Un étrange personnage hantait jadis les veillées de Tignes, en Savoie. Grande et grosse, la Naroua était une vieille femme qui s'attaquait surtout aux dentellières. Chaque samedi soir, elle s'immisçait dans la veillée finissante afin de s'assurer que les travailleuses avaient achevé leur pièce de dentelle à minuit. Elle filait son rouet dans un coin de l'étable et marmonnait sans cesse un étrange refrain : "Trente-quatre dix-neuf ! Patte de vache, Patte de boeuf !" Si, à minuit, les femmes n'avaient pas terminé leur ouvrage et n'étaient pas parties se coucher, la Naroua les battait avec un pied de boeuf.
La légende était très utile pour l'instruction des fidèles. Car poursuivre la veillée laborieuse le dimanche, jour du Seigneur, constituait un grave péché. La même histoire serait également pour la nuit du 5 janvier, veille de l'Epiphanie, et celle qui précédait la Chandeleur. La Naroua n'épargnait personne ces soirs-là. Lorsque les adultes cessèrent de craindre la mauvaise femme, elle servit encore pour effrayer les enfants. On les empêchait de sortir pendant les cavalcades, parfois violentes, du carnaval en leur disant que la Naroua rôdait dans les rues pour s'emparer d'eux.