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 La brèche au diable

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Joa
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Joa


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La brèche au diable Empty
MessageSujet: La brèche au diable   La brèche au diable EmptyLun 8 Déc - 11:06

J'avais déjà vu, à deux pas du lac de Retournemer, dans les Vosges, une Roche du Diable sur laquelle la tradition locale veut que tous les lutins, farfadets et malins esprits de la pittoresque vallée des Fées aient jadis tenu leurs assises nocturnes, au gémissement du vent, aux glapissements des renards, aux grondements des ours, aux hurlements des loups-garous, aux miaulements de chats sauvages, aux sifflements des dragons aux longues ailes, aux cris sibilants des chouettes et des hiboux, bruits sinistres mêlés à la douce musique de voix invisibles attribuées aux fées. Au printemps dernier, j'ai vu une autre roche diabolique sur les bords de la Laison, près du village de Potigny, en Normandie.
J'étais sur la rive droite de ce ruisseau, sous un abri verdoyant, et je regardais avec un certain étonnement la montagne rocheuse, tapissée de mousses et de plantes grimpantes, et dont les échancrures laissaient apercevoir, au sommet, une petite église perdue comme un nid sous les arbres. De-ci, de-là, quelques maisonnettes montraient un pan de muraille, un bout de toit, un rien, qui trahissait la présence humaine en ce lieu solitaire troublé seulement par le tic-tac de quelques moulins broyant le blé le long de la Laison, et le bruit des petits flots de la petite rivière se brisant contre des pierres jetées en travers et faisant obstacle à la régularité de leur course.
Il y avait longtemps que j'étais là, rêveur, ne remarquant pas que le jour s'en allait peu à peu. Le roitelet chanta ; le roitelet, qu'on appelle en Normandie la petite poulette au bon Dieu. Ce chant me réveilla, et j'essayai de regagner le village voisin, mais sans y pouvoir parvenir , c'était comme si j'avais marché sur "l'herbe qui égare". La nuit s'annonçait claire et sereine ; je me demandais comment je pourrais la passer le plus commodément possible, lorsque j'entendis des pas : c'était mon hôte, un ami d'enfance chez lequel j'étais venu passer quelques jours, et qui, inquiet de ne pas me voir rentrer, s'était mis à ma recherche, aidé d'un barbet très intellignet.

- J'étais sûr de te trouver devant la Brèche au Diable, s'écria-t-il en m'apercevant.
- La Brèche au Diable ? répétai-je, devinant là-dessous quelque légende de la même famille que beaucoup d'autres que j'avais recueillies dans mes excursions à travers la France.
- Oui, c'est le nom qu'à cinquante lieues à la ronde l'on donne à ce monstrueux rocher. Les habitants d'Alençon le connaissent aussi bien que les habitants de Potigny. Il y a même un contre très accréité là-dessus, un conte à deux personnages, monseigneur saint Quentin, premier apôtre de ce pays, et monseigneur le Diable, ce vilain apôtre que tu sais.
- Une légende ! une légende ! J'ai trouvé une légende ! m'écriai-je joyeusement.
- Tu cries comme Rousseau quand il eut trouvé une pervenche, me dit mon ami.
- J'éprouve la même joie que lui, en effet, répondis-je ; j'herborise des traditions bizarres, comme d'autres des fleurs curieuses ; je collectionne des superstitions, comme d'autres des coléoptères. Donne-moi vite ta légende, pour que je la couche dans mon herbier ; donne-moi vote ton récit, pour que je le pique dans ma boîte...
- J'y consens très volontiers, mais à la condition que nous marcherons véritablement au lieu de nous promener, car le souper nous attend.
Et il commença :
- Il y a longtemps, saint Quentin, qui, avant d'être saint, avait été mari et père, saint Quentin, dis-je, s'en vint dans cette contrée pour y semer dans les âmes, la parole de vie, pour y prêcher l'amour de Dieu, pour y populariser la doctrine et le nom du Christ. Son premier soin, en arrivant, fut d'édifier de ses propres mains, sur le sommet de la montagne, une petite église...
- Je l'ai vue, dis-je en interrompant maladroitement.
- Tu ne l'as pas vue, par la raison que la première église bâtie par saint Quentin n'existe plus, et que celle que tu as vue est postérieure de beaucoup à la mort de ce saint homme.
Saint Quentin édifia donc une petite église au sommet du rocher, et quand elle fut achevée, il attendit les habitants des environs pour les catéchiser et les faire chrétiens. Malheureusement le rocher se dressait d'un seul morceau, comme une île inaccessible, et la Laison, au lieu d'être une rivière utile comme aujourd'hui, était une sorte de lac dont l'eau se perdait, faute d'issue, dans les plaines avoisinantes, qu'elle submergeait presque entièrement. Saint Quentin se trouvait ainsi tout à fait isolé des ouailles dont il voulait être le pasteur spirituel. Cet état de choses durait déjà depuis u assez long temps, lorsque l'esprit du mal, le diable, puisqu'il faut l'appeler par son nom comme la peste, s'en vint roder dans le voisinage de la chapelle : un jour il déclara à saint Quentin que, s'il le désirait, il fendrait la montagne en deux, et y ménagerait une brèche si énorme que la Laison pourrait y couler à son aise et permettre ainsi l'accès de l'église aux populations riveraines.

Saint Quentin lui demanda quel salaire il entendait retirer de cette besogne surhumaine. Le diable lui répondit tranquillement qu'il ne lui demandait rien que l'âme de sa fille aînée.
Le saint, blessé dans ses entrailles de père et de chrétien, repoussa, comme il convenait, la perfide et cruelle proposition de l'ange des ténèbres, qui s'enfuit en lui disant qu'il reviendrait...
Il revint, en effet, à plusieurs reprises, et, chaque fois, il fut repoussé...
Cependant, au bout d'un mois ou deux, saint Quentin consentit à ce que lui proposait le diable ; mais à deux conditions formelles, sur lesquelles il n'entendait rien rabattre : premièrement Satan s'engagerait à remplir d'eau certain vase qu'il y avait dans la chapelle ; secondement, il blanchirait dans la rivière, le jour où elle coulerait pour la première fois dans le lit nouveau qui allait lui être creusé, une toison dont le saint s'était réservé le choix.
Le Vilain, comme, on dit ici à propos du démon, accepta sans discussion ces deux conditions qui lui paraissaient puériles, rien n'étant plus facile pour lui, il le croyait du moins, que de remplir un vase quelconque et de blanchir la première toison venue... Il pensait, à part lui, que le saint homme avait fait là un marché de dupe, et qu'il lui livrait, pour un prix bien mesquin, l'âme de la belle enfant.
En conséquence de ces mutuelles conventions, le Vilain se mit à l'oeuvre, et, du soir au matin, la montagne rocheuse se trouva fendue en deux comme un lopin de beurre avec un fil d'archal ; mais, lorsqu'il s'agit de remplir le vase que saint Quentin avait été quérir, Satan fit la grimace, car ce vase était un crible, proche parent du tonneau des Danaïdes ; quand à la toison, il n'essaya pas même de la blanchir, et sa grimace fut plus diabolique encore, car cette toison était une peau de bouc...
Le Malin, cette fois-là, dut convenir qu'il ne méritait pas son nom, et amèrement regretta le marché qu'il avait fait avec saint Quentin. Non seulement il n'avait point l'âme de la fille de l'apôtre, mais encore ce dernier se trouvait, grâce à lui, en communication avec un troupeau d'âmes chrétiennes.

Magasins pittoresques, 1862, Contes, récits et légendes des pays de France
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