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 La vierge maudite

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Joa
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Joa


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MessageSujet: La vierge maudite   La vierge maudite EmptySam 17 Jan - 11:19

On peut voir, sur une colline de la vallée de la Dordogne, cette chapelle romane du XIe siècle où, de nos jours, Dieu ne vient plus, faisant même un grand détour pour l'éviter lorsqu'il se répand bienheureusement sur le Périgord. Et vous devinez déjà qu'une triste histoire en est la raison.
Approchons-nous, surpris de la découvrir à ce point négligée, elle qui devrait être respectueusement soignée par les croyants du village proche auquel elle appartient, pourtant. Une épaisse écharpe de hautes ronces plusieurs fois enroulée lui épine les flancs et il faut, s'y piquant, l'écarter à l'endroit du petit porche pour y pénétrer. Le tympan est mutilé à vous faire souffrir également. On ne peut plus que deviner le Christ et ses apôtres, presque plus rien qu'ils sont, là, vagues saillies dans la pierre grise. Sans efforts, les vandales ont mis moins de temps pour laisser d'éternelles traces de leur passage qu'il n'en a fallu à la chrétienté pour s'imposer à cet endroit. Mais c'est la juste injustice du règne de l'homme.

Entrons, mes frères, et, si nous sommes croyants, signons-nous, une amère odeur de feu mort aidant, devant la désolation des lieux : ces excréments desséchés, partout ; ces balafres au charbon de bois sur les murs déjà blessés d'oubli et ces litières de paille pourrie pour vagabonds hâtifs - ils ne restent jamais longtemps, ils ne le peuvent, pas plus que vous et moi qui, aussi, allons vite repartir, inquiets.
Nous pourrions nous montrer généreux envers cette verrue de colonne, là, ce tronc rouillé... mais n'y jetons pas le moindre sou, il le refuse ; sans fond, il se vide aussitôt par terre. Et, s'il le gardait, quel incroyant se risquerait à venir voler la peste des lieux !
Cette menace, on la sent dans un malaise croissant et, pour les âmes pures qui ont choisi la claire santé de Dieu, il y a là comme une maladie rongeante.
Mais, si nous ne sommes pas sensibles à la clarté ni au courroux de Dieu, faisons le don au Diable qui ne doit pas être pour rien dans ce sordide abandon ; faisons-lui, contre un mur, un copieux et acide hommage à l'image de notre mécréance.
Cependant, que vous soyez ou des uns ou des autres, bouleversé ou satisfait de la damnation de cette chapelle que Dieu a rayée de sa bienfaisance, regardez avec commisération la petite Vierge peinte sur le mur de droite, dans une douce attente : une Vierge d'avant l'Enfant, et, je vous en supplie, ne tentez rien contre elle qui souffre déjà dans sa beauté par une irréparable défiguration. Craignez un courroux dont on ne sait s'il vient de Dieu le Père ou de Satan le concupiscent, craignez le pire.
Souffrons de voir ce plâtre gonflé et pourri d'une infecte moisissure qui rebouche cres deux trous qu'une main impitoyable a creusé à l'endroit de sa tête, pour la priver d'esprit, et de sa poitrine, pour lui arracher le coeur, ne laissant autour qu'un peu de son voile et de sa divine auréole. Mais admirons la gracilité de son corps, orfèvrerie d'un pinceau de miniaturiste posée sur un fond bleu foncé, à peine écaillé, rehaussé de cabochons rouges.
La pierre, poncée à l'endroit où elle est peinte, a la douceur d'un parchemin invisible qui serait tendu là. Et combien elle est belle, assise à l'attente, fine et mince, quasi de notre époque, de demain déjà, où les corps à nouveau épurés et simplifiés de graisse rejoindront ceux des temps anciens, modelés sur les aspirations de l'âme naturelle.

Cette Vierge-enfant n'a pas toujours été ainsi livrée au tourment de défiguration. Pas plus tard encore qu'au début de ce siècle, son regard d'amour réchauffait patiemment et on venait de loin lui prendre un peu de cette chaleur qui fait tant besoin en quelque saison que l'on se trouve de sa propre existence.
On savait également des dons à ce regard fécondateur de confiance, et quel cultivateur de la région n'est pas venu dévotieusement lui laisser à couver un sachet de son grain de l'année d'avant, destiné à faire petits l'année-ci ? Quel vigneron, un peu de sa terre à vignes, ocre du vin à naître ? Quelle mère, son enfant à faire croître ? Quel berger, son troupeau à faire laine ?
La chapelle, alors, sentait la cire et l'encens, ces haleines jumelles du respect. Son sentier, tenu propre par les pieds des pélerins, se voyait, net serpentement sur la colline et évident cordon ombilical long d'une lieue, la rattachant à l'église-mère, du village, qui avait cette fillette aux champs, aujourd'hui à jamais damnée.
Il ne lui aurait pas fallu ce vagabond venu du sud tant il était basané de peau et noir de chevelure, qui, passant par le pays vers 1903 ou 1904, s'y installa comme dans son droit, bouclant sur lui la porte de chêne cloutée de coeurs forgés.
Quelle était donc la puissance de cet étranger qui réussit à repousser les exhortations de tous les curés du canton et, même, celles de l'évêque qui lui envoya comme un foudre un prêtre barbu à blanc, âge d'autorité, fort d'un verbe haut et soutenu par l'apparât d'un troupeau d'enfants de choeur pourprés, se chamaillant à qui resterait derrière ?
Mais l'attirail de l'exorcisme s'émoussait contre la porte close et, là-dedans, l'homme ne voulait pas sortir. Au contraire, il fallait entendre son rire sacrilégiaque à cloquer la peeau d'ivoirre du Christ menaçant qu'on lui tendait en fulgurantes apparitions par une lucarne latérale.
Durant plusieurs décours e lune, il fit là sans jamais sortir son feu, sa mangeaille et ses besoins ; en un mot, sa vie. Et à quelle alchimie païenne, à quelle magie impie se livra-t-il qu'il transformait en plaintes comme d'un loup, tour à tour féroce à victoire ou gémissant sa défaite ? Une bataille se livrait, toujours recommencée,, que personne ne put voir. Et aucune parole latine ne parvint à faire taire l'atroce colique de malédictions qui y grouillait.

Enfin, à une nouvelle aube, les gens de Dieu montèrent à la chapelle polluée, plus nombreux encore, avec, cette fois, l'aide des bannières de Rocamadour, prêtées par les prieurs de là-bas qui n'étaient pas mécontents de les mêler à cette aventure pouvant ajouter à leur légende. Furent-elles vraiment puissantes contre ce fou du Diable ? Seules les archives célestes le savent qui ont sans doute consigné le fait sur d'hélas ! indécryptables registres. Toujours fut-il que l'individu n'était plus là. Il avait quitté la chapelle, laissant d'autres cette coquille vide de lui, telle celle d'un bernard-l'ermite.
Alors, pénétrant avec un moulinage de signes de croix à fatiguer le bras d'un forgeron, préservé par un bourdonnement de prières, on peut voir qu'il avait fait orgie de flammes avec tous els bois de l'autel, des bancs et, même, d'un antique saint François un peu véreux mais splendidement polychromé, autre merveille des lieux avec, bien sûr, la petite Vierge si généreuse envers tous les profitants du pays. Mais, n'ayant pu la brûler, l'assassin l'avait mutilée de trous que j'ai dits tout à l'heure, poudre de pierre lui bavant la cervelle et les poumons, partout répandue sur le dallage et piétinée à pieds nus comme d'une danse furieuse.
On scia et cloua du bois pour refaire l'autel et les bancs. On gratta et lava les murs noircis de fumée autant pour les rendre beaux que pour les désimprégner de l'individu lui-même. On quêta à outrance pour racheter un saint François faussement vieux et on replâtra le corps ouvert de la pauvre Sainte Vierge. Mais aucun des artistes talentueux, venus parfois de loin pour servir l'art bafoué, ne put jamais repeindre exactement le beauté de ses traits, ni de son regard d'avant. Pire, aucun de ces visages, peints selon les directives du curé, aidé par ses fidèles les mieux armés de mémoire, ne restait longtemps pur. Le plâtre, pourtant sec à point, se prenait d'une sorte de lèpre qui, en quelques jours, pustulait le visage nouveau. Il fallait sans cesse gratter et repeindre. le maçon avait beau parer à une improbable humidité, toujours le plâtre se pustulait dès qu'il était marqué par ce regard et ce sourire pourtant divin mais qui n'avait rien de semblable au vrai d'autrefois.
Il n'y eut qu'une seule demi-réussite qui dura un petit mois mais qui s'avéra très vite catastrophique par ailleurs.
Croyant le visage enfin revenu, tous, cultivateurs, vignerons, mères et bergers, s'empressèrent de gaver de demandes la Viergelette refaite à neuf. Mais il y eut aussitôt tellement de charançons dans les greniers à grains, de mildiou sur les vignes, de maux de peau chez les enfants et de pelades dans les troupeaux, que la pauvrette, jugée incapable de tenir ses miracles, fut détestée par plus d'une âme, injurieuse au point qu'on sut le crachat que fit sur sa belle robe le fils Caussade, de Souleillat, qui, par sa faute, eut ses vignes dévorées comme jamais on n'avait vu et les perdit toutes.

Après cela bien fous ceux qui serainet allés lui demander sciemment du mal ! On laissa la chapelle à l'enfer des ronces et des souillures, la Vierge à son tourment de plâtre.
Cependant, une dernière tentative de restauration fut proposée vers 1910 par un jeune artiste parisien qui, passant, tomba amoureux de notre héroïne méprisée. Il obtint de tenter la chance de résurrection et, mieux que tout autre, gratta jusqu'à l'intime soupçon le plâtre ennemi, observant qu'elle pouvait être la raison de ce pourrissement, traquant le moindre suintement et brûlant presque la pierre pour la stériliser du plus infime micro-végétal. Cela fait, il gâcha un fin plâtre qu'il appliqua couche après couche, le tassant à mesure afin que ne restât pas la plus petite bulle, oeuf d'air capable d'éclore une traître fermentation et il laissa sécher à devenir pierre.
Ce garçon avait une grande conscience. Il repensa intensément le visage idéal de cette Vierge au martyre et, peu à peu, l'aima à l'égal et à l'image de son amour terrestre : cette jeune fille de Paris, restée là-bas, retenue par la bienheureuse docilité des fiancées d'alors, patientes à la loi d'attente qui mettait parfois sept années de chasteté de lèvres entre le premier baiser, d'accordailles, et le secons, de mariage.
Notre artiste ne vit bientôt plus ses deux amours qu'en un seul corps et, son génie exalté par ce mélange de profane et de sacré, conduisit aisément sa main à accomplir un chef-d'oeuvre.
Il tira de sa palette une peinture d'allégresse d'où renaquirent les traits de sa bien-aimée, sans nul doute semblables à ceux qui étaient naturels à la Vierge puisque, les contemplant, l'émotion l'étreignit à l'incliner de larmes : c'était Elles... à y croire.
Ne pouvant plus attendre pour faire partager son oeuvre à sa fiancée, il écrivit à sa future belle-famille qu'on la laissât venir, sur l'honneur : la surprise qu'il tenait pour elle étant, il ne le cacha pas, un don du ciel à l'artiste et un gage d"éternel bonheur pour leur couple.
Il retourna à Sarlat, son lieu de résidence momentané, et attendit, se morfondant pendant une quinzaine de jours. Enfin, il reçut un pli dont l'aspect le glaça d'un étrange doute : qui était... ? La mère ? Le père ? Il ouvrit hâtivement l'enveloppe endeuillée et lut, évanoui-conscient, douloureux à douleurs, la triste annonce de la mort de sa fiancée, enlevée en quelques jours par un mal incurable, fulgurante infection bubonique qui lui avait brûlé la peau du visage jusqu'à la défigurer en même temps qu'une phtisie foudroyante lui rongeait les poumons.

Et ce garçon meurtri, qui n'avait plus que la petite Vierge de la chapelle, voulut se raccrocher à son image double. Il s'y rendit et, avant d'être fauché par la seconde tranchade d'un chagrin mortel, il vit que le visage et la poitrine de plâtre avaient pourri comme les précédents. Un horrible lupus, insoutenable, déformait et faisait grimacer jusqu'au cauchemar les traits de la Vierge maudite.

Mais, insistons sur cette affaire : Qui s'est vengé ? Dieu ou Diable ?
- Les deux, qui sont peut-être le même !

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France.
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La vierge maudite
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