Le corbeau

C'était une grosse bête, et puis elle s'en va dans un endroit chercher une jolie fille ; et, voilà qu'elle est arrivée chez le roi. Le roi avait la plus jolie fille du royaume, et la Bête a emporté la fille dans son château. Et puis, voilà qu'il a mis cette jeune fille là, et ils vivaient tous deux.
Il y avait un jeune garçon qui faisait une longue route ; en faisant cette longue route, il est venu à un grand bois, et ce jeune homme a dit : "Ah, mon Dieu ! Comment vais-je faire pour passer dans ce bois !"
Et il a trouvé un vieillard, là ; il lui a demandé conseil, et le vieillard lui a dit :
- Pour passer le bois, il faut que vous appeliez un corbeau !
Il a appelé le corbeau ; le corbeau est venu ; il lui a pris une plume. Et lui-même est devenu corbeau. Quand il a été passé le bois, il a trouvé une grande rivière ; il a dit :
- Ah, mon Dieu ! Comment vais-je faire pour passer cette rivière ?
Et il a trouvé un vieillard, là ; il lui a demandé conseil, et le vieillard lui a dit :
- Pour passer la rivière, il faut que vous appeliez un poisson !
Il a appelé un poisson ; le poisson est venu ; il lui a pris une écaille. Et lui-même est devenu poisson et il a passé la rivière.
Quand la rivière a été passée, le voilà parti ; et il est arrivé à un vieux, vieux château. Et puis, arrivant à ce vieux château a tapé à la porte. Une jeune fille a sorti ; elle lui a dit :
- Allez-vous-en de là parce que voilà ma Bête et vous seriez sûr qu'elle vous mangerait !
Le jeune homme a parti, s'est caché. Et puis on entendait la Bête qui venait, et voilà la jeune demoiselle qui a été au-devant de sa Bête.
- Ah ! vous êtes rendue, ma Bête ! qu'elle a dit.
- Oui, mademoiselle !
- Ah ! Je suis très contente ! J'avais tant de peur, tant de peur que vous ne veniez pas ! Ah ! je n'en étais pas à mon aise.
Et le lendemain matin, voilà la Bête qui est partie, et sitôt la Bête partie, le jeune homme arrive, et puis il lui dit :
- Comment êtes-vous là, mademoiselle ?
- Ah ! monsieur, c'est cette Bête qui m'a apportée là ! J'étais la fille du roi, et, à présent, il n'y a pas moyen que je m'en aille.

- Hé bien ! Comment ? qu'il dit, mademoiselle, il n'y a rien pour la tuer ? On ne peut pas la détruire, cette bête ?
- Ah ! elle dit, je ne sais pas ! Mais enfin, ce soir, quand elle arrivera, je m'en vais aller au-devant d'elle, toujours pleurant, et je lui dirai que j'avais grand peur qu'elle soit tuée.
Et le jeune homme s'est ôté de là, lui, cependant.
Et puis, voilà que la Bête a arrivé, le soir. La jeune fille va au-devant d'elle toujours pleurant.
Elle lui dit :
- Qu'avez-vous, la Belle ? Qu'avez-vous à tant pleurer ?
- Ah ! ma Bête, j'avais tant de peur que vous ne fussiez tuée ! Tant de peur que je n'en étais pas à mon aise.
Et puis, voilà que la Bête lui dit :
- Non, non, je ne suis pas tuée ! Il n'y a rien à me tuer, qu'une seule chose, si tu veux m'être fidèle, je te le dirai.
- Oui, ma Bête, je te serai fidèle ! Oui, ma Bête !
Elle l'embrassait là comme si elle l'avait aimée.
- Hé bien, la Belle, si tu veux m'être fidèle, je vais te le dire ; il n'y a qu'un oeuf d'araignée qui peut me tuer, qui peut me tomber sur la tête et me tuer.
Et puis, voilà, le lendemain matin, la Bête encore partie.
Quand elle a été partie, le jeune homme est arrivé encore, et il lui a demandé ce que la Bête lui avait dit. La jeune fille donc a dit au garçon qu'il n'y avait qu'un oeuf d'araignée qui pouvait la tuer, en lui tombant sur la tête.
- Hé bien, mademoiselle, nous allons bien tâcher de la tuer ! Je vais me souhaiter un corbeau ; je mettrai l'oeuf d'araignée sous mon aile, et puis je vais me mettre sur une petite branche, là. Vous vous promènerez avec la Bête et vous lui direz que vous voudriez bien ce bel oiseau !
En effet, le lendemain, ils ont été se promener dans le bois, et la jeune fille :
- Ah ! ma Bête, ah ! Voyez donc ce joli corbeau, là ! Ah ! que je voudrai bien l'avoir ! Ah ! ma Bête ! Si vous pouviez me l'avoir pour m'amuser ! qu'elle lui disait.
Et puis, voilà que le corbeau était sur la branche et la Bête va pour l'avoir. Elle a voulu graver (grimper) ; et puis, ma foi, l'oeuf de l'araignée lui a tombé sur la tête, et elle est tombée les quatre pattes en l'air.
Et la Belle est restée avec le jeune homme, pardi, la Bête étant morte. Et ils se sont en allés tous les deux. Les voilà partis ; en route, ils étaient bien fatigués, bien fatigués. Le jeune homme a dit à la jeune fille :
- Il faut que vous restiez là ! qu'il dit. Je vais me souhaiter corbeau, et j'irai chercher une voiture chez votre père.

Arrivé à la porte du roi, il frappe, et la cuisinière sort ; elle dit :
- Que voulez-vous ?
- Je voudrais parler au roi, qu'il vienne chercher sa jeune demoiselle qui l'attend.
La cuisinière répond, elle dit :
- Oh ! ne parlez pas de ça au roi, lui, qui a tant de chagri,n de sa jeune demoiselle ! Si vous lui en parliez, je crois qu'il ne serait guère content.
Et puis il dit :
- Non, ce n'est pas pour rire.
Enfin il parle au roi ; il fait atteler sa voiture et son laquais part la chercher. Et lui, tourne en corbeau et retourne avec la jeune fille. Ils ont attendu, tous deux là, le laquais à venir. Ils ont monté tous trois dans la voiture, et les voilà partis chez le roi, comme de bien entendu, ils se sont mariés tous les deux ; ils ont fait une belle noce ; moi j'y étais, je me suis bien divertie et je me suis rendue chez nous.

Léon Pineau, Contes, récits et légendes des pays de France.