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 Le livre de ma mère (Extraits) de Roxy

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Le livre de ma mère (Extraits) de Roxy   Le livre de ma mère (Extraits) de Roxy EmptyMar 27 Nov - 9:51

Envie de vous faire partager quelques extrait de ce livre d'Albert Cohen :


Le livre de ma mère (1/5)


"Sous terre ma bien-aimée, tandis que bouge ma main faite par elle, ma main qu'elle baisait, sous terre, l'ancienne vivante, allongée maintenant en grande oisiveté, pour toujours immobile, celle qui en sa jeunesse virginale dansa de pudiques mazurkas rieuses. Fini, fini, plus de Maman, jamais. Nous sommes bien seuls tous les deux, toi dans ta terre et moi dans ma chambre. Moi, un peu mort parmi les vivants, toi un peu vivante parmi les morts. En ce moment, tu souris peut-être imperceptiblement parce que j'ai moins mal à la tête.

(...)Jamais plus elle ne me soignera elle, la seule. La seule qui jamais n'aurait été impatiente, ma maladie aurait-elle durée vingt ans et aurais-je été le plus insupportable des malades. Elle est la seule qui ne m'aurait pas soigné par devoir ou par affection. Mais par besoin. Parce que, moi malade, la seule chose intéressante pendant vingt ans aurait été de me soigner. Ainsi était-elle. Toutes les autres femmes ont leur petit moi autonome, leur vie, leur soif de bonheur personnel, leur sommeil qu'elles protègent et gare à qui y touche. Ma mère n'avait pas de moi, mais un fils. Peu lui importait de ne pas dormir ou d'être lasse si j'avais besoin d'elle. Que me reste-t-il à aimer maintenant, de ce même amour sûr de ne jamais être déçu ? Un stylo, un briquet, ma chatte."

"Avec les plus aimés, amis, filles et femmes aimantes, il me faut un peu paraître, dissimuler un peu. Avec ma mère, je n'avais qu'à être ce que j'étais, avec mes angoisses, mes pauvres faiblesses, mes misère du corps et de l'âme. Elle ne m'aimait pas moins. Amour de ma mère à nul autre pareil.

(...) Petite remarque en passant. Si le pauvre Roméo avait eu tout à coup le nez coupé net par quelque accident, Juliette le voyant, aurait fui avec horreur. Trente grammes de viande de moins, et l'âme de Juliette n'éprouve plus de nobles émois. Trente grammes de moins et c'est fini, les sublimes gargarismes au clair de lune, les " ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'alouette".
Si Hamlet avait, à la suite de quelque trouble hypophysaire, maigri de trente kilos, Ophélie ne l'aimerait plus de toute son âme. L'âme d'Ophélie pour s'élever à de divins sentiments a besoin d'un minimum de soixante kilos de biftecks.
Il est vrai que si Laure était devenue cul de jatte, Pétrarque lui aurait dédié de moins mystiques poèmes. Et pourtant la pauvre Laure, son regard serait resté le même et son âme aussi. Seulement, voilà, il lui faut des cuissettes à ce monsieur Pétrarque, pour que son âme adore l'âme de Laure.
Pauvres mangeur de viande que nous sommes, nous, avec nos petites blagues d'âme.
Assez, mon ami, ne développe plus, on a compris."

"Amour de ma mère. Jamais plus je n'aurai auprès de moi un être parfaitement bon. Mais pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Que je suis étonné sur cette terre. Pourquoi sont-ils si vite haineux, hargneux ? Pourquoi adorent-ils se venger, dire vite du mal de vous, eux qui vont bientôt mourir, les pauvres ?
Que cette horrible aventure des humains qui arrivent sur terre, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, ne les rendent pas bon, c'est incroyable. Et pourquoi vous répondent-ils si vite mal, d'une voix de cacatoès, si vous êtes doux avec eux, ce qui leur donne à penser que vous êtes sans importance, c'est-à-dire sans danger ?
Ce qui fait que des tendres doivent faire semblant d'être méchants, pour qu'on leur fiche la paix, ou même, ce qui est tragique, pour qu'on les aime.
Et si on allait se coucher et affreusement dormir ? Chien endormi n'a pas de puces. Oui, allons dormir, le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient. Allons nous installer dans l'agréable cercueil. Comme j'aimerais pouvoir ôter, tel l'édenté son dentier qu'il met dans un verre près de son lit, ôter mon cerveau de sa boite, ôter mon coeur trop battant, ce pauvre bougre qui fait trop bien son devoir, ôter mon cerveau et mon coeur et les baigner, ces deux pauvres milliardaires, dans des solutions rafraîchissantes tandis que je dormirais comme un petit enfant que je ne serais jamais plus.
Qu'il y a peu d'humain et que soudain le monde est désert."

"Elle ne fréquentait personne car elle était peu débrouillarde. Elle ne savait pas rire avec ces dames de commerce, s'intéresser à ce qui les intéressait, parler comme elles. Ne fréquentant personne, elle fréquentait son appartement.
L'après-midi, après avoir terminé ses tâches ménagères, elle se rendait visite à elle-même. Bien habillée, elle se promenait dans son cher appartement, inspectait chaque chambre, tapotait une couverture, arrangeait un coussin, aimait la tapisserie neuve, savourait sa salle à manger, regardait si tout était bien en ordre, chérissait cet ordre et l'odeur d'encaustique et le nouveau canapé en affreux velours frappé. Elle s'asseyait sur le canapé, se recevait chez elle. Cette boule à café qu'elle venait d'acheter était une relation nouvelle. Elle lui souriait, l'éloignait un peu pour mieux la voir. Ou encore elle considérait le beau sac à main que je lui avait offert, qu'elle conservait enveloppé dans du papier de soie et dont elle ne se servait jamais car il aurait été dommage de l'abimer.

Sa vie, c'était son appartement, c'était écrire à son fils, attendre les lettres de son fils, préparer les voyages vers le fils, attendre son mari dans l'appartement silencieux, lui souhaiter la bienvenue lorsqu'il rentrait, être fière des compliments de son mari.
Il y avait aussi les pâtisseries où elle écoutait un peu les conversations des dames bien, tout en mangeant un gâteau, consolation des isolés. Elle participait comme elle pouvait, se contentait humblement de ces pauvres divertissements, toujours spectatrice, jamais actrice.
Sa vie, c'était encore d'aller toute seule au cinéma. Ces personnages sur l'écran, elle était admise en leur compagnie. Elle pleurait aux malheurs de ces belles dames chrétiennes. Elle a été isolée toute sa vie, une timide enfant dont la tête trop grosse était collée avidement à la vitre de la pâtisserie du social. Je ne sais pas pourquoi je raconte la triste vie de ma mère. C'est peut-être pour la venger."

"Tandis qu'un chien hurle dans la nuit, un pauvre chien, mon frère, qui se lamente et dit mon mal, je me souviens insatiablement.
C'est moi, bébé, et elle me poudre avec du talc, puis elle me fourre, pour rire, dans une hutte faite de trois oreillers et la jeune mère et son bébé rient beaucoup. Elle est morte.
Maintenant, c'est moi à dix ans, je suis malade, et elle me veille toute la nuit, à la lumière de la veilleuse surmontée d'une petite théière où l'infusion reste au chaud, lumière de la veilleuse, lumière de Maman qui somnole auprès de moi, les pieds sur la chaufferette, et moi je gémis pour qu'elle m'embrasse.
Maintenant, c'est quelques jours plus tard, je suis convalescent et elle m'a apporté un fouet de réglisse que je lui ai demandé d'aller acheter et comme elle a vite couru, docile, toujours prête. Elle est auprès de mon lit, et elle coud tout en respirant sagement, sentencieusement. Moi, je suis parfaitement heureux. Je fais claquer le fouet de réglisse et puis je mange à minuscules petits coups de dents un Petit-Beurre en commençant par les dentelures qui sont plus brunes et c'est meilleur et puis je joue avec son alliance qu'elle m'a prêtée et que je fais tourner sur une assiette. Bon sourires de Maman rassurante, indulgences de Maman. Elle est morte.
Maintenant, je suis guéri et elle me fait, avec des restants de pâtes à gâteau, des petits bonhommes qu'elle fera frire pour moi . Elle est morte.
Maintenant, c'est la foire. Elle me donne deux sous, et je les mets dans le ventre de l'ours en carton et, chic, un chou à la crème sort du ventre! " Maman, regarde-moi le manger, c'est meilleur quand tu me regardes." Elle est morte.
Maintenant, j'ai vingt ans, et c'est le square de l'Université où elle m'attend, sainte patience. Elle m'aperçoit et son visage s'éclaire de timide bonheur.
Elle est morte.
Maintenant, c'est son accueil, le soir du sabbat. Sans que nous ayons eu à frapper, la porte s'est ouverte magiquement, offrande d'amour. Elle est morte.
Maintenant, c'est sa fierté d'avoir retrouvé mon stylo. "Tu vois, mon enfant, je retrouve tout, moi." Elle est morte.
Maintenant, je lui demande de mettre de l'ordre dans ma chambre. Elle obéit de bon coeur, mais elle se moque un peu de moi. "Il faudrait des régiments pour te servir, mon fils, et tu les fatiguerais." Quel bon sourire. Elle est morte.
Maintenant , c'est son ravissement d'installer sa lourdeur dans le taxi. La marche la fatigue si vite, ma malade. Quelle soudaine fierté tandis que j'écris, à la pensée que je suis souvent malade, moi aussi. Je te ressemble tellement, je suis tellement ton fils.
Maintenant, c'est la portière du wagon à la gare de Genève, et le train va partir. Décoiffée, le chapeau piteusement de côté, la bouche stupéfaite de malheur, elle me regarde tellement, pour prendre le plus possible de moi, avant que le train s'ébranle. Elle me bénit, elle me recommande de ne pas fumer plus de vingt cigarettes par jour, de bien me couvrir en hiver. Dans ses yeux, il y a une folie de tendresse, une divine folie. C'est la maternité. C'est la majesté de l'amour, la loi sublime, un regard de Dieu.
Soudain, elle m'apparaît comme la preuve de Dieu."
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