elle en a. Quand elle aura repris l'existence de tout le monde avec les habits de chacun, personne ne se souviendra de l'avoir connue Ganipote, et on pourra l'aimer comme tout le monde, on pourra l'accueillir de bonne amitié dans tous les mas et dans toutes les cabanes. Dis-lui bien tout cela, et répète-lui que je ne lui en veux pas.
En ce moment un effroyable bruit de cloches se fit entendre dans l'air. Notez bien que nous sommes à, une lieue de l'église et qu'il faisait une nuit claire et calme, une nuit comme celle-ci, une vraie nuit de paradis, savez-vous. Les chiens se mirent à gémir comme des âmes en peine. Ma pauvre Louise m'avait saisi la main en me la serrant bien fort ; puis un silence complet avait suivi, sa longue causerie..

Ah ! quelle nuit terrible j'ai passée ! Je lui parlais encore que déjà elle était avec les anges, les saints et les saintes dans le ciel. Que pouvais-je faire, ma pauvre femme partie ? Je songeais à aller trouver la Ganipote ; car je savais bien où elle se retirait d'habitude ; mais je n'avais pas sur son compte l'idée charitable de ma Louise. Cependant, j'avais fait un serment, et les flammes m'eussent-elles dévoré, j'aurais tenu mon serment la morte.
Un matin que le soleil n'était pas encore levé, je me fis suivre de mon gros chien Noireau et j'allai à la rencontre de la sorcière. Du plus loin que je l'aperçus, je recommandait mon âme à Dieu. et, m'approchant, peu à peu, je lui tins le discours que m'avait fait répéter ma Louise. D'abord, l'affreuse bête maligne ouvrit de grands yeux ; elle parut émue, oui, émue et touchée ; puis, tout d'un coup, faisant sonner des grelots qui entouraient son cou, elle laissa éclater un affreux ricanement. Plus mort que vif, je retournai dans ma cabane déserte. cet être-là, ce n'était pas une créature naturelle, c'était bien une Ganipote, une sorcière maudite, et encore de la pire espèce.
M. le curé est venu me voir bien souvent ; nous parlons ensemble de ma défunte Louise ; il m'exhorte au courage ; il me dit que ce sont des épreuves et que je serai plus tard récompensé autant que j'aurai souffert. Il réveille tous mes premiers sentiments de force et de fierté. Il ne veut pas que je succombe sous le poids de mes peines, et répète que nous devons être plus grands que nos malheurs. Il me dit tout cela doucement, avec des larmes quelquefois. Quand il en a le temps, nous aérrosons ensemble le jardinet de Jacques et la fraîche tombe de Louise.
Comme vous le voyez, je tâche de suivre ses conseils ; je travaille sans jamais me reposer ; je demande au bon Dieu la résignation qu'il me faut, mes journées sont remplies par des occupations très fatigantes ; je laisse peu de temps à la réflexion afin de moins repleurer en moi-même et de ne pas démolir à chaque instant l'échafaudage de mon courage.
mais après rant de mauvaisetés de la laide Ganipote on pourrait croire qu'elle avait épuisé toutes ses ressources de diableries. Eh bien ! non. hie soir, je ne sais comment, j'avais mal rajusté le chai où je rentre mes bêtes ; mon âme s'est échappée, elle lui a jeté maléfice, et je ne peux plus mer servir de cet embourquois (le nom donné au bourriquet dans ce pays des sables) que j'aimais par-dessus tout, parce qu'il avait servi à ma Louise et au bon petit Jacques.
Je suivis la direction de regard du brave homme, et voilà qu'en effet j'aperçus dans un champ le malheureux embourquois, distribuant des ruades et à droite et à gauche, s'évertuant comme s'il eût à répéter quelque exercice de gymnastique, ou comme s'il repassait un rôle quelconque du cirque. L'embourquois (puisque c'est son nom) avait l'air, ma foi ! d'un ensorcelé, et je renonçai à donner bon espoir au pauvre homme.

A.-M. Blanchecotte, Contes, récits et légendes des pays de France.
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