Dans l'ancienne France, de crainte des maléfices et des poisons, on avait coutume de ne pas découvrir les plats avant que l'hôte n'eût pris sa place à table. Cette précaution, largement répandue dans les bonnes maisons depuis Charlemagne, a donné naissance à l'expression "mettre le couvert". Par ailleurs, même protégés par un couvercle, un seigneur ne goûtait pas aux préparations sans s'être assuré qu'elles ne contenaient pas de drogues toxiques. Pour s'acquitter de cette tâche, appelée l'"essai", il disposait de plusieurs officiers, souvent plus téméraires que gastronomes.
A la Cour de Versailles, à côté de la table royale, un garde en armes ne quittait pas du regard la "Nef", une grande coupe ovale en argent, fermée par un couvercle, et devant laquelle tous les personnages, quel que fût leur rang, s'inclinaient respectueusement en ployant le genou. Que contenait donc ce meuble sacro-saint ? On l'apprend dans un inventaire du temps de Charles V : "On met dedans la Nef, quand le Roi est à table, sa cuillère, son coutelet et sa fourchette." Avant que Louis XIV n'avale la première bouchée de l'un des vingt plats quui lui étaient servis à chacun de ses dîners, on procédait à l'"essai" du pain, du sel, des serviettes, de la fourchette et du couteau de Sa Majesté en les frottant avec un peu de mie de pain que mangeait ensuite le "Chef du Goblet".
C'est à se lointain souvenir que l'on doit la bienséance moderne, qui recommande aux convives de ne pas commencer un repas avant que la maîtresse de maison ne se soit servie la première. Celle-ci répétant sans le savoir le rite ancestral de l'"essai".