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 Les fées

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Les fées   Les fées EmptyMer 3 Jan - 23:10

Dans le Nord du département de la Manche, on bat le sarrasin sur le champ même où on le récolte, et ces batteries sont toujours des fêtes. On choisit un beau jour du mois d'Octobre. On fait appel aux gens de bonne volonté et le clos est bientôt plein d'hommes, de femmes et d'enfants. Les jeunes garçons et les jeunes filles sont toujours en majorité. On aplatit un coin de terrain pour en faire une aire de résistance ; puis en riant, en folâtrant, on va chercher les javelles qu'on a disposées en cônes ou vieillottes pour les faire sécher et on les jette sur l'aire. Les fléaux frappent en cadence. Les parfums de la plante à demi-sèche, l'air vivifiant de l'automne, la gaieté naturelle à la jeunesse produisent leur effet ; on crie, on chante, on se provoque, les enfants se roulent sur la paille rejetée et jouent à cache-cache dans l'intérieur, jusqu'au moment où on la leur enlève pour y mettre le feu. Comme cette paille rougeâtre est encore humide, la fumée est assez épaisse, mais elle se dissipe dans l'air. On s'en amuse, du reste, et l'on danse alentour.

Quand on est fatigué du travail, on s'assied sur la paille parfumée. On vous apporte alors une galette de froment bien blanche qu'on vient de retirer du four et qui fume encore. On y fais entrer du beurre frais, qui fond à mesure ; on fait circuler les gobelets pleins de cidre appétissant, et les gais propos, les histoires de circuler ainsi.
Un jour que je me trouvais à une fête de ce genre, je m'amusai à noter les conversations.
- Comme elle est blanche votre galette, Marie-Jeanne ! On dirait de la galette de fée.
- C'est moi qui l'ai faite et je vous assure que les fées n'y sont pour rien.
- Est-ce que vous en avez mangé, vous, de la galette de fée ? demanda une jeune fille à la vieille qui avait parlé la première.
- Pas moi ; mais j'ai entendu dire à ma grand-mère qu'elle avait connu une femme qui en avait mangé.
- Et comment les fées lui avaient-elles donné de la galette ?
- On ne parle plus des fées aujourd'hui, continua la vieille, sans répondre à la question, mais on en parlait beaucoup dans ma jeunesse. On dit qu'il n'y en a plus depuis que les prêtres ont eu l'idée de se signer avec la couverture dui calice. Autrefois tout en était plein.
- On les voyait ?
- On ne les voyait pas souvent, mais on les entendait chanter et causer entre elles. On les voyait aussi, mais généralement de loin, laver leur linge dans le ruisseau de la vallée du Hubilan, seulement c'était la nuit au clair de lune.
- Et le jour, qu'est-ce qu'elles devenaient ?
- Je n'en sais rien ; mais il y a sous les falaises des houles qu'on appelle les trous de fées et sur les falaises des endroits qu'on appelle les jardins des fées.
- Mais les grottes des fées sont bien petites pour loger une famille et dans les jardins des fées il n'y a jamais rien.

- Les fées étaient en effet toutes petites, à ce que l'on disait, et il y avait parmi elles des hommes et des femmes. On ne voyait pas leur travail, elles travaillaient pourtant. Elles venaient parfois la nuit frapper aux portes. Elles ne prêchaient pas le patois comme nous, elles parlaient français comme à la ville. On les entendait crier :
Prêtez-nous vos timons,
Vos limons,
Vos charrues comme il (sic) iront.
Il fallait répondre : "Oui, prenez" ; autrement elles auraient trouvé moyen de vous faire du mal.
Quand on avait dit oui, elles allaient prendre la charrue à la charretterie et les chevaux à l'écurie, et elles labouraient leurs champs avec. Parfois aussi, elles se servaient des chevaux pour faire des courses. Alors, comme les fées sont des êtres plus petits, elles montaient sur le cou et non sur la selle des chevaux et se faisaient des étriers de leurs crins, qu'on trouvait singulièrement emmêlés.
- Cela arrive encore, dit un jeune garcon.
- Quelquefois en entrant dans l'écurie le matin on voyait les chevaux harassés, mais tout était parfaitement en ordre. Les fées étaient très soigneuses, et si l'objet qu'on leur prêtait était quelque peu gâté, on les retrouvait en bon état.
On les entendait aussi parfois dans le jour. Une de mes arrière-tantes entendit une fois une fée qui invitait ses compagnes à une fête : "Madame à longues oreilles, Madame à longues mamelles, venez-t-en à mes noces."
Il faut vous dire que quelques-unes avaient les seins tellement longs, qu'elles les rejetaient par-dessus leurs épaules pour donner à téter à leurs petits, qu'elles portaient sur le dos.
- Et la galette des fées, vous n'en parlez pas ?
- Attendez. Il y avait un jour d'été des gens qui glanaient du lin. C'était une belle journée, les alouettes chantaient, les mériennes dansaient. A un moment où tout le monde se taisait, on entendit une voix de femme qui criait :
- Le four est chaud.
- Aurons-nous de la galette ? demanda une femme en riant.
On ne répondit pas, et elle eut peur d'avoir eu la langue trop longue. On continua à glaner le lin en silence. Quand il vint le moment de se reposer, on s'assit à l'ombre d'un grand chêne et l'on alla chercher dans la haie, le pain, le beurre, le cidre qu'on avait mis dans la fougère. A côté des provisions déposées, on trouva une belle serviette blanche, et dans la serviette une belle galette de pain blanc, toute chaude, du beurre bien frais, sans sel, dans un petit pot, et un couteau pour couper la galette. C'était la fée à qui on avait demandé de la galette qui avait apporté tout cela. On se partagea le présent de la fée, on mit du beurre dedans et on se régala bel et bien. Puis, quand tout fut mangé, on remit soigneusement le pot et le couteau dans la serviette, on reporta le tout dans la fougère, à l'endroit où on l'avait trouvé. Un moment après on retourna voir ; il n'y avait plus rien.

- Et elle était bonne, la galette ?
- Excellente. Celle qui racontait cela disait qu'elle n'en avais jamais mangé de meilleure.
- C'est égal. je sais bien qui n'en aurait pas mangé, dit une jeune fille.
- On assure pourtant que les fées étaient méchantes, dit une voix.
- Méchantes, non ; mais quand elles avaient demandé des choses raisonnables, si par mauvaise volonté on ne voulait pas les leur accorder, elles punissaient parfois ces gens peu obligeants. Il y a au pied de la falaise une fontaine qu'on appelle la Fontaine aux Fées. Un méchant garçon s'amusa un jour à y porter des ordures, si bien que l'eau était trouble et puante. Puis il se cacha pour voir ce que diraient les fées.
Une fée arriva bientôt, et voyant l'eau infectée, elle poussa un cri de . D'autres fées accoururent, probablement, car il ne vit rien ; mais il entendit une voix fine qui disait :
- A celui qui a troublé notre eau, que souhaitez-vous, ma soeur ?
- Qu'il devienne bègue et ne puisse articuler un mot.
- Et vous, ma soeur ?
- Qu'il marche toujours la bouche ouverte et gobe les mouches au passage.
- Et vous, ma soeur ?
- Qu'il ne puisse faire un pas sans ... respect de vous ... sans tirer un coup de canon.
Les trois souhaits s'accomplirent, et voilà mon gars qui bégaie, tient toujours sa bouche ouverte et, quand il court, fait entendre un feu de file. Il alla bien vite retirer les ordures ; il arrangea joliment la fontaine et demanda pardon aux fées. Les fées lui pardonnèrent, pas tout de suite, pourtant. Peut-on dire que c'est de la méchanceté, cela ?

- On dit qu'elles changeaient quelquefois les enfants au berceau ?
- Cela arrivait, mais c'était la faute des mères. Les fées n'avaient de pouvoir sur l'enfant que si la mère avait oublié de le signer dans son berceau avant de le quitter. Dans ce cas, les fées prenaient quelquefois l'enfant qui était dans le bers et mettaient un des leurs à la place.
- Est-ce qu'elles avaient soin de l'enfant enlevé ?
- Je n'en sais rien, je le suppose. Mais on reconnaissait que l'enfant était un petit fêtet en ce qu'il mangeait beaucoup et ne grandissait pas.
Une femme avait élevé ainsi un petit fêtet. Les années se passaient et il était toujours petit. On pensait que ce pouvait bien être un fils de fée et qu'il était beaucoup plus vieux qu'il n'en avait l'air. Pour l'éprouver, on alla ramasser une grande quantité de coquilles de flies (mollusque univalve, comestible, c'est la patella vulgata des naturalistes) ; on les remplit d'eau et on les rangea autour du feu ; l'eau ne tarda pas à bouillir. L'enfant regardait tout ce manège. A la fin il s'écria : "J'ai vu sept fois brûler la forêt d'Ardenne ; mais jamais je n'avais vu tant de petits pots bouillir."
Il n'y avait plus à s'y tromper. L'enfant était vieux, très vieux, c'était un fêtet.
- Une drôle d'éprouvette !
- J'en conviens ; mais je n'invente pas, je répète ce qu'on m'a dit.
- Et la mère retrouva-t-elle son enfant ?
- Il paraît que oui ; mais je n'ai jamais entendu la fin de l'histoire. On prétend que cela portait bonheur d'élever un fêtet dans une maison. Enfin il n'y a plus de fées, c'est dommage.
- Pourquoi dommage ?
- Parce qu'elles ne faisaient de mal qu'à ceux qui le voulaient bien et qu'elles rendaient souvent des services.
Une pauvre femme se désolait un jour de voir son fils mourant. Tout à coup la pierre du foyer se soulève, une main met une petite bouteille sur l'âtre.
- Fais-lui boire cela dit une voix.
- La femme obéit ?
- Elle obéit et s'en trouva bien. Huit jours après, son fils était sauvé.

Bonnes gens, si nous achevions notre besogne, dit le propriétaire du sarrasin.
Tout le monde se leva, au grand désappointement des enfants que ces histoires intéressaient. On but encore une tournée de cidre et l'on se remit à l'ouvrage.

Jean Fleury, Contes, récits et légendes des pays de France
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Les fées
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