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 Le retour à Tiburiac

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Joa
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MessageSujet: Le retour à Tiburiac   Le retour à Tiburiac EmptyVen 21 Nov - 11:25

1

Statique monstre de pierres vieilles, tassé sur un périlleux rocher, indifférent à la Dordogne, qui pourtant lui faisait un siège patient et millénaire en creusant le roc avec le dessein d'écrouler ce nid d'hommes, l'orgueilleux château de mes grands-parents avait un coeur de glace.
Accroupi entre ses quatre tours d'angle, il montrait les dents d'un inutile appareil guerrier fait de créneaux, de poternes et de meurtrières, tous fendus ou éclatés par les boulets.
Fort heureusement, le lierre, en jetant sur lui la minutieuse armure de son filet végétal, cachait la lèpre de ses flancs rompus et, peut-être, le maintenait debout.
Ajoutez à l'abandon de Tiburiac son éloignement des grandes routes actuelles, lui qui, autrefois, avait épuisé l'ardeur du Sarrasin et de l'Anglais, et pris dîme et contredîme à tout ce qui passait dans la vallée, sur ce pont de la chaussée royale, à ses pieds, seul lien entre les villes voisines mais qui n'était plus maintenant qu'arche effondrée et culées touffues de chardons.
Pourtant, Tiburiac, vaincu par les paisibles temps nouveaux, ne s'était nullement amendé dans sa retraite forcée, et gardait farouchement, en ses tréfonds, un passé toujours captif.
les entrailles de ce profiteur de siècles regorgeaient d'ombres, de fluides et d'effluences qui étaient les sourdes palpitations et la fugace haleine des époques dites mortes, attendant au cachot leur improbable délivrance.
Hormis mes grands-parents, attentifs à chasser l'ortie et les reptiles loin de Tiburiac, à défaut de pouvoir en recoudre les fissures, j'étais le seul de notre famille à choyer comme un vieux dogue grognon et eprclus ce redoutable ancêtre de pierres car mes cousines de Bordeaux n'auraient jamais consenti à y séjourner, même une seule nuit.

Et, peut-être, l'aurais-je également ttrouvé inquiétant et hargneux si, tant par affection pour les lieux que pour les deux vieillards confits dans leurs traditionnelles habitudes, je ne m'y étais apprivoisé en venant là aux vacances de mon enfance.
J'en connaissais chaque souterrain, chaque cave, chaque oubliette ; tout le labyrinthe rempli d'impalpables présences, multiples et furieuses, dont j'écoutais les hurlements confus et les sanglots imprécis : échos de tortures et de cruautés d'antan qui me remplissaient d'un ineffable plaisir ; telles aussi ces plaintes d'emmurés qui me suppliaient vainement derrière un ciment couvert de mousses vénéneuses.
Sans doute est-ce à cause de cela qu'on disait Tiburiac hanté, donc néfaste ! Mais, à vrai dire, je crois que c'était moi qui hantait la tranquillité de ses fantômes.

2

A part les soins qu'elle apportait, aidée par le couple de gardiens, à cette exigeante bâtisse faite pour donner du travail à de nombreux domestiques, grand-mère Jeanne n'avait de regard et de vie que pour Césaire, mon grand-père, sauvage et dur au point d'être surnommé le Templier. Mais, conscients du spectacle qu'il lui donnait, il n'était pour elle qu'inventions et attentions malgré sa rigueur de caractère et ses soixante-dix ans passés, lui tissant encore de longs poèmes, naïfs mais fleuris, offerts sur parchemin avec le déjeuner du matin qu'il lui montait ponctuellement à huit heures depuis un demi-siècle.
- Jeanne est mon garant de bonheur, reconnaissait-il souvent, alors que ses lèvres sévères n'étaient pas faites pour dire des mots doux.
Et il appuyait sa lourde main, un rien attendrie, sur ma frêle épaule d'adolescent.
Mais, parfois, il ajoutait, amer :
- Sans elle, ma vie serait atroce... C'est mon armure, elle me préserve... Tu sauras un jour...
Et ses doigts, comme gantés de fer, serraient à me broyer.
Dans ces moments-là, son visage prenait la pâleur d'une angoisse que je ne pouvais alors comprendre ; et ses yeux, pourtant vifs, s'assombrissaient.

- Mon pauvre petit ! s'apitoyait-il, à croire que j'étais à plaindre.
"... Mon pauvre, je te souhaite de trouver vite une Jeanne, comme chacun de nos ancêtres qui l'ont cherchée et épousée avant que cette autre femme...
Là, il s'arrêtait, mais je sentais qu'il aurait voulu me révéler ce qui le tourmentait et me parler de cette autre. Seulement ce devait être encore trop incompréhensible à ma jeunesse pour qu'il le jugeât nécessaire.
- Ah ! si tu étais une fille ! me plaignait-il.
Mais, je me sentais très heureux et même fier d'être un garçon, surtout le seul mâle des Chaudrillac vuvants.
Et, ne cherchant pas à en savoir plus, j'échappai à son étreinte.

3

Je n'en appris davantage qu'après une nuit de juin harcelé par les feux de joie des bergers, sur les hauteurs environnantes, que je contemplais de la terrasse, à l'aube de mes seize ans, car je suis né quand s'éteignaient les dernières braises d'une Saint-Jean.
Ce matin-là, Césaire, estimant sans doute que jusqu'ici il avait laissé Tiburiac à ma jeune curiosité comme un os trop gros pour un chiot impatient, décida de me révéler le "Trou aux Huguenots", ignoré de moi jusqu'alors.
Chandelles en main, nous descendîmes au plus bas de Tiburiac en des lieux jamais visités, tapissés d'une poussière si légère qu'elle ressemblait à du talc répandu par les siècles afin d'entretenir la souplesse du passé.
A la fois curieux et anxieux, je suivis mon grand-père sous une basse voûte qui faisait joug à sa hauteur et le ployait presque en équerre.
Nous arrivâmes dans une cave circulaire. En son centre, du sol dépassait une mince dalle. Grand-père la souleva et dégagea un orifice béant.
Je m'agenouillai avec lui et me penchai vers un néant tiède. On ne distinguait rien, mais le souffle qui montait avait cette odeur de rots de terre qui vous émeut l'odorat lorsqu'on rouvre une grotte sépulcrale close depuis des siècles.
Césaire avait apporté quelques gazettes qu'il mit en torches, les allumant puis les jetant une à une dans l'oubliette. Elles planèrent, me révélant la forme circulaire des murs intérieurs, ample telle une immense jarre encastrée. En touchant le sol, elles éclairèrent brièvement une jonchée d'étoffes, ternes comme des sacs de mauvaise jute, d'où jaillissaient des os rompus et grattés à blanc par le temps vorace. Des crânes, visiblement décapités, jetés ça et là, nous grimacèrent tant de haine après la colère de leur brusque réveil que je n'aurais pas été surpris de les entendre hurler damnation.

Penché sur cette tombe ouverte, son visage cireux animé par la flamme de nos chandelles, grand-père resta longtemps sans répondre à mes questions.
Enfin, il parla et raconta avec une telle ardeur que, fasciné, mon sang battant à mes tempes, je participais alors à l'incroyable histoire qu'il puisait là, à sa source ; noircissant par des images précises le drame qui s'y était déroulé ; évoquant ces temps cruels où Dieu, impuissant et atterré, voyait ses fidèles se déchirer à mort, en des luttes acharnées où chacun évoquait son Nom comme raison de son fanatisme.
Cette poignée de huguenots, hommes et femmes, qui avait assiégé Tiburiac alors sous la féroce autorité d'Alban de Chaudrillac, voulait affirmer son droit par la prise de ce fief catholique. le sang ne les attirait pas et de voir leur oriflamme flotter à une tour du château leur eût suffi.
Mais Alban eut recours à la ruse et fit croire en son impuissance. Il voulait l'adversaire prit à ses filets.
Les huguenots sans méfiance pénétrèrent en Tiburiac par son pont-levis entrebaissé et, grisés par cette réusiite, crurent à leur seule adresse de stratège. mais ils se trouvèrent soudain enfermés dans cette nasse de pierre : la cour du château aux fenêtres subitement hérissées de guerriers, armes pointées vers eux.
Prisonniers, ils acceptèrent leur sort avec dignité et s'apprêtèrent à subir la tristesse des cachots : mais Alban leur fit supplice sa&ns attendre, les torturant de ses propres mains, les uns après les autres aux yeux de tous, avant de les décapiter à la hache, tout comme il eût frappé un parchemin de son sceau. Magnanime avec la plus jeune, il ne lui laissa la vie que contre une rançon de plaisir.
Mais cette huguenote, belle et fière, était armée d'une force cachée. Dérouté, subjugué, Alban de Chaudrilalc faiblit d'amour.
Elle, dévorée par son désir de vengeance et voulant planter à sa façon l'oriflamme des siens à la tour du château, demanda mariage, afin de vouer à jamais l'âme du catholique aux flammes éternelles.

Eperdu de passion, Alban accepta, mais une chute malheureuse mit terme, avant cette union, à sa tyrannique existence. Alors, délivrée, mais désespée d'être frustrée de sa vengeance, la huguenote, par d'infaillibles pouvoirs occultes, frappa la descendance des Chaudrillac d'une irrémédiable malédiction.
Aussi, les générations qui se succédèrent à Tiburiac la virent revenir auprès des mâles, célibataires ou veufs, afin d'obtenir d'eux, par le mariage, l'accomplissement de sa haine et l'achèvement de son inerminable errance.

Lorsque, bouleversé par son récit, Césaire eut terminé sur un violent : "Ah ! pourquoi l'a-t-il épargnée, celle-là ?", il enflamma et jeta rageusement la dernière torche de papier dans l'oubliette.
la clarté fouilla une fois encore la masse d'étoffes flétries, bourrée d'os et gardée par des voiles d'araignées fossilisées.
Alors je compris qu'à mon âge, Césaire, ui aussi amené là par son père, ou son grad-père, avait semblablement appris cette légende, sorte d'initiation au merveilleux familial, et j'espérais avoir répondu par mon silence emu à son attete, souhaitant déjà que mes propres enfants l'acceptassent plus tard avec le même sentiment. Eux me laissant alor la pleine joie de leur transmettre cette flamme à notre blason et, peut-être, la méfiance envers toutes les femmes, ainsi que le moyen de briser la malédiction par un pur amour.
Heureux de l'émotion que je montrais et, je crosi bien, satisfait de voir que je prenais ce drame au sérieux, grand-père se releva, me saisit aux épaules et, sur un vigoureux échange d'étreintes, telles celles d'un pacte, me dit d'une voix troublée :
- A présent, petit, te voilà devenu un himme averti et fort... Quant à moi, mon âme est à jamais apaisée.
Dieu sait combien, à cet instant, il me parut grave et sincère !
mais, quand on a seize ans, les femmes sont un rêve tellement impalpable et on les connaît si peu que cette histoire ne laissa à mon coeur et à mon esprit que le regret des temps perdus où la vie éclatait en haine, en violence et en passion.

4

Je n'étais pas revenu à Tiburiac depuis des années et préparais un diplôme en germanistique à Heidelberg, lorsque, au début d'un automne propice au tragique, la mort, subitement désireuse de Jeanne, vint la chercher avec l'aide sournoise d'une angine de poitrine.

A cette nouvelle, mon esprit n'évoqua pas immédiatement le visage éteint et glacé de grand-mère, mais, avant tout, celui de Césaire au supplice de séparation. Je l'imaginais prostré sur la couche mortuaire et ne voulant plus lâcher les mains à présent inertes qu'il avait si souvent tenues.
Je me trompais. Les choses ne se passèrent pas ainsi, et Martial, le garde, qui me les rapporta par la suite, expliqua le comportement de son maître par la folie d'un trop grand désespoir.
A peine grand-mère, le souffle éteint par une ultime syncope, fut-elle rendue à Dieu que Césaire l'abandonné en chancelant. Jurant par Dieu et Diable, il ordonna qu'on fermât la grille du parc, pendant que lui-même s'acharnait vainement à relever le pont-levis. Mais les gonds rouillés lui refusèrent tout manoeuvre.
S'armant alors de son meilleur fusil, il s'enferma dans la chambre de guet et se posta à la meurtrière, aussi violent de regards que de gestes, comme s'il attendait là son pire ennemi.
En quelques minutes, il fut le Templier redouté. A tel point que Martial et sa femme durent fuir Tiburiac et aller informer les autorités du village de la subite démence de leur maître.
Lorsque, après des heures d'hésitations, celles-ci montèrent au château, un tel silence les accueillit, à l'encontre de ce qu'elles attendaient, que, rassurées, elles mirent en doute les propos de Martial.
Mais, en découvrant Césaire, allongé, raide, dans la chambre de guet, fusil sous le menton, tête criblée par de féroces grenailles, tous prirent peur et laissèrent les deux morts à leur étrange drame.
Je n'arrivai que pour m'agenouiller bouleversé sur la dalle de leur tombe refermée.
Le problème de la succession fut aisément tranché. Mes parentes, ne voulant pas du château, se montrèrent conciliantes et je pus les désintéresser, tout en restant encore dans une enviable aisance.
Ainsi, abandonnant mes voyages littéraires, que je pouvais aussi bien poursuivre dans ce cadre favorable à la méditation, m'unissais-je de vie et d'âme à Tiburiac.

5

J'avais vingt-cinq ans. je parcourus mon bien avec l'oeil d'un propriétaire qui se veut à l'unisson de son époque. Et je dus reconnaître que si Tiburiac avait embelli mon enfance, il se révéla si vétuste que je me demandai comment il avait pu rester palais à ma mémoire.

Pendant deux mois, il fut un chantier qui, sans doute, dut me valoir dans la région un surnom plus aimable que n'avait été celui de Templier donné craintivement à mon grand-père.
A belle demeure, amis faciles. Mes rapports avec les châtelains du voisinage s'établirent aussitôt. Je reçus, et très vite, l'aide de Martial et de sa femme, aide insuffisante aux nouvelles exigences de Tiburiac. J'engageai un maître d'hôtel ; une cuisinière dont les rondeurs se portaient garantes de son art ; et, pour les autres soins, une jeune chambrière que je choisis farouche afin de ne point tenter un de mes visiteurs, car il fut bientôt reconnu que tout ce qui était de mon château valait merveille

A Noël, Tiburiac ronronna de bûches et de joie, d'abord pour Jésus ; ensuite,et bien plus, pour la résurrection de cette solide ruine que chacuns avaient crue enterrée en même temps que Jeanne et Césaire.
Je suis un mauvais danseur, aussi laissai-je les danses à ceux qui n'ont pas d'autres moyens pour se griser mais mon refus peina quelques demoiselles qui, guidées par leurs parents attentifs, voyaient en moi un parti idéal.
Au milieu de la nuit, comme je m'étais retiré dans la bibliothèque, le souvenir de Césaire s'imposa à mon esprit et il me sembla entendre à nouveau ses paroles passionnées, prononcées jadis : "Mon pauvre, je te souhaite de trouver vite une Jeanne comme chacun de nos ancêtres qui l'ont cherchée et épousée avant que..."
Emu, désemparé, je n'eux plus qu'un désir, m'isoler et, malgré les lois de la bienséance, laissant mes invités à leur plaisir, je montai discrètement à ma chambre.
Une gerbe de bougies éclairait la pièce où la jeune chambrière s'affairait à préparer mon lit.
Cette fille dégageait-elle un charme jusqu'ici tenu secret ou, tout simplement, me fallait-il un apaisement ? Toujours fut-il que, m'étant assis, las, dans le fauteuil de chevet, je la dévisageai avec intérêt comme jamais encore je ne m'y étais surpris.
Pour la première fois, elle me fut agréable au regard. J'appréciai sa gravité de brune, lui découvrant une perfection de traits jointe à une secrète ardeur de caractère qui valait toutes les faciles désinvoltures d'autres jeunes femmes, seulement belles de rires.

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MessageSujet: Re: Le retour à Tiburiac   Le retour à Tiburiac EmptyMar 2 Déc - 9:59

.../...
Je m'empressai pour l'aider à déplacer le lourd chandelier. Ma main se posa sur la sienne. Elle resta là, face à moi, si visiblement surprise que son souffle souleva le doux renflement de son corsage et tendit l'étoffe au rythme d'un émoi qui, pensai-je alors, devait être autre que la simple surprise de mon geste.
Elle m'attirait par une force si étrange et je voyais dans ses yeux noirs une telle beauté d'âme que je dus maîtriser mon émotion.
Elle reprit sa tâche et je n'osai plus m'imposer, ni l'interrompre, la regardant se déplacer, heureux de l'avoir à mon service.
Je l'aurais longtemps encore suivie de mes regards attentifs, espérant ainsi renverser la barrière de nos rangs respectifs pour qu'elle vienne à moi, mais elle sortit et je restai seul, embrasé par une sensation nouvelle.

6

Le lendemain, je la retrouvai à ses occupations, si lointaine que je n'osai lui avouer la fièvre qu'elle avait mise en moi. Et même si je lui avais parlé, m'aurait-elle écouté ?
Je multipliais les occasions de la croiser, dans les couloirs ou à l'office, partout où elle s'affairait, grace, parfois triste. Mais son indifférence, au lieu de me décourager, me ramenait sans cesse à elle.
Et bientôt, je ne pus me passer de sa présence, tremblant qu'elle ne me quittât, lasse d'un maître qui était l'ombre de chacun de ses mouvements.

Pourtant une nuit...
J'étais parti à Souillac pour la journée ; au retour, ma voiture versa dans un fossé ; le cheval se brisa une patte et je dus attendre un autre attelage pour revenir à Tiburiac.
A minuit, après une route difficile, j'approchais du château et je voyais, de loin, ma chambre éclairée alros que toutes les autres fenêtres se perdaient dans le noir.
Cette lumière, là-bas, prouvait qu'on m'attendait au plus intime de ma demeure. Ce ne pouvait être qu'Elle, désirant me guider ainsi.
Arrivé dans la cour, où personne ne se trouvait, je sautai de ma voiture et me hâtai vers ma chambre. Mais, avant d'ouvrir la porte fermée, craignant le ridicule d'une précipitation peut-être injustifiée, je remis de l'ordre dans mon souffle.

J'entrai et je ressentis tout de suite cette douleur de déception qui vous étreint lorsque le cadre que vous croyez plein d'une présence se montre impitoyablement vide.
Volé de la joie que j'avais escomptée, j'allai vers mon lit pour m'y jeter aussi tristement qu'on se laisse aller au vide pour y trouver l'oubli.
Je la vis alors, assise à l'écart de la lumière et prise par l'ombre.
Elle ne se leva pas ; mais, tendant son visage à la clarté mouvante des bougies, elle me donna à y lire toute l'inquiétude de son attente, comme si elle avait craint que je ne revienne plus à Tiburiac.
Ce soir-là, son seul regard m'en cria soudain plus que toutes les réponses qu'elle aurait pu faire à mes constantes et muettes interrogations. J'y lu clairement son désir de moi qu'elle s'efforçait encore de me cacher par des temps d'absences : ruptures cruelles tels de brusques arrêts de vie, mais qui me permirent de mieux pénétrer en elle, à son insu, et, cette fois, de lui dérober le trésor de son coeur.
Je lui pris les mains, je les étreignis avec émotion et la supplia de m'accepter.
Enfin, elle répondit à mon élan. Elle se leva, se pressa contre ma poitrine et, posant sa joue sur mon épaule, sanglota avec cette douceur qui distingue ceux qui ont trop pleuré dans leur existence : des sanglots de reconnaissance après une infinie lassitude.

7

Nous nous unîmes à la chapelle de Tiburiac que je fis revivre après un long oubli de Dieu ; et lorsque je lui eus passé au doigt le lourd anneau d'or des Chaudrillac, elle me regarda avec un désespoir si inattendu que je l'attribuai à une trop violente joie.
Mais, ensuite, je fus stupéfait en la voyant retirer l'anneau et me le tendre avec de véhéments refus de la tête.
Surpris, le prêtre m'interrogea sévèrement du regard. Peut-être me suspecta-t-il d'avoir terrorisé la mariée afin qu'elle m'apousât contre son gré.
Après une dernière hésitation, elle sembla se résigner. Devenue ma femme, elle sortit de la chapelle, avec dignité, mais jamais personne n'avait dû voir une châtelaine pâle à ce point.

Toute la soirée, et malgré la satisfaction qu'elle devait secrètement éprouver, elle ne montra nulle ivresse de joie, ni aise de plaisir. On l'eût dit anéantie par tant de bonheur.

Et lorsque, montés à notre chambre nuptiale, tard, très tard, nosu fûmes enfin livrés l'un à l'autre, elle se jeta à mes pieds, m'étreignit les jambes et eut d'amers et incompréhensibles sanglots.
Je la relevai tendrement et la déposai sur notre lit : ce parterre de dentelles et de broderies, où passait la flagrance de quelques secrètes lavandes.
Elle m'attira et se blottit entre mes bras, me montrant qu'elle avait peur ; qu'il fallait que je la protège ; que je pouvais tout pout elle ; que...
Mais, grisé et fouetté par son comportement de petit animal craintif, je commençai à la dévêtir.
Sa peau était aussi douce que ses pleurs.
Je frôlai de mes lèvres son cou qui dégageait une légère senteur poivrée. M'attardai à goûter ses joues, veloutées d'un duvet de frissons. Parvins à sa bouche qu'elle me refusa d'abord en détournant la tête, mais que je conquis et qui me rendit ardemment mes baisers. Embrassai ses paupières closes ; ses cheveux qui gardèrent mon souffle.
Je l'avais toute à moi. Elle acceptait enfin l'échange de nos désirs.
Soudain, elle eut un cri de détresse si terrible que, d'un bond, je m'acartai d'elle.
Effrayé, je la regardai.
Elle restait allongée, mais ses yeux me fixaient, comme atteints de folie, et exprimaient le vertige d'une lutte telle qu'un violent frisson me traversa... Ses doigts agrippèrent le drap en une prise féroce... De sa gorge sortit une plainte, un râle qui se gonfla jusqu'à l'étouffer... Convulsée par un spasme furieux, elle chercha à se redresser, me regardant cette fois avec une haine qui la défigura... Elle fit le geste de me saisir à la gorge, mais ses bras retombèrent, la vie brusquement coupée en elle...
Alors... alors, le mordis mes poings jusqu'au sang afin de ne pas hurler de ce que je vis en un instant... Elle se raidit... Sa peau se flétrit... verdit... se creva çà et là, laisant l'os apparaître dans une puanteur croissante, si fétide qu'elle m'écroula de nausées... Je vis ses traits se fendre en une infecte boule putride, son crâne surgir, puis ses vertèbres, ses côtes... Et Dieu me fut bon, qui m'avait arrêté de la dénuder complètement, sinon j'aurais vu se crever son ventre pourri que sa robe virginale, de satin et de soie, garda au secret de l'horreur... mais l'étoffe vieillit à son tour, comme de plusieurs siècles, et il n'y eut plus sur ma couche souillée que ces macabres restes d'os blanchis, enveloppés d'une sorte de sac flétri semblable à eux du "Trou aux huguenots"... Cendres et poussières immédiatement reprises par le Passé soudain cupide de son bien.
La malédiction enfin accomplie, venait de m'engloutir à tout jamais dans l'Enfer des vivants.

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France
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