Le cheval mallet est un coursier magnifique, au poil noir lustré, qui parcourt, les nuits sombres, couvert d'un harnachement splendide, les chemins creux du sol poitevin. S'il rencontre un voyageur isolé, il se penche, caressant, devant lui, en hennissant doucement, comme pour lui faire comprendre qu'il lui offre complaisamment le trône de ses reins puissants pour le conduire à la porte de sa demeure. Le voyageur est fatigué, il accepte l'aide qui lui est offerte.
Il monte en selle, s'applaudissant du retour facile, ayant en son esprit charmé la vision de sa famille rassemblée qui l'attend. Il voit le couvert mis, les bons mets fumants dont le parfum provocant embaume. Le vin mousse dans les verres clairs, et le feu joyeusement pétille dans l'âtre flamboyant, alors qu'on s'embrasse, heureux de se revoir. Il monte en selle, il est monté. Aussitôt, comme un ouragan qui se déchaîne, le cheval s'en va, dévorant l'espace. Ses pieds légers ne touchent plus la terre, ses naseaux vomissent la fumée, ses yeux éclairent l'horizon. Il s'en va, sans souci des chemins frayés, traversant les halliers, franchissant les fondrières. Sa vitesse est telle, que le vent de son passage incline jusqu'à terre les arbres géants que la tempête ne dérange pas de leur solennelle immobilité. A son arrivée, les forêts se sont couchées. Devant ses yeux éblouis, le cavalier voit les villes et les bourgs défiler aussi promptement que dans un rêve. En quelques instants il a parcouru l'univers. Son voyage dure la nuit entière, toujours aussi rapide, car sa monture infatigable renouvelle en son parcours, en son vol vertigineux, ses forces, en s'abreuvant de vent, en se repaissant d'étendue. Déjà le matin point au loin, sa clarté réveille les coqs, dont le chant clair et jeune met debout les hommes reposés. Ils s'habillent en silence. Allons, en route pour le travail ! Ils partent, en chantant à plein gosier la vieille chanson que, dès le berceau, leur chantait leur mère, et brusquement, au détour du chemin, ils s'arrêtent... sans voix, angoissés. Devant eux gît un cadavre. C'est celui du voyageur nocturne. Le cheval mallet, avant de disparaître, l'a jeté là, les reins brisés, le col tordu.
Ah ! s'il avait eu dans sa poche un sou marqué, il aurait évité le malheur. Sa femme éplorée ne se lamenterait pas devant son corps meurtri, ses enfants jeunes qui jouent, inconscients de leur position désespérée, recevraient encore de lui le pain savoureux qui va leur manquer, et que son rude et incessant labeur fournissait à peine à leur insatiable appétit ; ses amis en deuil ne restitueraient pas à la terre sa dépouille mortelle.
Un homme de Saint-Philibert-du-Pont-Charrault fit sur un cheval mallet un incomparable voyage. Il était porteur du talisman sacré : le sou marqué. Le réveil du jour le surprit à Paris. Il descendit de cheval, sans encombre, et resta trois jours dans la capitale. Il y mena joyeuse vie. Ces trois jours ont compté dans son existence parmi les plus heureux. Il avait parcouru le monde et connu Paris. Laissez-moi vous donner un conseil :
"Ne voyagez pas sur un cheval inconnu. Ayez toujours dans votre poche la rançon du voyage."
Casimir Puichaud, Contes, récits et légendes des pays de France.