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 La mauvaise Flambette

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Joa
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Joa


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La mauvaise Flambette Empty
MessageSujet: La mauvaise Flambette   La mauvaise Flambette EmptyMer 19 Juil - 8:10

Les fées, tout comme les lutins, avaient la fâcheuse manie de voler les enfants humains et de les remplacer par un de leurs petits. cette pratique, qui se nomme le changelin, est une constante chez les fées de France et de nombreux pays d'Europe.

Claudine jeta sa cape sur ses épaules, mis des cendres sur la bûche de Noël, embrassa longuement son petit Pierre endormi, ferma la porte à double tour et se dirigea du côté de l'église où la cloche tiintait pour la messe de minuit. Elle suivait le chemin de traverse. Ses sabots s'enfonçaient dans la neige qui tombait à gros flocons, couvrant d'hermine les toits de chaume du Grand-Bouet. Elle hâta le pas pour rejoindre ses voisines qui marchaient devant avec des lanternes. La neige leur fouettait le visage, s'engouffrait sous leurs manteaux, les empêchait d'avancer. Heureusement, l'église n'était pas loin. Quand elles entrèrent, on chantait déjà les cantiques. La vieille chapelle était toute resplendissante de lumières. Au milieu, sur la paille dorée d'une crèche, reposait Jésus entouré d'une foule recueillie de paysannes en coiffes blanches.
Claudine se mit à genoux sur les dalles froides et pria pour son Jésus à elle, son petit Pierre qui dormait bien chaudement dans son berceau d'osier ...
Tandis qu'elle faisait ses dévotions, une ombre effleurant à peine le sol ouaté de neige se glissait derrière les murs de l'enclos, pénétrait dans la cour, ouvrait la porte de sa chaumière. C'était la Flambette, la fée qui dévaste les nids, la voleuse d'enfants ! Elle était vêtue d'un long manteau noir dont la têtière baissée cachait à demi une face aplatie de crapaud. Sans bruit, elle s'approcha du berceau et son hideux visage frôla les joues de l'enfantelet qui avaient l'éclat des roses fraîchement épanouies. Son haleine empoisonnée se mêla au souffle pur qui sortait de la bouche entrouverte du chérubin, laissant apercevoir deux toutes petites quenottes, blanches comme du lait ! La Flambette l'enleva du berceau sans l'éveiller, lui laissant continuer, entre ses bras glacés, le rêve d'or avec lequel il s'était endormi ; puis elle disparut dans la nuit avec son précieux fardeau.
Claudine à ce moment quittait l'église, prise d'une vague inquiétude et d'une sorte de fringale d'aller donner à son bambin le baiser que lui envoyait le Jésus ! Elle ouvrit la porte doucement pour ne pas troubler son sommeil, secoua sa cape couverte de neige, ranima le feu avec quelques brindilles, puis, toute joyeuse, sortit de l'armoire deux amours de petits sabots jaunes à becs retroussés, qu'elle déposa devant les landiers après les avoir remplis de surprises, de joujoux et de bonbons. Alors, le coeur débordant de tendresse, elle se pencha sur le berceau d'osier, cherchant une menotte, un front, des boucles blondes ... ; mais elle se redressa aussitôt en poussant un cri et portant ses mains à sa lèvre ensanglantée :
- Oh ! le méchant ! s'écria-t-elle. Il m'a mordue !

Ayant allumé une bougie, elle revint auprès du berceau. La face blême, tendue, bouleversée, la poitrine haletante, elle passa une main fiévreuse et crispée sur ses yeux agrandis d'horreur. Non ! elle ne rêvait pas ! Non, elle n'était pas folle ! A la place du petit Pierre, frais, rose, potelé, joli comme un jour, se tortillait un affreux gnome velu, grimaçant, prêt à mordre. L'angoisse la saisit à la gorge. Elle fut secouée d'un grand frisson et s'affaissa devant l'âtre où la bûche de Noël achevait de se consumer.
Lorsqu'elle reprit connaissance, l'aube grise filtrait à travers les vitres. Les coqs chantaient ... Claudine se traîna de chaumière en chaumière, racontant d'une voix éteinte l'affreux malheur qui venait de lui arriver. Les gens du Grand-Bouet crurent d'abord qu'elle avait le cerveau dérangé ; mais lorsqu'ils virent de leurs propres yeux l'horrible magot que l'on avait substitué à l'objet de leur admiration journalière, ils se signèrent, répandirent de l'eau bénite par toute la maison, et conclurent en regagnant leurs demeures :
- C'est la mauvaise Flambette qui est passée par là !
Claudine, aiguillonnée par la douleur, parcourut la campagne. Elle interrogeait des empreintes sur la neige, cherchant parmi les traces de chemineaux et de laboureurs le pas de la sorcière, des indices qui lui fissent découvrir l'antre de la ravisseuse. Ah ! elle y laisserait plutôt sa vie ; mais elle la retrouverait, celle qui subtituait sa monstrueuse progéniture aux anges de la terre ! Et si ses pleurs et ses prières ne pouvaient toucher son coeur de reptile, elle saurait bien, en rassemblant ses pauvres forces, lui arracher quand même son enfant !
Elle allait sous les arbres couverts de givre, échevelée, boueuse, les habits en lambeaux, criait sa douleur aux arbres du chemin, tendait ses bras éplorés vers le ciel impassible, demandait pardon à Blanchet, pénétrait dans les fermes, fouillait les berceaux, scutait les crèches des étables, remuait de ses mains fiévreuses la neige des fossés, pensant trouver son petit, au fond, mort sous les feuilles ... Jusqu'à minuit, elle rôda ainsi et fut le jouet d'étranges hallucinations. Elle s'imaginait voir la Flambette accroupie sous chaque touffe de genêts ; elle se précipitait pour la saisir ; mais la mauvaise fée disparaissait aussitôt dans les lueurs sanglantes du crépuscule ... Quelques voisines vinrent veiller avec Claudine le premier soir. Assises en rond autour du foyer, elles n'osaient souffler mot, dans la crainte de réveiller la pensée de l'affligée. A onze heures, elles se retirèrent sur la pointe des pieds, murmurant une consolation :
- Du courage, Claudine ! Du courage !

Terrassée par la douleur, indifférente à ce qui se passait autour d'elle, affalée devant l'âtre, l'oeil sur les braises, les mains abandonnéess, Claudine n'entendit pas heurter à la porte. Un coup sec la fit tressaillir.
- Entrez ! murmura-t-elle.
La porte s'ouvrit, laissant passer un vieux mendiant, la barbe et les cheveux aussi blancs que la neige qui recouvrait sa limousine. Claudine se leva péniblement, avança une chaise devant le feu et fit signe au mendiant qu'il pouvait s'asseoir. Minuit sonna à l'horloge.
Le vieux posa son bâton de houx et sa besace dans un coin, approcha ses genoux chancelants de la flamme et promena des regards distraits sur les solives noircies, les murailles couvertes de chromos et de portraits, la cheminée avec sa madone en bois peint et se chandeliers de cuivre, les meubles propres et bien rangés, l'arche et le tourtier où de gros pains de seigle présentaient leur croûte appétissante et dorée.
- Vous avez faim, sans doute ? lui demanda Claudine d'une voix tremblante.
Et, atteignant une miche, elle la déposa sur la table avec du fromage et du lait. Le mendiant remercia et commença son repas. Des gémissements l'arrachèrent bientôt à sa placidité. Il se retourna vers la bonne hôtesse :
- Vous avez de la peine ? demanda-t-il doucement.
- Oh ! oui ! un gros chagrin ! Je n'ai pourtant fait de tort à personne ! Hélas ! ce n'était pas assez de perdre mon pauvre Blanchet, il fallait qu'une méchante Flambette vînt me ravir mon unique espoir, ma seule joie en ce monde !
Une larme coula sur les joues du vieux mendiant.
- Je ne suis pas folle, allez, mon brave homme, continua-t-elle. Mais il y a bien de quoi le devenir ! Comprenez-vous ? Je venais de le coucher dans son petit lit ; il m'avait dit : "Maman !" avant de clore ses jolis yeux pour dormir, et le temps d'aller jusqu'à l'église, il est parti ... On me le vole ! A sa place, je trouve un monstre, une bête immonde qui me mord cruellement et souille le berceau ! Oh ! le revoir seulement une minute, mon petit Pierre, entendre sa jolie voix qui musiquait si bien : "Maman ", le respirer comme une petite fleur, mon mignon ! A ces mots, un sifflement sinistre se fit entendre au fond du logis, et du berceau s'élança un énorme serpent qui glissa sur les dalles et s'enfuit pas la porte entrouverte. Claudine épouvantée, le souffle suspendu, ferma les yeux ... Lorsqu'elle les rouvrit, le vilain gnome et le vieux mendiant avaient disparus ... Soudain, elle crut entendre remuer dans la maison. Puis des appels, une voix enfantine qui semblait venir de sous terre la firent sursauter. Elle prêta l'oreille, les yeux illuminés d'un rayon d'espoir, le coeur battant à coups précipités. La voix s'éleva de nouveau, plus distincte, plus impérative. Il lui sembla reconnaître ...

- Pierre ! mon petit Pierre ! s'écria-t-elle, éclatant en sanglots. Si c'était lui qui m'appelait ! Et fébrile, aveuglée par les larmes, elle s'approcha de l'endroit d'où partaient ces cris. Elle ne vit que la besace du mendiant oubliée dans un coin. Découragée, se croyant encore le jouet d'une hallucination, elle allait s'éloigner, lorsque la besace se mit à s'agiter. A peine eut-elle défait les liens qui le retenaient prisonnier, qu'un adorable bambin aux boucles blondes se dressait devant elle et lui passant ses petits bras autour du cou murmurait : "Maman !"

Hugues LAPAIRE, les Légendes berrichonnes, 1927
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