Les sorciers et sorcières de la Renaissance ont laissé des traces dans la tradition orale. On y retrouve ces assemblées du sabbat, où ceux et celles que l'on prenait alors pour des serviteurs de Satan avouèrent -sous la torture - s'être régulièrement rendus, en volant à travers le ciel, pour y adorer le diable sous la forme d'un grand bouc à qui l'on devait baiser le derrière.
Il y avait une fois un jeune cordonnier qui fréquentait une belle jeune fille. Mais il ignorait qu'elle et sa mère étaient sorcières. Il allait chaque soir chez elles et tous trois bavardaient au coin du feu. Un jour, la jeune fille lui dit :
- Demain soir, tu ne viendras pas parce que nous sommes obligées de nous absenter.
Le lendemain matin, le cordonnier rencontra le voisin de son amoureuse.
- Tu vas chez ta belle ce soir ? lui demanda-t-il.
- Non, car elles m'ont dit qu'elles seraient obligées de s'absenter.
Le voisin éclata de rire et dit :
- Vas-y quand même ; si elles te disent quelque chose, tu leur diras que tu n'y as plus pensé et tu feras semblant de t'endormir.
Le cordonnier suivit son conseil. Il trouva sa belle qui parut bien gênée par sa visite.
- Mais tu savais bien que je t'avais dit de ne pas venir ce soir.
- Oh ! je n'y avais plus pensé.
Il se mit au coin du feu, assis sur une chaise et fit semblant de s'endormir. "Faou ou ou ... faou ou ou ..." faisait-il pour qu'elle le crût en plein sommeil. La fille le réveilla et lui demanda :
- Qu'as-tu ?
- J'ai sommeil, je suis bien fatigué, laisse-moi dormir.
"Faou ou ou ... faou ou ou ...", faisait-il. Au bout d'un moment, elle vérifia s'il dormait bien. Il ronflait si fort que sa mère lui dit :
- Il dort, nous pouvons aller au bal du diable.
Elles allèrent chercher un pot tout en haut du buffet et, s'étant frotté les mains et les jambes avec le produit qu'il y avait dedans, elles dirent bien fort :
- Pieds sur feuille, passe par la cheminée.
Elles remirent le pot en place et s'envolèrent par la cheminée pour aller au bal du diable. Mais le cordonnier avait tout vu et tout entendu. A son tour, il alla chercher le pot qui était en haut du buffet, se frotta les mains et les jambes avec le produit qu'il y avait dedans, puis il dit bien fort :
- Pieds sous feuille, passe par la cheminée.
Il remit le pot en place et s'envola par la cheminée pour aller au bal du diable. Mais voilà qu'aussitôt quitté la cheminée il se sentit transporté au ras du sol à une grande vitesse et il commença à passer au beau milieu des haies, des bois et des ronces. Il eut beau crier, rien n'y fit. Il arriva au bal des sorcières dans un piètre état. Alors il comprit que les deux femmes avaient dit : "Pieds sur feuille" pour éviter les ronces. Le sabbat était au comble de la folie. On dansait avec de grands gestes sur une musique endiablée et chaque fois qu'on finissait une danse il fallait embrasser le cul du diable. Vint le tour du cordonnier qui avait bien été obligé de danser, mais au lieu d'embrasser il planta son alène dans le derrière du diable. Furieux, le diable se mit à hurler :
- Qu'es aquel noubel bengut qu'a lou mouré ta pounzut ? (Quel est ce nouveau venu qui a le nez si pointu ?)
Claude SEIGNOLLE, Contes populaires de Guyenne, 1946
Raconté par Mme Adeline ANDRIEU, âgée de 70 ans, vivant à MONTAIGU-DE-QUERCY, dans le Tarn et Garonne
Accueil 
