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 Celui qui s'y frotta

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Joa
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Joa


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Celui qui s'y frotta Empty
MessageSujet: Celui qui s'y frotta   Celui qui s'y frotta EmptyMer 3 Jan - 23:05

Ce gros chat noir, hirsute comme une barbe de vagabond, qui grognemitait sous la table, Croissanvie l'avait tout bonnement trouvé, miaulant à fendre l'âme au carrefour du Calvaire, à l'aube d'une nuit à grosse lune.
Il aurait dû s'en méfier, sachant que là, on était constamment obligé de renouveler la présence du Christ par des croix qu'on replantait les unes après les autres et que d'invisibles vandales s'acharnaient à détruire, fussent-elles en pierre ou en fonte. Mais, pour savoir la vérité, mieux valait chercher les coupables du côté de Satan plutôt que parmi la jeunesse du pays, assez respectueuse des choses de la religion.
Ce chat perdu, l'homme ne l'avait pas recueilli par bonté de coeur, non, mais parce qu'à domicile il allait enfin pouvoir dominer un être vivant.
Croissanvie tâtait de dix métiers sans parvenir à vivre d'aucun, et pourtant il se montrait orgueilleux comme s'il était maître en chacun d'eux. Il traînait un équivoque laisser-aller de guenilleux, doublé d'un troublant regard de fouine insatisfaite, et la mobilité de ses yeux, sautant d'un coin à l'autre, lui valait la sourde réputation de mâcheur de mauditions.
Ce blason lui convenant, il laissait dire et, faisait en sorte qu'on dise encore plus. Aussi, ce chat lui fut-il double aubaine. Maintenant on pouvait dire et médire comme jamais, d'autant que, l'appelant Belzébu th, il frappait à tout bout de champ sur les trois syllabes et en cloutait les oreilles de ses voisins, à les meurtrir du diable.

Le chat, lui, semblait trouver à son goût la demeure de Croissanvie où le lit, la table et la cheminée se tenaient à l'étroit, misère en vrac. Sans doute parce que tout y était aussi noir et fripé que son pelage et, à y regarder de près, que son âme.
Il suivait chaque geste de son nouveau maître qui, se croyant le plus fort, ne se gênait pas pour lui égrener de rudes coups de pied lorsqu'il allongeait les jambes sous la table, aux heures de soupe, quatre fois pas jour. Soupe aigre faite de pain, de lait et de navets macérés, qu'il croyait rajeunir en y rajoutant sans cesse du frais.
Il mangeait jusqu'à ne laisser qu'une ou deux cuillères de cette rancoeur qu'il jetait à même le sol, pour Belzébu th. Au chat de reconnaître la soupe de la terre. Là-dessus, pour le faire digérer, il lui administrait un dessert de coups de trique qui, chaque fois, lui mettait du sang au museau.
Alors fulgurait, dans les pupilles soufre, une brève et indicible haine féline qui laissait indifférent Croissanvie, amusé de voir son matou continuer à lisser à belle langue rouge le souvenir de son repas.
Ce chat humilié aurait pu fuir un tel tortionnaire, mais il restait voulument à portée de douleurs et se prêtait à cette vie. A vrai dire, l'un l'autre s'épiant, ils cherchaient à se mesurer dans une lutte où l'homme se croyait seigneur de droit, fort de la longueur de ses jambes, alors que l'animal était puissant d'une inquiétante passivité.
Et, l'un ronronnemitant, l'autre grognant, chacun voulant deviner ce que l'autre pensait, ou ce qu'il allait faire, ils en étaient arrivés à ne plus vivre que l'un pour l'autre. Mieux, se confondant, l'un commençait déjà à grognemiter et l'autre à ronronnegrogner.

Et voilà qu'un beau jour Croissanvie huma fugace et acide senteur. Oh ... à peine, juste un dé à coudre d'une odeur inconnue mais terriblement appétissante.
Il renifla d'où elle venait et vit. Alors une force le poussa vers ce recoin où il tomba à genoux ... manquant de justesse une alerte souris qui se coula et disparut dans la bas du mur, troué à cet endroit.
De dépit, Croissanvie se mit à gratter autout de l'édifice et le fit si ardemment qu'il s'écailla les bouts d'ongle qui lui restaient. Là-dessus, dépité, il s'allongea commodément à plat ventre et attendit le retour de l'animal, car il avait bigrement envie de le ... goûter.

Sous la table, Belzébu th ne perdait aucun des gestes de l'homme et, au lieu de prendre ombrage, comme tout autre chat l'eût fait devant pareil comportement, il grognemitait avec allégresse.

Peu de temps après, Croissanvie fut réveillé dans son lit par un appel muet et irrésistible qui venait du dehors.
Tout d'abord il se crut rendu à la petite aurore, à ce moment où les choses passent du noir au gris avant de retrouver leur vraie couleur. Mais, à la mollesse du silence, il reconnut que ce n'était encore que la mi-nuit.
Pourtant, il avait la nette impression que le jour touillait déjà le nocturne. En réalité l'homme avait de la lumière cachée dans l'oeil ; maintenant il voyait clair dans les ténèbres !
Il se leva, traversa la pièce sans rien renverser, contrairement à son habitude de tâtonneur maladroit, et ouvrit la porte sur le dehors.
La nuit ruisselait de tant de lune qu'elle était comme un océan de lait où on pouvait patauger sans risque de s'y noyer. Entraîné dans les doux remous de cette sève blanche. Croissanvie se prit à sautiller pieds nus, en liquette et avec tant d'ivresse que, s'accompagnant bientôt d'un grognemitement euphorique, il déclencha un proche et subit ronronnegrognement d'extase.
C'est alors qu'il aperçut Belzébu th dressé sur ses pattes de derrière, faisant lui aussi le beau à la lune tout en cherchant à la défigurer par de sournois jets de griffes.

Croissanvie à présent victime d'un mimétisme total se précipitait avant Belzébu th pour attraper souris et rats ; faisait le gros dos à la vue du moindre chien ; lapait, à la va-vite, à même le sol, le plus de soupe possible avec sa grosse langue sale et verruqueuse à croire un crapaud goulu ; ou, encore, sentait les odeurs les plus subtiles et lui suivait dans les bois, où le diable voulait... Et ce qui devait arriver arriva : Croissanvie jalousa Belzébu th à mort.

Sa force et son astuce d'homme lui furent des plus utiles. Du moins, il le crut. Il vola et roula jusque devant chez lui un de ces lourds chaudrons de fonte qui servent à cuire la mangeaille des cochons.
Là, il le tint gueule retournée vers le sol, entrelevé avec un court bâton, et étendit dessus une belle crêpe de soupe qu'il laissa sournoisement à Belzébu th, qui s'y précipita.

Le chat dedans, il fit tomber le bâton d'un vif coupe de pied, mettant ainsi son rival sous cloche. Ensuite, il ramena de la terre partout autour pour empêcher l'air d'y pénétrer.
Cela fait, victorieux, il gambada dans le pré d'à côté et battit longtemps des jambes, au point de s'épuiser, éprouvant peu à peu l'atroce sensation qu'il y avait de moins en moins d'air dans les poumons du grand ciel.
On le retrouva encore tiède, à plat dos sur l'herbe, les yeux chavirés par l'angoisse des étouffés, la chemise arrachée, les ongles entrés dans la peau de la poitrine et sa grosse langue bleuie, toute sortie.
Quant au chaudron volé, son propriétaire vint le reprendre sans se risquer à maudire le nouveau mort en droit de respect, mais il se demanda longtemps pour quoi faire on le lui avait emporté et fermé avec de la terre, comme ça, puisqu'il n'y avait rien dessous !

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de france
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