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 Autour de la Chambre d'Amour

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Joa
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MessageSujet: Autour de la Chambre d'Amour   Autour de la Chambre d'Amour EmptyMer 3 Oct - 9:14

Ce matin tiède de 1849 le soleil frappe d'une vive lumière le groupe de rochers de la Chambre d'Amour. Ces rochers sont célèbres, et ce nom gracieux et poétique leur vient d'une humble grotte qui fut, en des temps qui n'ont pas de date, le théâtre d'une des plus touchantes légendes qui soient restées dans les souvenirs du pays.
Je vous dirai ce qui se passa à la Chambre d'Amour ; mais auparavant, si vous le voulez bien, nous reviendrons ensemble à la ville où plus d'une étude nous attend, et où nous trouverons peut-être, et sans effort, les éléments, de ce triste récit.
Voyez-vous s'approcher de Bayonne, dès le matin, au moment de l'ouverture des portes, tous ces groupes qui viennent se pourvoir à la ville ou pourvoir aux besoins de la ville ?
Voyez en tête, et les plus pressées, cet essaim de femmes assez mal vêtues ; mais toutes robustes, élancées, bien faites, qui courent pieds nus, dont les jupes retroussées jusqu'au genou laissent voir une jambe nerveuse, une vraie jambe de Basquaise. Le bras gauche s'appuie sur le hanche, le bras droit maintient une large corbeille posée sur la tête et dans laquelle sautillent encore les jolis poissons pêchés le matin à Ciboure et à Saint-Jean-de-Luz, les sardines, les délicieux anchois, friture favorite des Bayonnais, la louvine, la platuche, le rousseau.
Ces femmes ont fait six lieues ce matin ; à peine les bateaux de pêche étaient-ils rentrés au port, qu'elles prenaient leur vol ; et ainsi vêtues, ainsi retroussées, elles ont couru jusqu'à la ville, sans prendre haleine, et suivant à la file les sentiers qui bordent la route.
Si le hasard, monsieur, vous plaçait au passage de cet escadron volant de mareyeuses, vous seriez étourdi de ces cris perçants, de ces éclats, de ces saillies qui voltigent d'un bout à l'autre de la bande.

Et ce n'est pas tout, croyez-moi ; à peine si elles se reposent au pied de remparts ; elles songent bien, vraiment, à essuyer la sueur de leurs fronts, ç laver leurs jambes toutes noircies de la poussière du chemin ; elles s'inquiètent bien de laisser retomber leurs jupes du genou plus bas ! Suivez-les, suivez-les un peu. Les voici qui passent la première enceinte ; ces froides murailles, tout cet appareil guerrier leur impose silence, et ce n'est que tout bas qu'elles osent agacer au passage les pauvres factionnaires qui veillent au salut de l'Etat. Elles s'engagent sous la herse, puis elles débouchent dans cet espace triangulaire et si pittoresquement encombré qu'on nomme la porte d'Espagne.
Ah ! voilà leur champ clos à elle, la ville, comme disent les Basques, comme disaient les Romains. Alors elles s'élancent, elles s'éparpillent, elles se répandent par toutes les rues, et si elles ont fait silence un instant, c'est pour crier de plus belle, pour glapir, devrais-je dire, sur les notes les plus aigües de la gamme :
- Croupa la loubine ! croumpa maqueréou ! crompa crabes !
- A l'anchois ! à l'anchois ! adare arribat fresc e délicat ! Asi lous bets anchois touts bibots, à un so le doutzène !
(Achetez la louvine ! achetez le maquereau ! achetez des crabes ! - A l'anchois ! à l'anchois ! il arrive à l'instant, frais et délicat. Voilà les beaux anchois, tout vivants, à un sou les douzaine.)
Puis, après une heure, après deux heures même, ainsi employées à parcourir la ville, lorsque tous ces bons petits anchois à un sou la douzaine sont enlevés par les Bayonnais affriolés ; sans s'arrêter davantage, sans prendre à peine du repos, nos Basquaises se retrouvent à la porte d'Espagne, et regagnent d'un pas tout aussi léger le chemin de Saint-Jean-de-Luz.
- A un sou la douzaine les anchois !
Et c'est bien payé, car il est des moments où on les donne pour rien, des jours où à Biarritz, à Bidart, à Guétary, quand les bancs de ces jolis poissons d'argent viennent à la côte, les filets manquent pour les pêcher, les récipients pour les recueillir. L'alerte est donnée et tout le monde accourt. Dans l'eau jusqu'à mi-jambe, chacun puise, recueille, celui-ci dans un plat, celle-là dans une marmite ; d'autres plus généreux et plus prodigues s'arment de pelles et lancent les anchois à pelletées, comme ils feraient du sable du rivage ; la pêche se foule aux piedfs, et les chats du village sont appelés à faire ample curée. Un sou la douzaine ! Ces jours-là on en aurait cent pour un sou ; les chemins en sont semés, et ce n'est pas toujours, hélas ! pour le grand agrément du promeneur qui passe par là sur le soir, quand la chaleur du jour a décomposé tous ces pauvres abandonnés.

Mais quel est maintenant ce bruit étrange, criard, agaçant, que les chiens accueillent en hurlant et les passants en se bouchant les oreilles ? Est-ce quelque instrument inconnu, quelque galoubet discord, quelques trompettes primitive des montagnards euskariens ?
Non, non ; c'est une charrette à boeufs, une charrette basque, dont l'essieur adhère aux roues, et tourne en frottant sur les traverses du fond. Et ne croyez pas que ce bruit infernal soit un fait isolé, un fait accidentel de paresse et d'inertie. Chez un peuple intelligent et réfléchi comme le peuple basque, de telles choses ne se font qu'à dessein. C'est à dessein qui l'essieu grince ; c'est à dessein que les roues sont pleines et non faites de raies et de jantes comme les nôtres ; à dessein encore qu'elles sont amincies vers la circonférence.
Elles crient, afin que les bouviers soient avertis lorsqu'ils marchent l'un vers l'autre dans les sentiers étroits des montagnes, et que l'un, celui qui monte, puisse se ranger pour laisser passer celui qui descend.
Elles sont pleines, pour ne pas s'embourber lorsqu'elles pénètrent dans les terrains gras ; amincies, afin de former dans le sol un sillon sans lequel elles glisseraient sur la pente du chemin.
Tout n'est pas dit quant à l'originalité : voyez venir à nous la charrette et son maître : nous ne faisons encore que les entendre, et un détour du chemin les cache à nos yeux. Voici le bouvier, mais ses boeufs sont loins. Le bouvier des Landes, paresseux et malingre, ne saurait marcher plus vite que son attelage ; le bouvier basque, au contraire, ne peut modérer sa vivacité native au gré de la lourde allure de ses bêtes. Il marche à grands pas en avant, la tête raide, le corps cambré, portant haute et droite une longue baguette armée de l'aiguillon ; puis, lorsqu'il est arrivé à vingt pas, à trente pas de ses boeufs, il se retourne, revient sur eux, les stimule, les aiguillonne, repart et revient encore.
Croiriez-vous qu'il existe encore dans le Pays Basque, et non pas dans l'intérieur du pays, mais ici même, à Bayonne, des voitures de maîtres traînées par des boeufs ? Croiriez-vous que j'ai vu, il y a peu d'années encore, sur cette belle route de Bayonne à Saint-Jean-de-Luz, des carrosses antédiluviens, montés sur des soupentes en cuir, traînés par des boeufs demi-fossiles, et conduisant, non pas une douairière antique comme son équipage, mais une jeune fille toute vêtue de blanc, coiffée de fleurs, rêvant le plaisir et s'en allant au bal ?

Au bal ! avec cette lenteur capable de faire damner une sainte ?
Hélas ! on fait venir le coiffeur la veille, on s'habille dès le matin, on ne bouge de la journée, et on part à quatre heures pour faire deux lieues et pour arriver à neuf heures.
Et cependant on dit marcher comme un Basque, courir comme un Basque, sauter comme un Basque ; Voltaire lui-même a écrit : "C'est un petit peuple qui saute et danse au haut des Pyrénées." Le Basque est la vivacité incarnée. Voyez-le dansant, jouant à la paume, se baignant, se battant ; entendez-le lançant dans les airs, d'une montagne à l'autre, le kikissaï, à l'aide duquel les amoureux se rejoignent, ou par lequel les rivaux se défient ; et demandez-vous comment cette exubérance de forces, de santé, de mouvement, s'arrange de cet abus de la lenteur et de cette absurde monotonie ! Car enfin, chez cette belle jeune fille, il y a du sang basque et du plus pur ; elle est la soeur d'un ex-député de la ville, ou bien elle est l'héritière d'un grand nom du pays, qui fut porté par un conventionnel ministre, et par l'illustre interprète de Bouton de rose.
Maintenant, voyez là-bas venir vers nous ce jeune homme et cette jeune fille, les bras enlacés, la tête inclinée vers le sol, causant à voix basse et ne s'occupant de rien de ce qui se passe autour d'eux. Ainsi viennent à la ville tous les matins les jeunes Basques, le senargheï et l'emasthegeï (senargheï, mari futur ; emastegheï, femme future).
Le jeune homme est beau comme le sont tous les jeunes hommes de ce beau peuple ; il est de taille moyenne, mais élancé et musculeux ; il porte la longue chevelure comme l'ont porté ses ancêtres, fiers de cet attribut de la noblesse et des races antiques ; il est vêtu du costume de fête des Labourdins ; une veste de drap bleu dégage sa taille que dessine une ceinture de soie rouge placée au-dessous d'un gilet couvert de boutons ; à son cou est négligemment attachée une cravate dont les bouts flottent sur la poitrine, le col de la chemise est ample et rabattu ; sa tête est coiffée d'un béret bleu penché sur l'oreille, et ses pieds nus portent, sans liens étroits, de légères sandales garnies de grelots.
La jeune fille marchait nu-pieds ; mais en arrivant sur le pavé de la ville elle s'arrête, chasse la poussière du grand chemin, et chausse de petits souliers de velours noir. Sa taille est mince, sa figure jolie et son regard spirituel ; sur sa tête est attaché un madras aux vives couleurs, ou mieux un mouchoir de blanche mousseline qui laisse voir deux bandeaux bien lisses de cheveux noirs, et dont les bouts se réunissent au-dessus du front par un noeud d'une coquetterie inimitable.

La jeune Basquaise rit toujours, non pour faire voir de jolies dents bien rangées, mais parce qu’elle est gaie et que tout l’amuse. Elle se moque volontiers de tout le monde, et surtout du jeune citadin lorsqu’il lui décoche au passage quelque lourde galanterie.
Le jeune Basque, au contraire, est sérieux et grave surtout lorsqu’il est amoureux. Son idiome, riche autant qu’il est original, se prête parfaitement au langage poétique et imagé, mais difficilement aux subtilités de l’esprit. En cela, comme en bien d’autres choses, les Basques diffèrent des Gascons, cette descendances abâtardie de nos montagnards. Les Gascons sautillent, folâtrent et plaisantent sans cesse, têtes folles et esprits légers ; et les Basques, malgré le mot de Voltaire, qui pourrait les faire passer pour un peuple de pantins, ont l'esprit ferme, droit, apte aux grandes conceptions ; et ne dansent, ne crient, ne sautent que parce qu'il est en eux une force, une vigueur qu'il fauit dépenser à tout prix.
Dans les oeuvres d'imagination l'opposition des caractères est plus grande encore. Chez les uns vous trouverez plus de passion, de la rêverie, de la langueur ; chez les autres, du madrigal et des pointes. Vous en trouverez peut-être dans les deux citations que je vais vous faire d'une romance en dialecte labourdin, et d'une historiette écrite dans l'un des idiomes gascons :

Romance Basque

(Depuis longtemps vous savez comme, ma bien-aimée, je suis à vous. Je vous ai dit, non pas une fois, mais mille, que pour toujours je vous aimais, depuis longtemps, longtemps.
Depuis longtemps je cours après vous, errant et les pleurs aux yeux. Dites-moi, je vous prie, si vous m'aimez du coeur, comme je vous aime depuis longtemps, longtemps.
Depuis longtemps cotre douce voix n'est pas venue à moi, ma bien-aimée. Parlez-moi, et dites-moi la vérité ; je suis aveugle, vous me donnez la lumière depuis longtemps, longtemps.)

Aspaldian noula zuria nizan
Maïtia zuk zihaurek sakizu.
Erran deizut ez behin baï milatan
Bethikoz nik maïte zutuladazu
Aspaldian, aspaldian.

Aspaldian zur'oundoun nabilazu
Herraturik nigarra beghian.
Erradazu, othoï maïtenaï zunez
Bihotzetik, hala noula nik zu
Aspaldian, aspaldian.

Aspaldian, nik zure botz eztia
Estit ensun, oï ene Maïtia.
Mintza zakist, eta erran eghia
Utzu nuzu, zor zeneïket arghia
Aspaldian, aspaldian.


Historiette Béarnaise

(Marguerite,, pimpante et belle, se disposait à quitter le marché, quand son ânesse, bon gré, mal gré, s'échappa sur le chemin, et Margot de courir. Un petit monsieur l'arrête par le capulet. - Hé ! lui dit-il, où courez-vous si vite ? Hé ! petite, n'êtes-vous pas Bidère ? - Oui certes, monsieur, pour vous servir. - Alors vous connaissez Jeannette, la fille de Jean Poupeby. Vous lui ferez pour moi, sur sa petite joue si agaçante et si fraîche, claquer quatre baisers comme ceux que je vais vous donner. - Excusez-moi pour le moment, monsieur, lui dit la rusée en fuyant, je suis un peu pressée et vous en demande bien pardon. Mais pour bien faire, courez les donner à l'ânesse qui se sauve, elle arrivera avant moi.)

Margalidet poumpouse et bère
Que s'aplegabe deü marcat,
Quouan la saüme boun gré, maü grat,
Eü s'escarpe per la carrère ;
Margot de courre. U moussuret
Que l'estanga peü capulet
Et queü digou : bé courret hère ?
Hey, gouyattote, èt de Bidère ?
- Obio, moussu, per be serby.
- Be counechet dounques Jannette,
Hille de Jean de Poupeby ;
Qu'eü me harat sus la bouquette,
Tan gayhasente et tan resquette,
Crouchi per you quoate poutous
Coum lous quib baü you hab à bous.
- Excusat-me per la begage,
(Se dits la drolle et qué houegou) ;
Moussu, que soy ben drin pressade,
Qu'eb en demandi bien perdou ;
Mes ta pla hà courret detire,
Haüs à la saüme quis retire
Qu'arribera perme que you.

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Dernière édition par le Ven 12 Oct - 14:50, édité 1 fois
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MessageSujet: suite...   Autour de la Chambre d'Amour EmptyMar 9 Oct - 8:42

...
Ainsi que je vous ai dépeint le jeune Basque et sa fiancée venaient à la ville, chaque matin, à une époque de laquelle, comme je vous l’ai dit, il n’est pas resté de date. Laorens, l’un des nobles enfants de la montagne, et Saubade, la plus jolie fille de ce charmant village d’Anglet, qui court éparpillé sur la plaine de sable entre Bayonne et la mer.
Laorens était de par-delà Ustaritz, l’ancien chef-lieu de la république labourdine, où se tenait jadis, à l’entour d’un chêne vénéré, l’assemblée des anciens du peuple, le bilzaar. Son père était riche de cette richesse du pays, la plus estimée de toutes, qui consiste en beaux troupeaux, en terres bien cultivées, et les hommes de la montagne le vénéraient comme l’un des adeptes les plus zélés de l’agriculture, cet art si respecté des Basques.
Saubade était l’enfant de modestes métayers, et dès qu’elle avait eu l’âge de raison on l’avait envoyé à la ville avec un pauvre cheval et des cacolets, pour accroître par quelques bénéfices quotidiens, comme faisaient les jeunes filles ses compagnes, les faibles ressources du ménage paternel.
Savez-vous ce que c’est que des cacolets, et me permettez-vous, pour vous le dire, d’abandonner un instant encore le récit que j’allais commencer ?
Je vous ai parlé du cheval ; d’ordinaire, il est vieux, usé, ses genoux sont couronnés : il serait mauvais cheval de cacolet s’il ne bronchait souvent et s’il ne s’abattait quelquefois. Le bât qu’il porte est à peine sanglé et penche à droite ou à gauche, sous la moindre pression. Ce bât sert à suspendre deux paniers, deux cages à poulets, deux objets innommés, de construction grossière, garnis de coussins de paille et recouverts d’une toile à carreaux. Ces objets sont les cacolets et donnent leur nom à tout l’ensemble de l’équipage. Ainsi composé, le cacolet sert, il servait, devrais-je dire, aux transports de toute nature dans la partie de la contrée qui était inaccessible aux voitures, soit à cause des sables et de l’impossibilité de frayer une route solide, soit à cause de l’exiguïté des sentiers de la montagne. Plus souvent encore le cacolet prenait des promeneurs, des citadins qui visitaient leurs amis de la campagne, des convalescents qui s’en allaient demander aux flots de Biarritz ou aux sources thermales de Cambo un peu de force et de santé ; alors – je dis alors, car aujourd’hui les sentiers sont élargis, les sables sont affermis, des routes ont été créées, et cent voitures roulent là où le cacolet était le seul maître -, alors rien n’était original comme une promenade en cacolet.

Le cheval était conduit entre deux bornes ou deux grosses pierres sur lesquelles deux voyageurs montaient en même temps, puis en même temps ils s'asseyaient sur les deux sièges. Les jambes pendantes, le dos sans appui, un ou plusieurs pavés donnant au plus léger un poids égal au poids de son compagnon. Ainsi chargée, l'étrange machine se mettait en marche, balançant, butant, faiblissant soit de l'avant, soit de l'arrière, et imposant à ses voyageurs une continuelle anxiété. dans les étroits sentiers de la montagne c'était bien autre chose ; l'un se heurtait à toutes les aspérités des rochers, tandis que l'autre pâlissait suspendu au-dessus des précipices.
Saubade, donc, était cacoletière, et la plus jolie de toutes celles qui stationnaient dans l'enceinte de la porte d'Espagne ; aussi était-elle recherchée de tous. Lorsqu'un seul promeneur se présentait, et c'était d'ordinaire quelque jeune bourgeois de la ville que séduisait la perspective d'un tête-à-tête avec la jeune fille, il fallait bien que, pour maintenir l'équilibre de son équipage, elle se plaçât sur le cacolet inoccupé ; mais plus d'une fois la mauvaise, trop poursuivie de propos audacieux, sauta subitement de son cacolet à terre, laissant le bât faire la bascule et le galant rouler tout honteux dans la poussière.
Du jour où Laorens eut vu Saubade, il en devint épris ; du jour aussi où un senargheï se fut déclaré pour la jolie Basquaise, elle fut moins exposée aux poursuites des jeunes beaux de la ville. Il est vrai que Laorens était jaloux, et que sa main droite maniait dextrement un redoutable maquila de néflier qui n'eût pas toléré une impertinence.
Chaque matin, levé avant le jour. Laorens venait d'Ustaritz attendre sa maïthagarria (bien-aimée de son coeur) sur le chemin d'Anglet et l'accompagnait jusqu'à la ville, pendant que Brillant, le bon cheval, les suivait tranquillement en portant ses cacolets.
Chaque soir, après le travail de la journée dans les champs de son père, le jeune homme, à la suite du souper de la famille, prenait son bâton de néflier et s'élançait vers Anglet à travers champs. Il y a plus de trois lieues d'Ustaritz à Anglet ; Laorens, comme tous les jeunes Basques amoureux, parcourait cette distance à pas précipités, franchissant les haies et les murs de clôture, ne s'arrêtant à aucun obstacle, et chantant, pour oublier la distance, quelque rmance amoureuse comme celle-ci :
Tchori erresinola,
Hots emak eneki,
Maïtiaren borthala,
Biak algareki ;
Guero deklara izok,
Botz eztibateki,
Haren adiskidebat
Badela hireki.

(Oiseau rossignol, viens avec moi jusqu'à la porte de ma bien-aimée, ensemble, tous deux ; puis, fais-lui comprendre, avec une douce voix, qu'avec toi se trouve un de ses amis.)

Dès qu'il touchait le territoire d'Anglet, Laorens s'arrêtait, respirait longuement et faisait vibrer l'air d'un cri éclatant, le sinka, le cri d'amour du Basque, un cri que je ne saurais noter pour vous le faire connaître. A ce signal un autre signal répondait ; une lumière paraissait un instant, puis disparaissait, à une métairie de la campagne, et le jeune homme reprenant sa course avec plus de rapidité, arrivait tout joyeux sous la fenêtre de Saubade.
Combien de nuits passèrent ainsi pendant lesquelles Laorens, hissé sur quelques pierres, échangea avec sa maïthagarria ces longues causeries qui, toujours les mêmes, sont toujours nouvelles ! Il repartait avant le jour, en courant comme il était venu, et le matin, au soleil levé, son père le retrouvait aux champs, la main à la charrue, frais et dispos comme s'il n'eût pas quitté l'echaltea (le domaine)...
Saubade fut, dès ce moment, l'emastegheï, la femme future de Laorens, car le Basque ne sait pas être un honteux séducteur, et s'il sacrifie librement à l'amour, il ne sait pas mentir aux sainte obligations qu'il impose.
Mais le père de Laorens était riche, celui de Saubade était pauvre ; et, si j'en crois ce qu'on m'a dit, cette considération de l'inégalité des fortunes a existé de tous les temps. En un mot, le riche cultivateur signifia à son fils qu'il s'opposerait à un mariage, et le métayer intima à sa fille la défense d'ouvrir sa fenêtre chaque soir.
Trop rarement les amoureux se soumettent aux injonctions de la famille. Laorens, il est vrai, n'alla plus le matin attendrre Saubade sur le chemin d'Anglet ; le soir, il ne fit plus retentir dans les airs son signal ; mais en attendant qu'il pût fléchir la rigueur paternelle, on le vit maintes fois, à la chute du jour, errer sur le bord de la mer et vers ces falaises que je vous ai indiquées entre l'Adour et le phare : Là venait aussi la jolie cacoletière, après sa course quotidienne à Biarritz, et tous deux se réfugiaient dans cette grotte qui s'ouvre au milieu des rochers.

Un jour, Laorens et Saubade laissèrent fuit le temps plus que de coutume. Ils étaient arrivés au moment de la basse mer et lorsque la marée monta ils étaient là encore. L'horizon était sombre, les barques de pêche rentraient à la hâte ; les goélands et les mouettes poussaient des cris sinistres en tournoyant au-dessus des rochers ; la tempête grondait sur le golfe.
La mer, en montant, lançait à l'entrée de la grotte quelques flocons d'écume : les flots poussés par les vents déferlaient contre les rochers avec furie, et cependant ni Saubade ni Loarens ne paraissaient. Etait-ce donc le sommeil ? Leur désespoir leur avait-il inspiré quelque résolution funeste ? Et la mer montait, elle s'emparait du sentier qui conduisait à la falaise, la fuite semblait maintgenant impossible. Bientôt une lame pénétra dans la grotte et l'inonda d'écume... Rien ! pas un mouvement !... pas un cri !
Un flot survint et couvrit le rocher, d'autres lui succédèrent, la tempête éclata et dura toute la nuit. La mer monta, monta toujours, et s'il y eut enfin une plainte, sa voix terrible empêcha qu'elle ne fût entendue.
Depuis lors on appela Chambre d'Amour la grotte où avaient péri Laorens et saubade, et elle devint le but des pieux pélerinages de tout ce qui, dans le pays, avait un coeur, un amoureux ou une bien-aimée, c'est-à-dire de toute la population. La vogue fut telle, bientôt, que la spéculation s'en mêla, et derrière la falaise s'élevèrent deux ou trois auberges, qui sont presque toujours remplies de visiteurs.
Mais, comme avec le temps tout change, la Chambre d'Amour n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était alors ; la mer s'en est retirée, et les sables l'ont envahie et comblée à demi. On y pénètre plus qu'en se traînant ; la voûte, surbaissée, est habitée par une multitude de cloportes marins, et sillonnée de dates et de noms qui semblent vouloir apprendre à la postérité qu'après Saubade et Loarens bien des imprudents sont venus braver la surprise des flots.

Germond de Lavigne, Contes récits et légendes des pays de France
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