Il y avait une fois l'église de Saint-Ferréol, qui en ce temps-là n'était pas bien grande, pas bien large. Mais c'était justement au temps où ceux de Champétières donnèrent plus d'aisance à la leur : ils ne l'agrandirent pas, eux, à vrai dire : en s'attelant aux cordes des cloches, ils la remontèrent sur la pente.
" Tant que vous, gens de Champétières ! se dirent ceux de Saint-Ferréol. Nous aussi, nous avons des bras et du râble : nous nous y mettrons un bon coup et nous élargirons l'église !"
Saint-Ferréol-des-Côtes n'est pas si loin de Champétières-les-Vallons ; mais comme le nom le porte, le village est assis tout au haut de la côte, en bon air, grande vue. On y a le premier rai du soleil qui se lève. Le vent vous y arrive des quatre coins du ciel.
Un dimanche d'avril à la sortie de messe, le maire monte les trois marches de l'auberge. Et, de là, il harangue son monde sur la place.
- Monde de Saint-Ferréol, quand vous aurez dîné, dîné et pris des forces, juste avant vêpres, revenez. Que tous y soient, surtout. Nous pousserons nous tous ensemble et nous élargirons l'église.
Avant vêpres, ils reviennent. Toute la paroisse était là.
- Monde de Saint-Ferréol, n'y allez pas trop fort, dit le maire. Vous m'entendez ? Juste ce qu'il faut.
Il prend des pois chiches, un plein sac, les sème à un pas de la muraille, tous à l'entour. Voilà. Et on élargirait l'église que jusqu'aux pois : pas un pouce de plus ! On entre. Les garçons les plus forts en nature, en courage, s'adossent aux murailles. Ils prennent point d'appui sur les épaules des hommes qui se rangent devant eux ; ceux-là de même sur le rang d'avant. Trois, quatre rangs ainsi, jusqu'à ceux du milieu de l'église qui se trouvent paume contre paume, en face les uns des autres.
- Allez, crie le maire, de la porte : hardi, petits, poussez !
Les voilà tous à pousser, mais d'un tel appétit que la sueur coulait jusque dans les sabots.
Pendant ce temps, les pigeons de la cure tournoyaient au-dessus de l'église, pour fêter le dimanche. Ils voient ces pois. Ils s'abattent. Ils les gobent. En moins de rien il n'en resta pas un seul.
- Monde de Saint-Ferréol, crie le maire tout-à-coup, soufflez un peu : je sors, je vais voir où en est l'ouvrage.
Dans la minute, il reparaît : il se jette dans l'église, levant les bras, tout rouge :
- Arrêtez, arrêtez, monde de Saint-Ferréol ! Les pois sont recouverts. Nous sommes trop forts ! Nous avons trop écarté les murailles !
A vêpres, ce jour-là, ils se sont vus plus au large. Et depuis, là-haut, à Saint-Ferréol,le monde se sent à l'aise dans l'église élargie.
Henri POURRAT, Le Trésor des contes, 1955