L’anecdote que je me mets en tête de vous conter n’est point nouvelle : je la tiens de mon grand-père qui, lui-même, la tenait du sien ; quant à ce dernier, je serais bien embarrassé de vous dire quel ancêtre de son temps la lui avait apprise.
Il y avait à Montendre un brave homme de prêtre qui était bien ennuyé, tant le faisait souffrir un de ses paroissiens : Toinet Barbouille. Non que ce Toinet Barbouille fût méchant garçon – il était même tout le contraire. Mais l’abbé le tenait pour une « forte tête » : outre qu’il n’assistait jamais aux offices. Toinet ne s’avisait-il pas de taquiner sans cesse le pauvre curé sur les choses de la religion ?… Il le savait pourtant fort chatouilleux à ce propos. De fait, notre Barbouille n’était heureux que lorsqu’il voyait l’abbé en
; aussi ne manquait-il jamais l’occasion de le provoquer.
Donc, M. le curé promenait, ce jour-là, ses soucis au bord des pinières (bois de pins), quand il vit venir à lui son bourreau qui arrivait du labour.
- Bonjour, monsieur le curé !…
- Bonjour Toinet, bonjour !…
- Etes-vous des nôtres à ma table, ce soir, monsieur le curé ?… Dites oui… Pour le coup, nous mettons un
perot (dindonneau) à la broche.
- Veux-tu bien de taire misérable !… Un
perot, aujourd’hui vendredi ? Tu n’es pas raisonnable… je te l’ai dit cent fois : tu iras en enfer.
- J’y étais pas plus tard que la nuit dernière, monsieur le curé !…
- C’est cela…, moque-toi encore !
- Mais non… C’était en rêve ! Seulement, si je m’attendais à celle-là…
- Quoi donc ?
- Figurez-vous que je me trouvais au ciel, et que je venais de marcher, de marcher… J’étais bien las. Tout à coup, je m’arrête devant une grande caverne. Je vois une porte…, je la pousse, je rentre. Il n’y avait personne. Tout de suite, je remarquai des chaises, et je courus m’asseoir sur une… Malédiction ! A peine avais-je poussé un « Ah ! » de satisfaction, qu’un grand bruit se fit dans le fond ; un démon rouge et cornu en sortit comme une flèche et, me menaçant d’une fourche à trois
pues (dents) :
- Que viens-tu chercher en Enfer ?… me cria-t-il d’une voix terrible.
Horreur ! J’étais chez le Diable !… Vous m’aviez bien dit, monsieur le curé que cela finirait par m’arriver !
Je devins tout tremblant ; mais, sans attendre ma réponse, l’autre me frappa d’un coup de pointe.
- Décampe ! rugit-il, et rapidement.
- Mais… hasardai-je.
- Va-t-en ! te dis-je !
- Mais…
- T’ôteras-tu de là, à la fin ! écuma le maudit ; tu ne sais pas que ce siège, c’est la place du curé de Montendre !…
--- Le bon abbé s’enfuit en murmurant une prière, pendant que riait de tout son cœur ce mauvais sujet de Toinet Barbouille.
P.L.M. Bouyé,
Contes, récits et légendes des pays de France
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