Dans les années 1930, obéissant à la maxime "Puisqu'ils font semblant de nous payer, faisons semblant de travailler", l'Homo sovieticus renâcle à la tâche et met sérieusement en péril la réussite du nouveau plan quinquennal. Pour exhorter les masses laborieuses à redoubler d'ardeur, Staline crée de toutes pièces un conte de fées moderne : le stakhanovisme. Le miracle est annoncé à la une de la Pravda en date du 1er septembre 1935. A Irmino, dans le Donbass, dans la nuit du 30 au 31 août, le mineur Alexeï Stakhanov aurait pulvérisé le record de productivité en abattant à lui seul 105 tonnes de charbon en six heures, alors que la norme en vigueur ne dépasse pas 7 tonnes. La nouvelle ahurissante se propage comme un coup de grisou à travers les médias soviétiques. Stakhanov, devenu héros national, est élu au Soviet suprême et son portrait bienveillant accueille bientôt les ouvriers dans leurs usines et les enfants dans leurs écoles.
On ignore si l'exploit du surhomme d'Irmino a dopé ou non la production de l'Union soviétique à la veille de la Grande Guerre patriotique. Il est avéré, en revanche, que la légende a perduré dans les manuels scolaires soviétiques jusqu'en 1989, et qu'elle était encore évoquée comme un fait réel en France, dans les pages de L'Humanité, dix ans plus tard. Avant que les archives du Parti soient rendues publiques et que l'on découvre la supercherie. En 1935, Staline avait ordonné à une équipe de quinze mineurs de se mettre au travail dans le plus grand secret. Une fois les 105 tonnes de minerai extraites, ce qui représentait une performance très ordinaire, quatorze ouvriers s'éclipsèrent discrètement, laissant Stakhanov seul face à leur tas de charbon ! L'Histoire se fabrique les héros qu'elle mérite !